10/04/2021

La Chine affole les prix des matières premières - Challenges

Du delta de la Rivière des Perles, épicentre manufacturier du pays, aux mégapoles côtières en passant par les régions intérieures, la Chine est sous tension industrielle. Malgré la crise sanitaire, l'usine du monde - qui concentre 28 % de la production mondiale - tourne à plein régime. Dans les principaux bassins industriels du pays, c'est à peine si l'effet Covid-19 se fait encore sentir. La deuxième économie mondiale vise même, pour 2021, une croissance supérieure à 6% une exception quand les autres puissances du globe sont toujours au ralenti. "La dynamique est particulièrement forte depuis le début de l'année, confirme Stéphane Vigouroux, qui pilote depuis Dongguan - ville usine placée à quelques encablures de Shenzhen - les activités locales du groupe français Pellenc, fabricant d'outillages électroportatifs. Toutefois, c'est à peine si nous arrivons à répondre à la demande."

15 à 30 % en moyenne

Et cette reprise tambour battant s'accompagne d'une hausse vertigineuse des prix des matières premières. Aluminium, zinc, nickel, cobalt, polymères… Mais aussi caoutchouc, coton, céréales. La poussée est générale, de l'ordre 15 à 30 %, en moyenne, sur un an. Du fait de la demande chinoise croissante, le prix de la tonne de fer a même doublé en 2020, à 160 dollars. Et pourrait se négocier à 200 dollars en cours d'année, selon des projections du Beijing Steel Information Research Center. Idem pour l'acier brut dont la Chine est le premier producteur mondial. Alors que son cours atteint déjà des sommets, une hausse de près de 7 % a été enregistrée en une seule journée, le 11 février, à la veille du Nouvel an chinois. Pour le cuivre, même constat. Il y a un an, la tonne de cuivre valait 4 000 dollars ; à présent elle se négocie à 8 000 dollars et pourrait prochainement flirter avec les 10 000 dollars. Conséquence : en février, la hausse des prix à la production en Chine s'est inscrite à son niveau le plus élevé depuis près de trois ans.

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"Notre résultat net a fondu"

Pour les PME industrielles, gourmandes en matières premières, la situation vire au casse-tête. "Cette poussée sur les prix est préoccupante et réduit nos marges. Elle impacte l'ensemble de la supply chain", soupire Stéphane Vigouroux qui pourtant affiche une hausse d'activité de 25 % depuis janvier. Même paradoxe et même son cloche à Wuhan, à 1 000 kilomètres plus au nord. Là, au cœur du pays - dans ce bastion de l'industrie automobile chinoise blotti sur les bords du fleuve Yangzi -, les sous-traitants tricolores tirent eux aussi la langue. Et travaillent en continu. C'est le cas du groupe Acome, spécialisé dans la fabrication de fils et de câbles à base principalement de cuivre et de plastiques. Autant de composants dont les prix ont récemment flambé.

"C'est vrai en particulier du cuivre" , abonde Frédéric Briand, qui dirige sur place l'unité de production du groupe français. Lui aussi constate une augmentation record de ses volumes de production. "Mais notre résultat net a presque entièrement fondu du fait de cette inflation sur les matières premières", témoigne-t-il.

Plusieurs facteurs expliquent cette tension. La force du redémarrage économique - que peu d'experts avaient anticipé - du géant chinois d'abord. Et ce, dès le deuxième semestre 2020. "Les moyens industriels sont repartis d'un coup. A tel point que les niveaux de production sont aujourd'hui comparables à ceux de 2019 , analyse un autre industriel français, installé à Shanghai. Or, dans un contexte de crise mondiale, les stocks restent limités. Ce qui crée un effet d'aubaine chez de nombreux fournisseurs locaux lesquels en profitent pour augmenter les tarifs."

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Forte demande de lithium

Autre effet sur les prix : la forte demande chinoise sur des matériaux stratégiques comme le lithium, très utilisé notamment dans les véhicules électriques, et plus largement dans les industries vertes et digitales. Alors que Zhongnanhai (l'Elysée chinois) cherche à s'imposer comme le futur leader sur les renouvelables, "les cours flambent sur ce type de matières premières" , reconnaît Stéphane Vigouroux. En janvier, l'entrepreneur a ainsi dû absorber - contraint et forcé - une augmentation importante de ses fournisseurs en cellules de lithium ion. "Nous n'avons, pour ainsi dire, pas pu négocier" . C'était à prendre ou à laisser…

Last but not least : à ces facteurs conjoncturels s'ajoute depuis plusieurs mois un effet de spéculation sur les marchés boursiers. "Les matières premières sont considérées, en ces temps de crise mondiale, comme une opportunité d'investissement , relève le même industriel à Shanghai. C'est particulièrement vrai pour le cuivre, le nickel, l'étain et le pétrole."

Dès lors, comment ce cocktail inflationniste sur les matières premières va-t-il impacter le bilan des entreprises, déjà touchées par la hausse des taux de fret (lire encadré ci-dessus) ? Les pronostics restent hasardeux. Mais une chose est sûre : il sera difficile de répercuter cette hausse en bout de chaîne. Sur ce sujet, les avis sont unanimes. Les contrats en Chine qui lient les PME à leurs distributeurs sont en effet figés dans le temps. "Ils s'étalent généralement sur deux ou trois ans, période durant laquelle les prix doivent rester stables, voire baisser si la demande augmente, explique un industriel italien, installé à Hang-zhou, spécialisé dans les solutions domotiques. Nous allons sans doute réduire nos coûts industriels. Si ça ne suffit pas, nous devrons peut-être rogner sur nos frais généraux et administratifs." En d'autres termes : baisser les salaires ou freiner les embauches. La situation révèle à quel point la Chine est devenue influente sur les prix des produits de base. Elle est même aujourd'hui le principal arbitre sur ce marché stratégique. Et si convoité.

Le cours du fret maritime s'envole

C'est la double peine. En plus d'une inflation généralisée sur les matières premières, les industriels exportateurs, implantés en Chine, font face à une hausse historique des taux de fret. En cause : la pandémie de Covid qui, en dopant la demande mondiale de produits manufacturés, a saturé les principales voies maritimes du globe de navires de marchandises made in China. "Le fret maritime est sous tension , témoigne, depuis Wuhan, Frédéric Briand, du groupe tricolore Acome, qui fait venir depuis l'Europe différentes matières premières, dont des polymères. La demande est telle qu'en à peine un an le prix du fret au départ ou à l'arrivée de Chine a augmenté de 36 %."

Partout, les restrictions sanitaires allongent les délais de livraison. Dans la plupart des ports asiatiques, un temps de deux semaines entre les escales est imposé lorsqu'un membre d'équipage est testé positif au coronavirus. Résultat : les places à bord sont chères… et rares. Beaucoup de navires sont bloqués soit dans la région, soit aux Etats-Unis ou en Europe. "Et ceux qui partent de Chine sont pleins, confirme à Dongguan Stéphane Vigouroux, du groupe Pellenc, qui habituellement fait partir deux conteneurs par semaine vers la France.

C'est devenu plus compliqué. La pandémie a tout changé." Une situation qui, selon la plupart des pronostics, pourrait durer plusieurs mois encore. "Les capacités sont toujours limitées et les prix continuent de s'envoler" , prévenait ainsi en février le transitaire français Qualitair & Sea. Le blocage du canal de Suez pendant plusieurs jours fin mars après l'échouage du cargo géant Ever-Given n'a rien arrangé à l'affaire. 

 

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