Une crique ourlée de palmiers, une eau turquoise qui se met à scintiller sous le soleil lorsque la tête d’une tortue émerge soudain de l’onde, au large. Bienvenue en Guadeloupe et en Martinique, deux départements français d’outre-mer. Avec leurs paysages de rêve, elles font partie des destinations préférées de bon nombre de Français en hiver. Un paradis de carte postale.

Mais cette première impression est trompeuse. Les deux îles antillaises sont un exemple dramatique de la sous-estimation des ravages occasionnés par les pesticides pendant des décennies. Pour sauver la production bananière, les pouvoirs publics et les lobbyistes ont même accepté délibérément les risques liés à l’utilisation du chlordécone.

Alors qu’il était interdit depuis longtemps en métropole, les plantations guadeloupéennes et martiniquaises ont continué à l’utiliser. Résultat : les sols sont contaminés et les deux îles affichent le plus fort taux de cancers de la prostate à l’échelle mondiale.

Le rôle de l’État

Le débat [s’est récemment ouvert] sur le rôle qu’a joué l’État français dans cette affaire. En sa qualité de chef de l’État, Emmanuel Macron [a reconnu publiquement en septembre 2018] qu’il s’agissait d’un “scandale environnemental”. La contamination est “le fruit d’un aveuglement collectif” et de la négation des risques, a-t-il déclaré.

“Nous avons continué à utiliser le chlordécone parce que l’État, les élus locaux ont accepté cette situation, pour ne pas dire l’ont accompagnée, en considérant qu’arrêter le chlordécone c’était menacer une partie des exploitations.” L’État doit aujourd’hui assumer une part de cette responsabilité, a reconnu Emmanuel Macron. [En février 2019, le président s’est toutefois montré plus mesuré, indiquant que “le chlordécone n’était pas une substance cancérigène”.]

C’est en effet une commission rattachée au ministère de l’Agriculture qui, en 1972, délivre l’autorisation de mise sur le marché du pesticide en France. Cette même commission a rejeté le dossier de demande trois ans plus tôt, les tests menés sur des rats en laboratoire ayant démontré la toxicité de ce produit également commercialisé sous les noms de Képone et de Curlone. Jusqu’à 1981, la France refuse la mise sur le marché officielle mais prolonge à plusieurs reprises les autorisations provisoires.

Interdit ici, pulvérisé là

Le chlordécone est d’abord produit par Allied Chemicals aux États-Unis. Il y est pourtant interdit depuis le milieu des années 1970 après des cas de maladies chez des ouvriers d’une usine de Hopewell (en Virginie, aux États-Unis) et la contamination de la rivière James.

En 1979, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe le chlordécone parmi les “cancérogènes probables”. La même année, le cyclone David dévaste les Antilles.