À l'aube de la campagne présidentielle, le « cas » Dupont-Aignan porte une part de mystère. Comment expliquer qu'en dépit des sondages, il échoue à constituer des listes dans plus de quatre régions pour les régionales (Paca, la Bretagne, les Pays de la Loire et les Hauts-de-France, et DLF sera représenté, grâce à une alliance avec LR, en Bourgogne-Franche-Comté) alors qu'il y était parvenu partout en 2015 ? Quand on l'interroge ce 18 mai, Nicolas Dupont-Aignan bombe le torse et envoie l'objection balader. Certes, il y a eu un léger raté. « Et alors ? Ce qui compte, c'est la présidentielle », balaye-t-il, admettant du bout des lèvres avoir dû reculer pour des problèmes de finances : en Île-de-France, où la campagne avait officiellement commencé, la tête de liste n'a pas réussi à convaincre les militants de mettre la main à la poche. « Il nous fallait au minimum 120 000 euros, mais même les colistiers n'ont pas voulu payer. Ils préfèrent se réserver pour la présidentielle… » confie Alexis Villepelet, qui a préféré jeter l'éponge. Officiellement, le leader de Debout la France vante la stratégie « raisonnable » d'un parti « bien géré » qui refuse de s'endetter, et court les matinales radio en brandissant les sondages, qui le créditent en moyenne de 6 % des voix au premier tour en 2022, « autant qu'Anne Hidalgo ! ». Il en reste convaincu : il ferait un « bien meilleur président » que Marine Le Pen, assure-t-il. « La droite, prise en étau entre le RN et La République en marche, est écartelée sur la question majeure de la mondialisation et vouée à disparaître. » Qui d'autre que lui peut rassembler une large famille souverainiste allant de Jean-Pierre Chevènement à Marion Maréchal ? « Cette famille va gouverner, je le sais. » Le tout est de savoir quand… Et surtout avec qui. Ses appels récurrents à recréer, sous sa férule, un vaste « RPR du XXIe siècle » restent souverainement ignorés. « Nicolas a un ego hypertrophié, il se surestime, persifle l'un des destinataires. N'est pas de Gaulle qui veut ! »
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Le « Bayrou » de la droite
En réalité, le loupé des régionales révèle surtout les turbulences qui gênent les ambitions du député de l'Essonne, au point de mettre en péril la marque fondée en 2008 après son départ tonitruant de L'UMP. Ces dernières années, l'étendard de son opposition au traité de Maastricht et ses postures de scandalisé permanent ont rallié à Debout la France un socle de nostalgiques d'un gaullisme populaire jadis incarné par Charles Pasqua et Philippe Séguin. Mais lorsqu'au deuxième tour de 2017, le « Bayrou de la droite » choisit d'offrir ses 4,7 % à Marine Le Pen, dont le programme se rapproche pourtant le plus du sien, beaucoup claquent la porte – jusqu'à son fidèle ami Olivier Clodong, son successeur à la mairie de Yerres. « J'en ai pleuré, j'ai pris cela comme une trahison. » Et l'hémorragie s'accroît quand, à l'approche des législatives, il fait brusquement volte-face. « Financièrement, l'accord était excellent », grince Jean-Philippe Tanguy, son ancien bras droit. « Mais Nicolas a eu peur de perdre l'Essonne, qui a massivement voté pour Macron »… « Une fable ! » rétorque l'intéressé, justifiant son revirement par le fiasco du débat télévisé de l'entre-deux-tours. « Marine Le Pen a montré son incompétence, elle n'est pas apte à gouverner. » Nicolas Dupont-Aignan retient alors ses troupes avec la promesse de bâtir une union des droites pour les européennes. Mais il se fâche avec les ralliés, et l'expérience des « Amoureux de la France » tourne court : sa liste récolte 3,51 % des suffrages, très loin des 8 % dont la créditaient les sondages. Une humiliation.
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« Nicolas est un gestionnaire local exceptionnel », soupire un ancien proche qui lui garde de l'affection, « mais il a une pensée cyclique, et le moindre changement le déstabilise. Il était terrifié à l'idée d'aller à Bruxelles, et il n'a pas compris qu'il s'était complètement perdu dans l'aventure des Gilets jaunes. » Cocasse… Car lui dirait plutôt qu'il s'est trouvé : en octobre 2018, sur les ronds-points, Nicolas Dupont-Aignan a rencontré la France. « Et comme beaucoup de gens qui ne connaissent pas le peuple, il a cru que ce qu'il lisait sur les réseaux sociaux, c'était la vraie France », soupire l'un de ses ex-compagnons de course. « Et il le croit encore. »
Des Gilets jaunes au complotisme
L'année 2018 marque une rupture brutale dans le positionnement et dans la stratégie du candidat souverainiste. « Lorsque le mouvement a émergé, ses revendications sur la pression sociale et fiscale étaient très proches des nôtres », confie son ancien directeur de la communication Alexandre Loubet, qui a rejoint en décembre, avec une centaine d'autres cadres du parti, le Rassemblement national. « Mais après le saccage de l'Arc de Triomphe, les gens sincères et dépolitisés ont déserté les ronds-points. Et Nicolas s'est retrouvé à défendre des casseurs ! » « Je n'aurais jamais imaginé qu'un sous-préfet sortant de l'ENA mettrait un gilet jaune pour aller faire un speech devant une pompe à essence », hallucine alors un ami de trente ans. Alexandre Loubet s'efforce de contenir ses interventions – sans succès. Et relate comme un cauchemar l'aube qui a suivi l'incendie de la cathédrale Notre-Dame.
