Olkiluoto, Finlande. Quatre pastilles d’uranium de la taille d’un ongle suffisent à produire assez d’électricité pour chauffer une maison de taille moyenne pendant un an. Mais cette énergie colossale a un prix – et c’est pourquoi Jonas Leino lui construit une enceinte dédiée. Quand elle sera opérationnelle, personne n’aura plus le droit d’y entrer. “Les murs, le toit et le sol sont en béton de 1,30 mètre d’épaisseur. Au-dessus, il y aura la salle des commandes, d’où on guidera les robots”, explique-t-il.

Jonas Leino est le représentant de Skanska, (l’entreprise de BTP suédoise) qui construit ici une usine d’encapsulage pour le compte de Posiva, la société finlandaise de gestion des déchets radioactifs, à Olkiluoto, à un peu plus de trois heures de route au nord-ouest d’Helsinki.

C’est là que le combustible usé de haute activité sera enrobé de fonte et scellé dans d’énormes tuyaux de cuivre de cinq centimètres d’épaisseur, cinq mètres de long et un mètre de diamètre. Les cylindres seront acheminés à 500 mètres de profondeur au moyen d’un ascenseur, dans la roche primitive, pour une durée d’au moins cent mille ans.

Scellé pour l’éternité

Cinq kilomètres d’une route en pente [parcourus dans un long tunnel], et nous arrivons. Il flotte dans l’air une odeur de poussière de roche et de dynamite. Il faut dire que les forages et les percements vont bon train. Dans quatre ans, le site sera en mesure d’accueillir les premiers cylindres. Jyrki Liimatainen, l’un des géologues de Posiva, indique une galerie noyée dans la pénombre :

D’ici à cet été, on aura terminé le percement de cinq tunnels de ce type, de 300 mètres de long, et on pourra commencer à calculer précisément le nombre de trous dont on aura besoin et où il faudra les forer dans les tunnels.”

Ces tunnels seront à terme une centaine, disposés en arête de poisson sur un plan horizontal. Chacun sera percé de trous verticaux dans lesquels des engins commandés à distance viendront déposer les cylindres de cuivre. Quand un tunnel sera plein, à raison d’une trentaine de cylindres par tunnel, il sera rempli de bentonite. Dans cent ans, le site arrivera à capacité et sera scellé pour l’éternité.

La Finlande est le premier pays au monde à organiser le stockage définitif de ses combustibles usés de haute activité, talon d’Achille du nucléaire partout dans le monde. La méthode, suédoise, se nomme KBS-3. La société suédoise de gestion des déchets radioactifs, SKB, a demandé l’autorisation de l’utiliser en Suède en 2011 pour un site de stockage définitif à Forsmark, à 140 kilomètres au nord de Stockholm, et un site d’encapsulage à Oskarshamn, à 340 kilomètres au sud de la capitale. Mais la décision se fait attendre. La demande du finlandais Posiva, elle, est arrivée en 2012. Quatre ans plus tard, en 2016, le chantier d’Onkalo – “caverne” ou “cavité”, en finnois – débutait.

“Je dirais que nos politiques sont un peu plus réactifs. Notre Parlement a pris comme décision de principe, voilà vingt ans, que le stockage géologique serait la solution ad hoc pour notre combustible usé. Résultat, la question n’a pas été de savoir quoi faire, mais plutôt quand le faire”, résume Tiina Jalonen, directrice du développement à Posiva.

Comment savoir si le dispositif fonctionnera toujours dans cent mille ans et s’il résistera à une nouvelle ère glaciaire ? “Nous avons bien entendu testé tous nos matériaux et leurs interactions avec la couche géologique, et nous avons choisi d’implanter le site de stockage définitif à près de 500 mètres de profondeur, afin que ce qui se passe à la surface n’ait pas d’incidence sur ce qui est en bas. Et ici, à Olkiluoto, la montagne a 2 milliards d’années, donc il y a peu de chances qu’elle bouge.

Pasi Tuohimaa, le responsable de la communication, ajoute :

Nous nous appuyons sur quarante années de recherches approfondies. À un moment donné, il faut prendre une décision. Elle est là, la solution, pour le stockage définitif des déchets – l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a d’ailleurs parlé de ‘révolution technologique’.”

