03/12/2021

Les immigrés en trois idées reçues par Alternatives économiques Anine Cariou

Les immigrés en trois idées reçues Source Alternatives économiques 
 
Plusieurs études récentes permettent de sortir des fantasmes liés à l’immigration en France et véhiculés par une classe politique en partie hostile.

Les immigrés ! Voilà la source de nombre de maux de notre société pour une partie de la classe politique française. Et pas seulement à l’extrême droite : à voir les débats entre les prétendants à la candidature Les Républicains (LR) qui seront départagés le 4 décembre, freiner l’immigration semble être la mesure la plus urgente à prendre. C’est donc le moment de sortir des fantasmes et de revenir aux faits. Cela tombe bien...

Les immigrés ! Voilà la source de nombre de maux de notre société pour une partie de la classe politique française. Et pas seulement à l’extrême droite : à voir les débats entre les prétendants à la candidature Les Républicains (LR) qui seront départagés le 4 décembre, freiner l’immigration semble être la mesure la plus urgente à prendre. C’est donc le moment de sortir des fantasmes et de revenir aux faits. Cela tombe bien : plusieurs études récentes apportent des éléments pour ce faire.

1/ La France attire les immigrés

Que représentent les immigrés dans la population française ? Tout dépend de la définition qu’on en donne. En France, est considérée comme immigrée toute personne née étrangère à l’étranger et qui vient s’installer dans notre pays. Cela fait environ 6,5 millions de personnes, soit 10 % de la population.

Les Nations unies retiennent une définition différente : toute personne qui réside dans un pays différent de son pays de naissance. Ainsi, un Français né en Chine où vivaient ses parents expatriés et de retour au bercail est considéré comme un immigré. Cette définition concerne 8,5 millions de personnes et près de 13 % de la population, chiffre généralement retenu car il permet des comparaisons internationales.

Qu’on retienne l’une ou l’autre de ces deux définitions, il faut ajouter une estimation des immigrés clandestins : autour de 600 000 personnes.

La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ? Ça tombe bien, elle en est très loin ! Elle est le 16e pays de l’Union européenne (UE) pour la part des immigrés dans sa population, quand celle-ci atteint 17 % en Belgique, 18 % en Allemagne ou 19,5 % en Suède.

Qu’en est-il des flux ? Environ 290 000 immigrés arrivent chez nous chaque année. Soit 0,4 % de la population, contre 0,9 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et de l’Union européenne. La France n’a donc pas à « reprendre le contrôle » de sa politique migratoire, comme le réclamait l’ancien Premier ministre Edouard Philippe à la fin 2019, puisqu’elle est très loin de l’avoir perdu. Et cela, parce qu’en réalité, nous sommes un pays peu attractif. Dans quel cadre arrivent les immigrés ? A très gros traits, selon une note récente du Conseil d’analyse économique (CAE), la moitié vient au titre du regroupement familial, 30 % pour faire des études, 10 % à titre humanitaire et 10 % pour travailler.

A l’inverse, chiffre peu souvent cité, l’Ined souligne que, en 2020, 4 % des Français vivent à l’étranger, contre 3 % des Africains, 2,5 % des Asiatiques et 1,5 % des ressortissants d’Amérique du Nord. En proportion de la population, nous fournissons donc plus d’immigrés que le reste du monde !

2/ Les immigrés nous coûtent cher

Les immigrés étant peu qualifiés et souvent au chômage, ils contribueraient peu au financement de la Sécurité sociale tout en recevant beaucoup. Ils coûteraient donc cher au modèle social français. Si le raisonnement paraît frappé au coin du bon sens, il n’a qu’un seul défaut, celui d’être complètement erroné.

Comme pour le reste de la population, les immigrés coûtent à la collectivité lorsqu’ils sont jeunes (formation) et lorsqu’ils sont vieux (santé, retraites). Or, il se trouve que les étrangers habitant en France se situent essentiellement dans la tranche d’âge 20-60 ans, la période de la vie où l’on cotise le plus.

Au final, lorsque l’on fait le bilan recettes/dépenses, les études disponibles concluent à un impact budgétaire neutre des immigrés sur le budget de la France. C’est ce que rappelle une nouvelle fois la synthèse récente de l’économiste Lionel Ragot : pour la France, comme pour tous les autres pays riches, le « coût » de l’immigration se situe selon les périodes entre plus ou moins 0,5 % du produit intérieur brut (PIB).

La contrainte exercée sur les déplacements des personnes depuis le début de la pandémie semble donc avoir initié une baisse de l’offre de travail immigrée qui explique en partie la question des difficultés de recrutement dans certains secteurs

Côté marché du travail, les immigrés « prennent-ils le travail des Français » et tirent-ils les salaires « sans cesse » vers le bas, comme l’a affirmé récemment Marine Le Pen dans une tribune publiée par Les Echos ? Les études disponibles conduisent toujours à la même conclusion : des effets faibles et de court terme sur les emplois et les salaires.

Il faut noter qu’aucun secteur économique français n’emploie que des nationaux. Mais leur présence apparaît bien plus forte dans une partie d’entre eux. Un travail consacré spécifiquement au sujet par Jean Beuve, Madeleine Péron et Baptiste Roux montre que les secteurs qui utilisaient le plus de main-d’œuvre immigrée avant la pandémie sont ceux qui se plaignent le plus de difficultés de recrutement aujourd’hui, en particulier l’hôtellerie-restauration (secteur avec la plus grande part d’immigrés d’origine africaine et asiatique) et le BTP.

