25/04/2021

L’Asie saura-t-elle contenir la Chine sans l’Occident ?

Un nouvel ordre régional se dessine en Asie avec le recul de l’influence des anciennes puissances coloniales occidentales, estime ce spécialiste de la région dans la Nikkei Asia. Les pays démocratiques de la région pourront-ils pour autant proposer une alternative au  modèle chinois ?

Quand les historiens écriront au sujet de 2020, cette année sera peut-être présentée comme la fin de ce qui, jusqu’à présent, était souvent appelé l’époque postcoloniale en Asie. Ce tournant est notamment marqué par une évolution sans appel du rapport de force économique, le pouvoir passant des anciennes puissances coloniales occidentales aux anciennes colonies orientales. Cette évolution s’accompagne d’une érosion de l’influence géopolitique et morale de l’Occident.

Non seulement les États-Unis et l’Europe ont perdu du terrain sur le plan économique face à l’Asie, à la fois en matière de volume d’échanges, d’investissements et de croissance, mais ils ont aussi beaucoup perdu de leur capacité à guider et à influencer les changements politiques, à servir de référence morale et, en dernier lieu, à faire appel à la force militaire pour influencer les événements.

La pandémie accentue une tendance présente

En 2019, la Chine a exporté des biens et services pour un montant supérieur à 2 600 milliards de dollars [2 177 milliards d’euros], soit un peu plus que le total des États-Unis, 2 500 milliards de dollars [2 093 milliards d’euros]. Les États-Unis conservent peut-être une avance sur la Chine en matière de dépenses militaires et de force de frappe, mais les spécialistes avertissent que la Chine est en passe de combler cet écart, et que les États-Unis ne seraient pas forcément vainqueurs si un conflit éclatait en Asie.

En 2020, ces tendances ont été accentuées par deux catastrophes : la pandémie de Covid-19 et un effondrement politique aux États-Unis.

Pour ce qui est de la pandémie, c’est la réaction de l’Asie qui s’est révélée la plus efficace. Les puissances occidentales, qui avaient défini le cadre de la gouvernance mondiale et du commerce international depuis 1945, ne peuvent plus s’ériger en modèle : affaiblies sur le plan économique, elles se sont aussi interrogées, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur leur socle démocratique et politique commun en l’absence de leadership américain.

Des valeurs à définir ?

Ce fait nouveau est incarné par l’ascension inexorable de la Chine, qui a défié toutes les initiatives visant à ralentir son avance technologique croissante, à limiter l’expansion de sa force militaire et à sanctionner les atteintes aux libertés de ses citoyens. La Chine s’est affranchie des contraintes normatives et stratégiques de l’ancien ordre postcolonial, mais elle a aussi forcé les anciennes puissances coloniales à mettre les politiques et les accords commerciaux au service des intérêts asiatiques, dominés par la Chine, et non l’inverse.

Reste à savoir comment l’Asie occupera le vide laissé par l’Occident et mettra sa puissance économique au service de l’humanité ; comment définira-t-elle les valeurs fondamentales devant accompagner et renforcer l’influence croissante de la région ? Si l’on en croit la panique qui saisit les spécialistes de la politique étrangère aux États-Unis et dans certains pays d’Europe, la perspective d’un monde dominé par le Parti communiste chinois se profile dangereusement.

Mais l’alarmisme que suscite l’ascension chinoise masque le fait que les deux autres plus grandes économies asiatiques, le Japon et la Corée du Sud, sont des démocraties, tout comme les deux pays les plus peuplés après la Chine : l’Inde et l’Indonésie. Hong Kong a peut-être perdu ses libertés, mais Taïwan se porte bien, et Singapour abandonne progressivement son carcan socio-économique afin d’accueillir sur la durée le dynamisme entrepreneurial de toute la sphère sous influence chinoise.

Une jeune génération vigilante

Le paysage politique de la région a beaucoup évolué depuis le milieu des années 1990, époque où l’arrogance résultant de la croissance économique et du développement rapide poussait certains pays à promouvoir de supposées valeurs asiatiques pour justifier un régime politique à la fois paternaliste et autoritaire.

Les transitions démocratiques engagées entre 1980 et 2000 se sont consolidées au fil du temps, malgré des revers. La société civile n’a jamais été si dynamique, la jeune génération est à la fois vigilante, optimiste et connectée grâce aux réseaux sociaux. L’innovation technologique et entrepreneuriale est en pleine forme. En supposant que l’Occident continue de s’affaiblir, à quoi ressembleront les normes définies par l’Asie au milieu du XXIe siècle ?

L’environnement est l’une des principales priorités. Les répercussions du changement climatique sont bien plus frappantes en Asie en raison du dangereux cocktail composé de la hausse du niveau de la mer, des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes et de l’augmentation des températures. À noter toutefois qu’en Asie les entreprises et les institutions résistent moins face à la nécessité d’agir, surtout par rapport aux États-Unis.

Vers une attention accrue aux inégalités ?

Suivent les enjeux d’une gouvernance transparente et l’urgence d’atténuer les inégalités. La croissance et le développement en Asie ont principalement servi les élites, et il est indispensable de s’attaquer aux profondes inégalités. Dans la région, la pandémie aura montré que les États doivent affecter plus de moyens à la santé publique et à la protection sociale. Contrairement aux États-Unis et à l’Europe, les grands pays asiatiques ont davantage de marge budgétaire et la volonté collective d’afficher une saine gestion des dépenses publiques.

Le non-alignement constructif sera un élément fondamental de la sécurité régionale à l’avenir. L’ordre postcolonial reposait sur l’alignement et les alliances. Les États-Unis et l’Europe ont prospéré grâce aux alliances construites sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale et pendant la guerre froide, et une grande partie de l’Asie a souffert de l’élargissement de ce clivage idéologique jusque sur ses territoires.

Par conséquent, il existe une réticence naturelle à l’idée de s’aligner sur les grandes puissances, ce qui encouragera la paix et le développement coopératif, même si l’Occident en déclin cherche à diviser et à polariser les régions pour contrer l’ascension chinoise.

Se défaire des réflexes étroits

La poursuite de ces objectifs ne sera pas de tout repos. Pour les atteindre et contribuer au bien commun à l’échelle mondiale, l’Asie doit investir dans une diplomatie audacieuse et créative, et fournir à la population une nouvelle définition de sa place dans le monde, dans la mesure où l’Occident était depuis longtemps vu comme un modèle pour elle. L’Inde, l’Indonésie, le Japon et la Corée du Sud sont autant de pays qui ont un incroyable potentiel de rassemblement, mais ils doivent renoncer à la défense individualiste de leurs intérêts étroits, comme le protectionnisme commercial et la souveraineté.

Le plus grand des défis consistera à gérer la Chine dans ce nouveau rapport de force. Sa brutalité et son intransigeance hostile découlent en grande partie d’un passé d’agressions et d’ignominies coloniales. S’affranchir du postcolonialisme permettra d’atténuer cette blessure.

Les anciennes puissances coloniales étant en retrait, les puissances moyennes asiatiques réussiront peut-être mieux à persuader la Chine de soutenir des normes plus ouvertes et constructives qui respectent les règles du droit.

Source Courrier international par Michael Vatikiotis



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