ÉDITO. La Russie ne pourra pas trouver sa place en Europe tant que l’autocrate du Kremlin verra la démocratie libérale comme un ennemi à abattre.
La guerre livrée par la Russie à l'Ukraine résulte-t-elle, au moins en partie, d'une faute de l'Occident ? Des intellectuels et politiciens français reprennent à l'envi cette thèse qui se veut « réaliste ». Elle s'énonce ainsi : la Russie, comme toute grande puissance, se protège en établissant autour d'elle une zone d'influence. L'Ukraine en est la pièce maîtresse. L'Occident a provoqué et humilié Moscou en élargissant l'Otan vers l'Est. Vladimir Poutine réagit à cet empiétement en rétablissant de force son glacis protecteur. Donc, l'Occident porte sa part de responsabilité dans le désastre.
L'idée est inspirée de Carl Schmitt, juriste nazi des années 1930 qui prônait un monde divisé en blocs, chacun dominé par une grande puissance exerçant des droits « naturels » sur ses voisins. Mais dans notre monde du XXIe siècle, cette théorie est anachronique : elle fait fi de la souveraineté de l'Ukraine ; elle légitime l'impérialisme ; elle nie l'aspiration des peuples à la liberté. Et surtout, elle est fausse, car elle ne colle pas à la réalité des trois dernières décennies.
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La Russie ne doit s'en prendre qu'à elle-même si elle n'a pas réussi à trouver sa place dans l'Europe post-guerre froide. Elle a conservé un modèle économique fondé sur la rente pétrolière et gazière, qui favorise la corruption et l'enrichissement des affidés du pouvoir. Corollaire, elle a dérivé vers un modèle politique de plus en plus autoritaire, étouffant la société civile, réprimant l'opposition et bâillonnant les médias. Dans ces conditions, le modèle démocratique occidental devenait un ennemi qu'il fallait discréditer et déstabiliser par des opérations d'influence et de désinformation.
Ambitions impériales
La véritable erreur des Occidentaux est d'avoir sous-estimé les ambitions impériales du maître du Kremlin. Ils ont déployé tant d'efforts pour amadouer la Russie, sans voir qu'elle ne cessait de s'éloigner d'eux ! Ils l'ont intégrée dans la mondialisation. Ils lui ont donné des gains stratégiques avec les gazoducs Nord Stream 1 puis 2. Ils ont bloqué les demandes d'adhésion ukrainienne et géorgienne à l'Otan. Ils n'ont cessé de lui proposer des dialogues et des partenariats, malgré les coups de force russes en Moldavie, en Géorgie, en Ukraine et en Biélorussie. Encore en 2019, cinq ans après l'annexion de la Crimée, Emmanuel Macron offrait à Vladimir Poutine une réflexion commune sur l'architecture de sécurité du Vieux Continent.
Le vrai ennemi de Poutine n’est pas l’appareil militaire occidental mais la démocratie libérale.
Ce que le despote russe n'a pas supporté, ce n'est pas que l'Ukraine installe sur son sol des bases de l'Otan et des missiles pointés vers Moscou, puisque cela n'a jamais été le cas. C'est qu'elle choisisse la liberté. L'agression russe de 2014 ne fut d'ailleurs pas une riposte contre l'Otan, mais contre l'accord d'association que Kiev nouait avec l'Union européenne. Le vrai ennemi de Poutine n'est pas l'appareil militaire occidental mais la démocratie libérale, dont l'attractivité menace son pouvoir.
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Lucide, le grand penseur français du XXe siècle Raymond Aron dénonçait le « pseudo-réalisme » qui « commet trop souvent l'erreur de confondre le réalisme avec la considération exclusive des rapports de force » (Les sociétés modernes, PUF). Nos pseudo-réalistes contemporains se sont trompés sur toute la ligne. Leur « réalisme » pro-Poutine n'avait pas prévu que le despote russe fomentait une guerre d'invasion, ni que l'Ukraine était une vraie nation, forte et fière, ni que ses citoyens seraient prêts à la défendre les armes à la main, ni que l'Europe réagirait comme un seul homme à l'agression.
Le vrai réalisme impose de se préparer dès maintenant à réinventer les voies d'une coexistence avec la Russie. Ce pays restera-t-il une grande Corée du Nord, repliée sur lui-même et hostile ? Ou deviendra-t-il un jour un pays ouvert et respectueux de ses voisins ? Le choix ne sera pas celui de l'Occident, mais bien celui du peuple russe et de ses dirigeants.
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