Deux années de pandémie, puis deux mois de guerre en Ukraine, et le monde a changé. Il est plus violent, plus dur, plus instable. Le 24 février, la Russie a déclenché contre son voisin ukrainien la plus féroce attaque militaire contre un État européen depuis la Seconde Guerre mondiale. L'invasion a jeté sur les routes plus de réfugiés que le Vieux Continent n'en avait vu depuis l'effondrement de l'Allemagne nazie. Le conflit a provoqué une crise énergétique mondiale. Il a réveillé le spectre des pénuries alimentaires. Il a disloqué des chaînes de production planétaires. Il a accéléré la flambée de l'inflation. Il a généré des tensions sociales en cascade. Et il est loin d'être terminé : l'armée russe vient de relancer son offensive dans le Donbass. Nous vivons le « début d'un changement d'ère », observe avec inquiétude Emmanuel Macron dans son interview au Point la semaine dernière.
Les deux chocs, sanitaire puis militaire, ont révélé et accentué des tendances à l'œuvre depuis plusieurs années. Les puissances autoritaires et révisionnistes, Chine et Russie en tête, cherchent à démanteler l'hégémonie américaine. Le droit du plus fort prospère sur l'affaissement de la légitimité internationale. Le repli nationaliste gagne du terrain, les passions identitaires nourrissent la haine de l'autre, la mondialisation s'essouffle. L'Occident, sur la défensive, doute de ses valeurs libérales. Les Européens ont de plus en plus de mal à protéger leur modèle de démocratie contre les assauts internes et externes et à financer leur État providence.
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Intérêts nationaux américains
Dans ce contexte angoissant, les prévisions des agences du renseignement américain aident à anticiper les crises à venir, qu'elles soient humanitaires, économiques, environnementales, stratégiques. Leur évaluation annuelle des menaces qui pèsent sur les intérêts nationaux des États-Unis (The Annual Threat Assessment of the US Intelligence Community) vient d'être traduite en français (Les Nouvelles Menaces sur notre monde vues par la CIA, Éditions des Équateurs). L'ouvrage décrit le risque croissant de conflits entre grandes puissances. L'ordre établi est perturbé par des acteurs malveillants, qu'ils soient étatiques (Iran, Corée du Nord…) ou non (État islamique, Al-Qaïda, Hezbollah, grands réseaux de crime organisé et de trafic de drogue).
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Ce qui a déstabilisé Poutine en Ukraine
« Pékin, Moscou, Téhéran et Pyongyang ont démontré leur capacité et leur intention de promouvoir leurs intérêts aux dépens des États-Unis et de leurs alliés », note le rapport, dont nous publions des extraits exclusifs. Les menaces collectives et transnationales - changement climatique, prolifération des armes de destruction massive, cybermenaces, terrorisme, militarisation de l'espace, pandémies - pèsent sur toute la planète. Selon lui, « les principaux adversaires et concurrents des États-Unis améliorent leurs capacités militaires, cybernétiques et autres, et n'hésitent pas à s'en servir, ce qui augmente les risques pour les États-Unis et leurs alliés, affaiblissant notre dissuasion conventionnelle et aggravant la menace de longue date que représentent les armes de destruction massive ».
Prestige restauré
La CIA et le renseignement américain en général reviennent de loin. L'incapacité des services américains à déjouer les attentats du 11 septembre 2001, puis la manipulation par Washington des informations sur les armes irakiennes de destruction massive pour justifier l'invasion de l'Irak en 2003 avaient contribué à écorner gravement la crédibilité de la principale agence américaine de renseignement. L'épisode ukrainien lui a permis de restaurer son prestige. Tout l'hiver, les autorités américaines ont exposé à la face du monde les préparatifs de l'armée russe aux frontières de l'Ukraine. Elles n'ont pas seulement montré le déploiement du dispositif militaire, presque en temps réel. Elles ont aussi révélé les intentions du Kremlin, dévoilé dès janvier les principaux axes d'attaque de l'armée russe (Kiev, Kharkiv, Marioupol) et même prévu la date de l'invasion, expliquant avec justesse qu'elle aurait lieu une fois que les Jeux olympiques de Pékin seraient achevés (ils se sont terminés quatre jours avant l'invasion).
Le plus innovant fut la décision du gouvernement américain de publier au fil de l'eau de telles informations, en principe ultrasecrètes. Cette transparence inédite n'a pas permis d'empêcher la guerre. Mais en révélant les intentions malveillantes de Moscou, elle a désamorcé la propagande russe sur de prétendues provocations ukrainiennes. En revanche, la CIA tablait sur une débâcle des forces ukrainiennes. Elle n'avait pas prévu la résistance acharnée dont elles ont fait preuve, galvanisées par le président Volodymyr Zelensky. Même les meilleurs services de renseignement peuvent se tromper.
EXTRAITS
Nous nous attendons à ce que Moscou reste une puissance influente et un formidable défi pour les États-Unis dans un contexte géopolitique en mutation au cours de la prochaine décennie. La Russie continuera à poursuivre ses intérêts de manière compétitive, parfois conflictuelle et provocatrice, notamment en faisant pression pour dominer l’Ukraine et d’autres « pays proches », tout en explorant les possibilités de parvenir à une relation plus stable avec Washington. (…) La Russie utilise la corruption comme un outil de politique étrangère efficace pour promouvoir ses objectifs géopolitiques et acheter de l’influence dans d’autres pays ; cependant, il s’agit également d’une vulnérabilité intérieure à long terme ainsi que d’un frein à la performance économique de la Russie et à sa capacité à attirer les investissements. (…)
Nous estimons que la Russie restera le rival le plus important et le plus puissant des États-Unis en matière d’armes de destruction massive dans un futur proche, à mesure qu’elle étendra et modernisera ses capacités en matière d’armes nucléaires et augmentera les capacités de ses armes stratégiques et non stratégiques. (…) La Russie présente l’une des influences étrangères les plus menaçantes pour les États-Unis, en utilisant ses services de renseignement, ses intermédiaires et ses outils d’influence de grande envergure pour tenter de diviser l’Occident et accroître son influence dans le monde entier, tout en tentant de saper la position mondiale des États-Unis, d’amplifier la discorde à l’intérieur des États-Unis et d’influencer les électeurs et les décideurs américains.
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