11/02/2021

OpenLux : posez vos questions à propos de l’enquête sur le Luxembourg, paradis fiscal situé au cœur de l’UE

   

Source lemonde.fr par Jean-Michel Bezat

Une base de données inédite constituée par « Le Monde » révèle que plus de 6 500 milliards d’euros sont stockés dans des sociétés offshore au Luxembourg. Parmi les propriétaires : des milliardaires, des artistes, des sportifs ou des criminels.

OpenLux est une enquête lancée par Le Monde sur la face cachée du Luxembourg, un paradis fiscal situé au cœur de l’Union européenne. Malgré les engagements pris par le Grand-Duché en matière de transparence et de fair-play fiscal, nos articles révèlent que près de la moitié des entreprises commerciales enregistrées dans le pays sont de pures holdings financières, des sociétés offshore totalisant pas moins de 6 500 milliards d’euros d’actifs.

Lire aussi OpenLux : enquête sur le Luxembourg, coffre-fort de l’Europe

Qu’avons-nous appris grâce à cette enquête qui a duré un an ? Comment avons-nous travaillé pour « faire parler » les registres luxembourgeois ? Posez vos questions aux auteurs de l’enquête Jérémie Baruch, Mathilde Damgé, Maxime Ferrer, Anne Michel et Maxime Vaudano jeudi 11 février à 15 heures.

Voir la nouvelle actualité
“La France a fait de la transparence des bénéficiaires actifs l’une de ses priorités”

, a affirmé

mardi 9 février le ministre des comptes publics

, à l'Assemblée nationale, en réponse au groupe communiste qui l’interrogeait sur les enseignements d’OpenLux. C’est grâce à l’initiative française, a vanté Olivier Dussopt,

“qu’un registre centralisé et public a été constitué en 2016 au niveau européen, ce qui nous permet de nous appuyer sur un outil répertoriant plus de 3,5 millions d’entreprises, de personnes morales, de trusts ou de fiducies qui ont recours à ces montages internationaux”.

Mais, contrairement à ce qu'affirme M. Dussopt, non seulement la France n'a pas accès aux données des registres de bénéficiaires effectifs des autres pays, mais elle est encore loin de faire sa part pour que de telles données soient disponibles pour le grand public.


Bonjour -a2lbd

Nous avons listé plus de 150 nationalités parmi les bénéficiaires donc nous ne pourrons pas vous donner le détail exhaustif de nos calculs !

Les 100 milliards venus des bénéficiaires qui se sont déclarés comme Français arrivent en cinquième position.
 

Si on remonte le classement nous avons ensuite les Britanniques en 4e position avec 130 milliards, les Brésiliens avec 137 milliards (dont plus de la moitié détenus par les 3 personnes les plus fortunées du pays), les Suisses avec 139 milliards et enfin, la plus haute marche est occupée par les Américains avec 157 milliards.

Bonjour, la France est liée par des conventions fiscales aux autres Etats, négociées au cas par cas, déterminant où les citoyens paient leurs impôts, afin d'éviter la double imposition, mais aussi la double non-imposition. Bruxelles travaille de son côté sur une assiette commune : l’idée est de taxer les multinationales sur la base du bénéfice total qu’elles réalisent dans l’Union européenne, plutôt que pays par pays. Elaborée en 2011, cette “assiette européenne” tarde à voir le jour : elle se heurte  à l’opposition d’Etats membres où l'impôt sur les sociétés est le plus faible, comme la Hongrie, la Bulgarie, l'Irlande, les Pays-Bas et Malte.


Bonjour Raphael, 

Vous avez raison. Il est effectivement interdit de compiler les données d'une base de données, même publique, pour en faire une réutilisation, commerciale.

En revanche, il y a une clause spécifique pour les journalistes, qui leur permet de collecter, compiler et divulguer des informations qu'elles proviennent de sources ouvertes ou non, si "le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis" (article 6 (1) f du règlement européen 2016/679).


Bonjour Alex

Nous avons évidemment regardé de ce côté-là lors de nos recherches. Nous avons passé à la moulinette l'intégralité du 

répertoire national des élus

 ainsi que la liste des membres du gouvernement. À l'exception de quatre ou cinq adjoints municipaux élus dans des petites communes, nous n'avons trouvé aucun bénéficiaire effectif qui méritait de plus amples investigations.