« Nicolas Dupont-Aignan habite juste en face. En sortant de chez lui, il croise un tailleur de pierres en larmes doutant qu'un simple mégot ait pu faire partir les flammes… » Quelques minutes plus tard, le candidat diffuse une vidéo dans laquelle il s'interroge – à rebours des déclarations officielles – sur la possibilité d'un attentat. « Je l'assume totalement », martèle aujourd'hui le souverainiste, qui sait à quel point sa nouvelle popularité est corrélée à sa communication « sans filtre ». Depuis le départ de ses cadres, il s'est beaucoup rapproché d'un fondateur du mouvement des Gilets jaunes, devenu son conseiller officieux. Ils communiquent plusieurs fois par jour, discutant des thèmes à traiter, de leur impact. « Ce qui marche le mieux, ce sont les révélations et tout ce qui concerne la santé », détaille le président de Debout la France. La semaine du 12 avril, il a explosé les compteurs en dénonçant la mise en place « d'un système de surveillance généralisée des réseaux sociaux » par le gouvernement à un an de la présidentielle (en réalité, l'exécutif va faire analyser sa réputation en ligne) et en fustigeant une « cabale contre les traitements », notamment l'hydroxychloroquine du Pr Didier Raoult : « On a un État scandaleux qui est en train de laisser mourir les gens ! » Jackpot. « J'ai fait un million d'interactions cette semaine-là, alors que Macron n'en a fait que 300 000. Vous vous rendez compte ? »Il a une grande pochette dans laquelle la secrétaire lui glisse aussi bien un rapport de la Cour des comptes qu’un message de Micheline qui croit aux chemtrails…
Grisé par ses audiences, Nicolas Dupont-Aignan se persuade qu'il répond aux attentes du public. Et chaque jour, sur Facebook, il s'indigne. Véritable croisé de l'hydroxychloroquine du Pr Didier Raoult, il affirme avoir lu « des centaines d'études prouvant son efficacité, dont personne ne parle jamais ». Des études trouvées sur le site Internet c19study, confie-t-il, sans savoir que l'adresse est référencée comme « complotiste » et connue pour présenter des sondages comme des études et publier de fausses méta-analyses. Qui sont les « dizaines de médecins libres » lui affirmant traiter avec succès des malades du Covid ? Nicolas Dupont-Aignan n'en cite jamais qu'une seule, « la cheffe de service Véronique Roger », en réalité généraliste salariée à mi-temps de la médecine du travail, et membre de Debout la France. Quant à l'opinion du candidat sur les vaccins, elle est éclairée par Serge Rader, conseiller national et expert « médicaments » du parti, antivaccin notoire interviewé dans le documentaire conspirationniste Hold-Up. « C'est le problème de Nicolas », soupire un proche. « Il lit tout ce qu'on lui envoie. Il a une grande pochette dans laquelle la secrétaire lui glisse aussi bien un rapport de la Cour des comptes qu'un message de Micheline qui croit aux chemtrails… Et il n'a aucun filtre. Il n'a pas la formation pour comprendre, et il est persuadé que la vérité scientifique n'existe pas. » Un défaut répandu dans la classe politique française, subitement révélé par la crise sanitaire. Son ami Olivier Clodong temporise. « Il a été plutôt clairvoyant sur la pandémie, il a raison lorsqu'il dit qu'on sacrifie la médecine depuis des années, que le sous-équipement médical est un vrai problème, ou qu'il est grave pour nos médicaments de dépendre totalement de la Chine. Mais c'est vrai que sa stratégie Internet, qui lui apporte beaucoup d'audience, peut le desservir… »
La dernière croisade ?
C'est tout le paradoxe du nouveau positionnement de Nicolas Dupont-Aignan. À mesure que Marine Le Pen se « normalise », lui accentue l'outrance pour se distinguer d'elle, et se marginalise. Au point de brouiller le positionnement qu'il avait jusqu'alors adopté, celui d'un souverainiste « sérieux, hypercompétent et raisonnable sur le plan économique ». Cette popularité dans les sondages, qui reflète l'adhésion d'un nouveau public éloigné depuis longtemps des urnes, peut-elle – et va-t-elle – se traduire en votes ?
Chez LR comme au Rassemblement national, on en doute – sans toutefois oser attaquer publiquement le candidat. « Il vaut mieux que ces six points basculent de notre côté que l'inverse », résume placidement le LR Julien Aubert. Mais chaque prise de position outrancière éloigne davantage le « Bayrou de la droite » de ses alliés naturels. « Il fout les jetons à son propre électorat, des classes moyennes plutôt âgées, qui sont des gens raisonnables », tacle un poids lourd LR. Qui se risque à un pronostic : « Dupont-Aignan est seul. Il n'est parvenu, en dix ans, à rallier qu'un seul député… Sa seule chance de durer est que Marine Le Pen s'écroule. Pour cette élection, il joue sa survie. » Fin 2019, le parti ne comptait plus que 3 000 adhérents, selon la commission nationale des comptes de campagne. Approché en février, Laurent Wauquiez a poliment rejeté une proposition d'alliance pour les régionales… Et si Marine Le Pen se garde de la moindre critique vis-à-vis de celui qu'elle avait choisi, en 2017, comme potentiel Premier ministre, ses proches en gardent un souvenir gêné. « Vous imaginez un gouvernement avec Dupont-Aignan et Florian Philippot, qui est lui aussi totalement parti en vrille ? »
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