“Nous, les Finlandais, on est des pragmatiques”

Olkiluoto, c’est le pays du nucléaire. À quelques minutes de route de là, on aperçoit les trois réacteurs de la société de production d’électricité TVO. OL1 et OL2 sont du même type que le réacteur suédois de Forsmark et sont entrés en service voilà respectivement quarante-deux et trente-neuf ans. Le troisième, OL3, a fait parler de lui pour avoir été l’un des plus chers et des plus longs à entrer en service [c’est le premier EPR à avoir été commercialisé par le français Areva, la mise en service était prévue en 2009, mais le chantier a cumulé douze ans de retard]. Il devrait être raccordé au réseau en janvier-février. [Le réacteur a démarré le 21 décembre 2021, avec l’aval de l’autorité de sûreté finlandaise]

Le combustible usé en provenance de ces réacteurs et des deux réacteurs de Loviisa, sur la côte sud de la Finlande, sera progressivement stocké ici pour l’éternité, à Olkiluoto. “Nous, les Finlandais, on est des pragmatiques. On ne voulait pas dépendre de l’électricité de l’étranger et, comme on est devenus tributaires du nucléaire, on doit s’occuper de ses déchets”, résume Pasi Tuohimaa. Il marque une pause, avant d’ajouter : “Je veux dire, même Greenpeace n’y trouve rien à redire !”

Politiquement parlant, il y a une différence qui saute aux yeux entre les partis écologistes suédois et finlandais. En Finlande, les Verts soutiennent le développement de la filière nucléaire – une nouvelle centrale est d’ailleurs prévue à Pyhäjoki, dans l’ouest du pays – et veulent voir le nucléaire classé parmi les énergies vertes.

En Suède, le Parti écologiste affirme sur son site Internet que “le nucléaire est polluant et dangereux à toutes les étapes, de l’extraction au stockage définitif des déchets radioactifs, en passant par l’enrichissement de l’uranium”. Et c’est à un ministre Vert, Per Bolund, qu’incombait jusqu’à présent la très lourde responsabilité de trancher la question du stockage définitif des déchets. En 2021, une polémique a fait rage en Suède sur les risques de corrosion des cylindres de cuivre et de friabilisation de la fonte qui se trouve à l’intérieur. Et les communes d’Oskarshamn et d’Östhammar, dans le Sud-Est, qui accueillent toutes deux des centrales, ont accusé le gouvernement de temporiser sur la question des déchets. Ce à quoi Per Bolund a rétorqué que le gouvernement se penchait sur la question avec tout le sérieux qui s’impose.

“Les conditions sont réunies pour une prise de décision”

Per Bolund a quitté ses fonctions pendant notre visite du site de stockage des déchets finlandais. La question est de savoir si la Suède se déciderait plus rapidement sous un gouvernement 100 % social-démocrate. Johan Dasht, le président de la société suédoise de gestion des déchets radioactifs (SKB), répond :

Tout est sur la table. Voilà un mois, l’Autorité de sûreté nucléaire a répondu au gouvernement qu’aucune étude supplémentaire n’était nécessaire. Quel que soit le futur gouvernement, toutes les conditions sont réunies pour une prise de décision.”

Que sait la Finlande que la Suède ne sait pas ? “Il n’y a pas de différences en matière de savoir-faire : après tout, c’est une méthode suédoise. Je peux simplement supposer que les questions n’ont pas fait la navette plusieurs fois comme chez nous, y compris pour revenir aux mêmes instances. Quand l’Autorité de sûreté nucléaire finlandaise a donné son feu vert, ils lui ont fait confiance.”

À côté de lui, dans l’énorme caverne qui servira de sépulture aux déchets nucléaires finlandais à 500 mètres sous terre, le géologue Jyrki Liimatainen acquiesce. Il est persuadé que l’idée est bonne : “Nous ne décelons aucun mouvement dans la montagne alors que nous prenons des mesures en temps réel. Des petits tremblements de terre peuvent avoir lieu dans la région, mais leur magnitude tourne autour de 1,5. Les cylindres de cuivre peuvent résister à des mouvements géologiques de 5 centimètres sans casser. Ce qui équivaut à une magnitude de 6 environ.”