 

Seuls quelques noms d'hommes politiques déclarés comme administrateurs (et non des bénéficiaires) sont sortis du chapeau mais leurs liens avec le Luxembourg étaient déjà connus, comme

Bernard Brochand

ou

François Barouin

.


Pour l'instant, non, même si cela serait très intéressant, car Guernesey et Jersey restent des paradis fiscaux importants.

En théorie, ces territoires sont censés mettre en place des registres des bénéficiaires effectifs des sociétés, sur le même modèle que celui du Luxembourg, en 2023. Nous vous donnons donc rendez-vous dans deux ans !


Bonjour Mohamed, 

Ce n'est pas pour rien que l'une des particularités de toutes ces personnes que l'on retrouve dans la base OpenLux est leur niveau de vie (très) aisé...


Pour le Luxembourg, il y a deux principaux intérêts :

  1. Autour de ces sociétés luxembourgeoises, il y a tout un écosystème de conseillers financiers, d'avocats, de comptables et de banquiers luxembourgeois qui proposent des services de création et de gestion des entreprises. Cette activité génère à elle seule près d'un milliard d'euros de revenus pour le Luxembourg.
  2. Comme le dit l'économiste Gabriel Zucman, « jouer la concurrence fiscale peut rapporter gros à de petits pays, dès lors qu’ils attirent un grand nombre d’entreprises ou des milliards de bénéfices comptables. Appliqué à une énorme assiette fiscale, même un taux faible génère beaucoup d’impôts à l’échelle de leur économie ».


Bonjour, en France, le registre public des bénéficiaires effectifs n'est pas encore disponible pour toutes les sociétés (environ 500 000 à ce stade) mais l'INPI, l'organisme public chargé de rendre publiques ces données, va les libérer peu à peu.
Des données qui ont longtemps été le monopole d'Infogreffe, le site des greffiers des tribunaux de commerce, et qui doivent donc désormais remonter à l'INPI puis à des diffuseurs comme Pappers ou Société Ninja.


Il existe heureusement des moyens de réguler les flux financiers en dehors de l'Union européenne. Sinon, effectivement, toute tentative dans ce sens serait vaine.

C'est tout le sens du travail mené depuis la crise financière par l'OCDE, un organisme international, pour proposer des réformes pour lutter contre l'optimisation fiscale. C'est grâce à cela qu'il existe aujourd'hui un échange automatique des informations bancaire qui s'applique à la plupart des pays du monde.

L'Union européenne a un poids suffisant à l'échelle mondiale pour peser sur ces grands débats internationaux.

Bonjour Elvy, 

la différence entre Singapour, la Suisse et les autres pays de l'Union européenne, c'est justement cela : ils ne sont pas dans l'Union européenne. Pour pouvoir investir dans l'Union européenne, il est beaucoup plus facile d'avoir des sociétés qui sont au coeur de l'Union européenne qu'en dehors. En d'autres termes, les "alarmes internes" des banques ou des administrateurs – qui sont censés remonter ces informations aux services fiscaux du pays d'où ils opèrent – seront plus facilement allumées si les capitaux viennent par exemple des iles Vierges britanniques que du Luxembourg. 

Mais vous avez raison, l'harmonisation fiscale est effectivement capitale pour éviter le "shopping fiscal" au sein de l'Union européenne. De très nombreux économistes l'appelle de leurs voeux, d'ailleurs : il faut éviter une course au moins-disant fiscal en Europe. 


Si, le fisc dispose aujourd'hui de moyens importants pour détecter les éventuelles fraudes, en croisant diverses bases de données.
 

La difficulté, c'est que la situation est plus compliquée qu'à l'époque des comptes cachés en Suisse, qui étaient clairement illégaux. Pour pouvoir faire un redressement fiscal sur un montage luxembourgeois, il ne suffit pas de le découvrir : le fisc doit aussi prouver qu'il vise principalement à profiter d'un avantage fiscal.
 


Bonjour Eric

Vous avez à la fois raison et tort.

Ce qui est en libre-accès c'est la consultation des données mais pas la base en elle-même. Il y a donc un travail de collecte assez conséquent pour aller récupérer ces données qui nécessite de ruser avec les différents formulaires du LBR.

Ensuite, il faut comprendre ce que représentent ces données, être en mesure de les faire parler, y trouver les informations pertinentes. Evidemment, je ne vous détaille pas tout le travail de nettoyage et de redressement des données qui sont hautement imparfaites.

