Pour Laurent Kupferman, essayiste et initiateur de la pétition en ligne «Osez Joséphine au Panthéon» - un clin d'œil à la chanson d'Alain Bashung - , qui a recueilli 38.000 signatures, Joséphine Baker est le symbole essentiel à l'unité nationale. «Nous avons besoin de nous rassembler. Et elle incarne cet universalisme à la française, qui est évidemment tout sauf le communautarisme et le repli identitaire», estime-t-il. Cette demande de panthéonisation a été faite par la famille Baker depuis 2013. Une première campagne avait été lancée par l'écrivain Régis Debray, mais François Hollande avait finalement retenu deux autres femmes résistantes. Depuis, le comité de soutien n'a pas baissé les bras. «Joséphine, c'est une longue histoire avec la France. C'est aussi une femme hors du commun : elle est audacieuse, impertinente, intrépide, elle a une intelligence rare. C'est un être de paix et de réconciliation, un exemple pour tous», souligne Jennifer Guesdon, très impliquée depuis 2019 parmi les personnalités qui ont défendu le dossier auprès d'Emmanuel Macron. « Quand le président nous a dit “oui”, cela a été une grande joie, une fierté et en même temps c'était comme une évidence. Elle le mérite pour tous ses engagements. Sa panthéonisation est un puissant symbole d'unité nationale et d'universalisme à la française», se souvient encore la chef d'entreprise.
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Femme de courage et de combats
En retenant Joséphine Baker après Simone Veil, le président Emmanuel Macron honore deux femmes de courage, de caractère et de combats. La France «distingue une artiste de music-hall de renommée mondiale, engagée dans la Résistance, inlassable militante antiraciste. Elle fut de tous les combats qui rassemblent les citoyens de bonne volonté, en France et de par le monde», indiquait en août l'Élysée lors de l'annonce officielle de l'entrée au Panthéon de l'artiste franco-américaine. Et d'ajouter : «pour toutes ces raisons, parce qu'elle est l'incarnation de l'esprit français, Joséphine Baker, disparue en 1975, mérite aujourd'hui la reconnaissance de la patrie».
Le 30 novembre, un cénotaphe honorant l'interprète de J'ai deux amours sera installé au Panthéon. Il contient de la terre provenant de quatre lieux emblématiques de la vie de l'artiste : Saint-Louis aux États-Unis où elle est née ; Paris ; Monaco (où elle repose) et des jardins du château des Milandes, où elle a résidé pendant 15 ans. Il sera déposé dans le même caveau, le XIII, que Maurice Genevoix, l'écrivain qui a immortalisé la mémoire des Poilus dans Ceux de 14, entré lui au Panthéon en novembre 2020. Seuls le nom de Joséphine Baker, ses dates de naissance et de mort seront inscrits sur le cercueil. Sa dépouille «restera à Monaco, où elle est enterrée au Cimetière marin», a précisé un de ses enfants, Jean-Claude Bouillon-Baker, assurant que cette décision avait été prise «en accord» avec la fratrie et avec «la compréhension de l'Élysée».
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Le 30 novembre, une date symbolique
Ce n'est pas la première fois que la France rend hommage à Joséphine Baker. En 1946, elle reçoit la Croix de guerre et la médaille de la Résistance, qui lui sera remise par Mme de Boissieu, fille du général de Gaulle. En 1961, c'est le général d'aviation Martial Valin qui remet enfin à Joséphine le ruban rouge de la Légion d'honneur à Milandes en Dordogne pour ses actions pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour la cérémonie d’entrée au Panthéon, la date choisie est éminemment symbolique : le 30 novembre marque en effet le jour anniversaire du troisième mariage, 84 ans plus tôt, de Joséphine Baker avec un Français d’origine juive, le riche et mondain courtier Jean Lion. Mariage qui permet à celle qui fut chanteuse, danseuse, actrice, meneuse de revue et résistante française d’acquérir la nationalité française.
Née Freda Joséphine Mc Donald le 3 juin 1906, dans une famille métissée afro-américaine et amérindienne très pauvre du Missouri, elle prit son nom d'artiste de Joséphine Baker en devenant la star de la Revue nègre au théâtre des Champs-Élysées à Paris en 1925. Vêtue d'un simple pagne de fausses bananes, elle danse au rythme du charleston. Son numéro fait scandale mais laisse rapidement place à l'engouement général. La «Vénus d’ébène», comme on la surnomme à l’époque, devient une star internationale à 19 ans et dira de la France, qu'il est un pays où on la regarde normalement et où elle peut se réaliser en tant que femme.
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En 1936, l’icône des Années folles retourne aux États-Unis pour une tournée. Mais la meneuse de revue y est beaucoup moins bien accueillie. Sous le feu des critiques, elle rentre en France, son pays de cœur. En 1939, en pleine Seconde Guerre mondiale, l'artiste s'engage dans la Résistance et devient agent du contre-espionnage français. Le sous-lieutenant Joséphine Baker sera envoyé en Afrique du Nord pour soutenir les troupes alliées et obtenir des informations importantes. Elle entre dans la légende en cachant de précieux messages dans ses partitions de musique et un microfilm dans son soutien-gorge. Elle organise également des concerts pour financer l'armée de la France libre, et tente de remonter le moral des troupes avec des représentations.
Le racisme honte de l'humanité
Au lendemain de la Libération, fervente gaulliste, elle se consacra à sa grande idée: montrer que le racisme est la honte de l'humanité. Avec son nouveau mari le chef d'orchestre Jo Bouillon, qu'elle épouse en 1947, elle rêve de fonder un «Village du Monde, Capitale de la Fraternité universelle» pour montrer que des enfants de nationalités et de religions différentes peuvent vivre ensemble dans la paix. Ils adoptent douze enfants, venus des quatre coins du monde, formant ce qu'elle appelait sa «tribu arc-en-ciel». Elle installe sa famille dans un grand château de Dordogne, les Milandes. Mais le projet est démesuré et oblige la famille à le revendre.
« Je n'aurais jamais cru qu'une femme de couleur puisse être enterrée à Paris comme une reine ».
Margaret Wallace
Après son engagement militaire et résistant fort, elle s'attaque cette fois-ci au racisme. Dès 1950, Joséphine Baker soutient le Mouvement afro-américain des droits civiques. En 1963, elle participe à la Marche vers Washington pour le travail et la liberté organisée par Martin Luther King, où elle rend hommage à des activistes comme Rosa Parks. En parallèle de ses engagements, Joséphine Baker, criblée de dettes, est obligée de remonter sur scène : elle se produit à l'Olympia de Paris en 1968, à Belgrade en 1973, à Carnegie Hall en 1973, à Londres en 1974 ainsi qu'au Gala du cirque à Paris…
Des noces d'or avec la scène à Bobino
En 1975, l'artiste célèbre ses noces d'or avec la scène lors d'une rétrospective de sa carrière, avec Joséphine à Bobino. Mais, le lendemain de sa quatorzième représentation, le 10 avril 1975, Joséphine Baker est victime d'une hémorragie cérébrale et est hospitalisée à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Alors qu'elle est plongée dans le coma, elle décède deux jours plus tard, le 12 avril 1975, à 68 ans. Jean-Claude Dauzanne, directeur de la salle de music-hall, ferme les portes de Bobino huit jours en signe de deuil. Après un hommage militaire, des funérailles à la Madeleine à Paris, «Je n'aurais jamais cru qu'une femme de couleur puisse être enterrée à Paris comme une reine», dira ce jour-là Margaret Wallace, sa sœur. Quarante-cinq ans plus tard, avec son entrée au Panthéon, Paris retrouve à nouveau Joséphine.
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