La contrainte exercée sur les déplacements des personnes depuis le début de la pandémie semble donc avoir initié une baisse de l’offre de travail immigrée qui explique en partie la question des difficultés de recrutement dans certains secteurs.

Enfin, si l’on veut prendre la mesure des conséquences de l’immigration sur la dynamique de la population française, contrairement à ce que l’on croit souvent, la quasi-totalité de l’accroissement de la population en France sur la période 2010-2019 est due au solde naturel, c’est-à-dire à la différence entre les naissances et les décès sur le territoire, pas à l’immigration, commente l’Ined.


 Focus du CAE N°73 Novembre 2021 sur l'immigration

3/ Il faut choisir ses immigrés

Si la France compte peu d’immigrés et que leur présence ne génère que des conséquences faibles sur l’économie française, ne peut-on tenter d’attirer des personnes dont l’arrivée aurait un impact positif ? C’est le sens du message principal qui ressort des études publiées mi-novembre par le CAE. Elles invitent à mettre en œuvre une politique « d’immigration choisie » consistant à privilégier l’accueil de personnes offrant une double caractéristique : être qualifiées et venir d’autres pays que ceux des immigrés actuels.

Emmanuelle Auriol et Hillel Rapoport soulignent ainsi qu’« une immigration peu qualifiée, peu diversifiée et concentrée géographiquement comme la nôtre alimente les biais de perception de l’opinion publique, tant sur le nombre que sur les caractéristiques des immigrés ». Instaurer un système à points, à l’image par exemple de ce qui se pratique en Australie ou au Canada, en fonction de la qualification et de l’origine géographique des demandes d’immigration, permettrait ainsi de faire d’une pierre deux coups : accueillir des personnes qui à la fois seraient mieux acceptées et soutiendraient la croissance.

Pourtant, la conclusion n’a rien d’évidente. Sur le plan sociétal, on prend le risque d’introduire une distinction, pour dire les choses directement, entre le « mauvais migrant », le Nord-Africain et l’Africain noir peu qualifié, et le « bon migrant », le qualifié non africain. La note donne l’exemple des ingénieurs indiens qui ne trouvent pas de travail dans leur pays, mais il y aurait un vrai problème à priver les pays du Sud de leurs élites pour notre propre bénéfice.

L’un des spécialistes du sujet à l’OCDE, Jean-Christophe Dumont, avance de son côté que, dans les pays riches en général, les immigrés diplômés du supérieur ont plus de problèmes à trouver un emploi que les diplômés nés dans le pays. Et spécifiquement en France : si l’effectif des migrants diplômés du supérieur a augmenté de plus de 60 % sur les dix dernières années, un sur deux de ces diplômés est soit inactif, soit au chômage, soit déclassé. On retrouve là un problème clé de notre politique d’immigration, à savoir la faible qualité de la politique d’accueil et d’intégration qui conduit à des concentrations urbaines fortes de population immigrée, ce qui nourrit leur stigmatisation.

On peut également signaler au passage que l’idée qu’immigration familiale et immigration de travail sont complètement décorrélées et que l’on pourrait uniquement se contenter de se préoccuper de la seconde, tout en se montrant dur sur la première, ne paraît pas justifiée. Posséder une carte de séjour vie privée et familiale autorise en effet à travailler. De plus, l’immigration de travail suscite souvent de l’immigration familiale.

Enfin, ce début de campagne présidentielle le confirme : le discours politique français dominant est hostile à l’immigration. Alors même que nous accueillons relativement peu, et mal, les immigrés et que leur impact sur l’économie française est globalement faible, ce n’est pas avec ce genre d’attitude que l’on peut attirer des migrants qualifiés.

Une immigration sélective à l’université ?

Dans sa recherche de leviers pour accélérer la croissance, le CAE en est convaincu : « l’accueil d’étudiants étrangers est l’un des facteurs clef pour augmenter l’immigration qualifiée. » Dans cette optique, le gouvernement Philippe avait élaboré le plan « Bienvenue en France », devenu effectif en 2020. Un plan élaboré face à un constat : la France est passée ces dernières années de la 4e à la 6e place du classement des pays d’accueil universitaire, au profit de l’Allemagne et de la Russie. « Ce déclin s’explique en partie par l’offre limitée de cours en anglais, verrou indépassable pour attirer des étudiants hors des circuits traditionnels de la francophonie », relève le CAE.

Avec « Bienvenue en France », le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé d’en augmenter le nombre et d’améliorer la qualité de ses formations. Sous son impulsion, le nombre de candidatures pour étudier en France a connu une progression particulièrement forte provenant des Amériques (+ 88 %) en 2020. Une augmentation qui cache cependant une sélection insidieuse : pour en financer le coût, le ministère de l’Enseignement supérieur a augmenté les droits d’inscription des étudiants étrangers extracommunautaires pour les fixer à 2 770 euros en licence et 3 770 euros en master, contre 170 euros et 243 euros auparavant. Une augmentation lourde de conséquences pour le Maghreb : le nombre de dossiers soumis en provenance du Maroc, de l’Algérie et de Tunisie a diminué en moyenne de 20 %.

Antoine Cariou

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