Là où vous avez raison, c'est qu'un simple curieux avec des connaissances en programmation pourrait tout à fait faire le même travail. Et si vous connaissez un stagiaire qui dispose de telles compétences doublées d'un goût pour l'investigation financière, nous serons ravis de l'accueillir chez nous !

Pour votre seconde question, il n'y a plus de liste noire internationale des paradis fiscaux. Officiellement, le Luxembourg n'en est pas un et depuis quelques années, il coopère au niveau européen. Mais selon nous, il n'en reste pas moins un paradis fiscal. Il offre en effet différents dispositifs pour optimiser l'impôt: si le taux légal d'imposition des sociétés y est officiellement de 25 %, en réalité, le taux effectif, du fait des possibilités d'optimisation, n'est que de 1 ou 2%. Si ce n'est pas un paradis c'est au moins un havre fiscal... 


Bonjour Macaron, 

Il est vrai que le Luxembourg a fait d'énormes progrès en terme de transparence, et a arrêté ses pratiques fiscales les plus agressives. Pour ce qui est du contrôle strict, chacun pourra se faire son idée.

Comment contrôler des flux financiers aussi importants alors que les services fiscaux du Luxembourg sont clairement sous-dimensionnés ? Comment s'assurer de la fiabilité d'un registre des bénéficiaires quand autant d'erreurs sont relevées, et que, de l'aveu même du Luxembourg, c'est aux déclarants de s'assurer de la justesse de ce qui est écrit ? 
Mais il est vrai que d'autres pays, au coeur même de l'Europe, permettent aussi des possibilités d'optimisation assez importante, comme vous l'écrivez justement. 


Bonjour, les critères pour définir un paradis fiscal n'existent pas au sens strict d'une définition admise par tous. Mais le bon sens voudrait qu'une telle étiquette puisse qualifier les juridictions qui continuent d'offrir un haut niveau d'opacité, en ne coopérant pas, ou mal, avec les autres Etats, et en offrant un très bas niveau de fiscalité. 

C'est exactement ce que tente de faire le personnage du président de la République dans la très savoureuse série comique Alphonse Président (que je vous recommande), en tentant d'envahir le Luxembourg avec un char pour éponger la dette française.

Plus sérieusement, oui, la France a bien entendu le poids politique pour faire pression sur le Luxembourg pour adopter certaines réformes ou renoncer à certaines pratiques. Mais l'équation se joue à l'échelle européenne, et le Luxembourg est loin d'être le seul paradis fiscal à renâcler face à ces réformes (Pays-Bas, Irlande, etc.).

Bonjour El Loco, 

pour cette enquête, nous avons coopéré avec :

  • L'

    OCCRP

     et ses partenaires : IrpiMedia (Italie) + iStories (Russie) + Arij (Moyen-Orient) + Krik (Serbie) + Bivol (Bulgarie) + investigace.cz (République tchèque)

  • Süddeutsche Zeitung (Allemagne)
  • Le Soir (Belgique)
  • Woxx (Luxembourg)
  • McClatchy + Miami Herald + El Nuevo Herald (Etats-Unis)

D'autres partenaires locaux ont aussi contribué : Piaui (Brésil), Tempo (Indonesie), Armando Info (Vénézuela), La Nacion (Argentine), Inkyfada (Tunisie).

6 500 milliards, c'est à peu près 3 fois la dette de la France.

Mais attention, quelques précisions s'imposent :

  • Ces 6 500 milliards n'appartiennent pas seulement à des Français (qui détiennent "à peine" 100 milliards, selon nos calculs)
  • Pour l'essentiel, il ne s'agit pas d'argent "caché" que l'on pourrait aisément rapatrier pour résorber la dette. Certains de ces actifs bénéficient certes d'une fiscalité allégée au Luxembourg, mais ils ne seraient pas pour autant taxés à 100 % s'ils étaient en France !


Bonjour François,

En réalité, notre enquête met en évidence deux problèmes.

Le premier, ce sont effectivement certains manquements manifestes aux règles européennes de la part du Luxembourg, qui peine à contrôler les informations sur les bénéficiaires effectifs. Il n'est pas à exclure qu'une procédure européenne puisse être engagée (sachant que

deux procédures

sont déjà en cours contre le Luxembourg).


Mais le principal problème, ce sont les failles juridiques qui permettent à de nombreux propriétaires de sociétés de rester cachés en toute légalité, en contournant les règles européennes. L'Europe pourrait donc être amenée à changer ses règles pour améliorer l'efficacité de cette transparence financière.

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