06/04/2022

2022 une élection pour rien.?

Source Herodote  par André Larané

Selon la Constitution de la Ve République, le président dispose de plus d'autorité que dans n'importe quelle autre démocratie. Mais depuis un quart de siècle, les titulaires du poste ont réduit leurs pouvoirs à la portion congrue en soumettant tous les domaines régaliens à des institutions supranationales : Commission européenne, BCE, CEDH, OTAN, voire à des cabinets de consultants américains (McKinsey) ! Faut-il y voir les raisons du désintérêt croissant des électeurs à l'égard du scrutin présidentiel (comme de tous les autres) ?...

Lors des élections présidentielles de 1974, 1981, 1988 et dans une moindre mesure 1995 et 2002, les électeurs eurent à choisir entre deux projets de société clairement identifiés, l'un libéral, l'autre socialiste ou social-démocrate. D'un côté le rétrécissement de la sphère publique (moins d'impôts, moins d'administration, libéralisation de l'économie), de l'autre le renforcement de l'État (nationalisations, droit du travail, protections douanières, politique industrielle, etc.).

En France comme dans les autres pays, les monnaies nationales faisaient fonction de corde de rappel en plongeant chaque fois qu'une politique empruntait des voies par trop périlleuses. Sans qu'il y paraisse, elles corrigeaient surtout les défauts natifs de chaque nation. C'est l'une de leurs fonctions essentielles (note). Les Hollandais et les Allemands mettaient toute leur énergie à produire et exporter mais leur balance commerciale n'en restait pas moins à l'équilibre grâce à la hausse régulière du taux de change de leur monnaie. À l'inverse, les Français et les Italiens prenaient plaisir à importer les biens qui font les délices de la vie mais leur balance commerciale n'en restait pas moins à l'équilibre grâce à la baisse régulière du taux de change de leur monnaie. Au final, tout le monde était gagnant. Le mark allemand était passé d'un franc en 1949 à 3 francs en 1989 mais dans cet intervalle, la France n'en avait pas moins comblé l'écart qui la séparait de sa voisine en matière de niveau de vie et d'industrie (note) !

Rien de tel en ce XXIe siècle. De l'extrême-droite à l'extrême-gauche, les enjeux économiques et sociaux se ramènent à des réglages de curseur dans le respect des contraintes induites par la monnaie unique et les traités européens. Va-t-on partir à la retraite à 60, 62, 64 ou 65 ans ? De combien va-t-on augmenter le salaire minimum ? Quelles aides et allocations pour telle et telle catégorie sociale ?... Il s'ensuit que nos candidats à la présidence n'ont guère plus de marges de manoeuvre qu'un président de conseil départemental.

Le changement de paradigme remonte très clairement à la chute du Mur (1989). Soucieux de resserrer les liens entre les pays européens, François Mitterrand convainquit l'Allemagne de renoncer au mark au profit d'une monnaie unique, l'euro. Le traité de Maastricht (1992) signa la fin de l'Europe des Nations et de ses projets d'avant-garde (Arianespace, Airbus, Schengen, Erasmus, etc.). Dès lors, les gouvernements de la zone euro employèrent toute leur énergie à la préservation vaille que vaille d'une monnaie unique dysfonctionnelle.

Souveraineté monétaire et économique

Au sein de l'union monétaire, les Allemands purent donner libre cours à leur passion exportatrice (du moins après qu'ils eurent surmonté les affres de la réunification). N'étant plus protégée par sa monnaie, la France vit son déficit commercial s'accroître année après année (note). Dans le même temps, au nom des grands principes néolibéraux inscrits dans les textes européens, elle s'interdit de protéger ses industries, de sorte que la plupart de ses fleurons ont aujourd'hui disparu (Alcatel, Alsthom, Péchiney, etc.) ou sont passés à l'étranger (Lafarge, Technip, etc.).

Résultat : la balance des paiements de tout pays (comme de tout ménage) étant par définition toujours à l'équilibre, la France doit année après année combler ses déficits commerciaux par des emprunts à l'étranger ; elle doit par ailleurs compenser les destructions d'emplois industriels par la création d'emplois publics et d'emplois de services ().

Ces solutions de fortune ne résolvant en rien le trouble initial, à savoir la confrontation d'économies antagonistes au sein d'une zone monétaire unique, la France est devenue le tonneau des Danaïdes. Ses gouvernants n'en finissent plus de rogner les services publics et la politique sociale (retraites, allocations, éducation, etc.) à seule fin de combler les déficits publics. Mais ces déficits s'accroîtront quoi qu'on fasse, aussi longtemps que le pays n'aura pas retrouvé sa souveraineté monétaire... ou se sera résigné à une baisse drastique de son niveau de vie. Celle-ci est déjà engagée comme le montre la tendance à la hausse de la mortalité infantile depuis 2012 (source).

Souveraineté militaire et diplomatique

Les signataires de Maastricht ont aussi cru à la fin de l'Histoire avec l'implosion de l'URSS. Convaincus que les calculs économiques passeraient désormais avant les passions nationales, ils étendirent l'Union européenne jusqu'aux limites de la Russie. Mais cet élargissement se fonda sur un malentendu : obnubilés par le désir d'une revanche sur l'ogre russe, les nouveaux entrants (Polonais, Baltes, Tchèques) étaient moins attirés par les « valeurs européennes » que par l'alliance militaire avec les États-Unis, l'OTAN, une variante moderne de la Ligue de Délos, par laquelle Athènes prétendait protéger les autres cités grecques contre les Perses.

De la sorte, l'OTAN, discrète et modérée avant 1989, devint de plus en plus intrusive. En 2003, le président Chirac, le chancelier Schröder et le président Poutine échouèrent à empêcher le président Bush Jr d'envahir l'Irak. Après cela, les Européens perdirent toute autonomie en matière diplomatique et militaire. Ils s'inscrivirent dans le sillage des États-Unis, y compris lorsque ceux-ci s'appliquèrent à déstabiliser l'Ukraine. 

La rivalité entre Washington et Moscou a débouché sur la guerre, à l'initiative du président russe, avec des conséquences qui dépassent l'entendement. Après un mois de combats, la Russie est asphyxiée et l'Ukraine ravagée. L'Europe est menacée par de graves pénuries de gaz et de brutales hausses de prix. L'Afrique du nord et le Moyen-Orient appréhendent la disette. Pour quel bénéfice ? Aucun car le président Zelensky serait aujourd'hui prêt à accepter les revendications formulées par la Russie depuis 2014 : rétrocession de la Crimée à la Russie, autonomie du Donbass et neutralité de l'Ukraine (avec en prime l'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie à l'Union européenne... à charge pour celle-ci de reconstruire ces pays et les mettre à niveau).

Tous les Européens vont devoir payer cet imbroglio absurde dont ils ont été les spectateurs impuissants... Autant dire que les électeurs français ont quelque raison de s'interroger sur le sens de l'élection à venir, dès lors qu'aucun candidat ne leur propose de solution pour reprendre leur destin en main, tant en ce qui concerne l'économie et le social que la sécurité et la diplomatie. Cela ne doit pas nous empêcher d'exercer notre devoir civique. Mais ainsi que nous le postulions en janvier 2022, un réveil de la démocratie n'est pas à exclure en juin, à la faveur des élections législatives, avec des débats enflammés dans chacune des 577 circonscriptions sur les grands enjeux politiques de l'heure.

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