Crash test pour le ministre
« Depuis mars, nous en sommes à notre cinquième rentrée scolaire ! », dit-il, fier de l'agilité de son pachyderme de ministère. Pour l'aider dans ses décisions, il s'est fixé trois balises : le Conseil scientifique, la Haute Autorité de santé et la Société française de pédiatrie. Et n'a qu'un objectif : maintenir les écoles ouvertes, coûte que coûte. Les dégâts sur les enfants, en termes de retard d'apprentissage, de violences et de malnutrition, pèsent trop lourd face au risque sanitaire. Jusqu'à nouvel ordre. Il se raccroche à quelques certitudes, répétées en boucle : les enseignants ne sont pas plus contaminés que la moyenne nationale et les enfants le sont plutôt moins. Au risque du déni ? C'est ce que pense l'épidémiologiste Dominique Costagliola qui a déclaré : « Jean-Michel Blanquer ne dit que des bêtises. On ne risque pas d'agir si, comme Jean-Michel Blanquer, on répète qu'il n'y a aucun problème dans les écoles. » L'étude ComCor de l'Institut Pasteur a d'ailleurs montré que les familles avec enfants étaient plus contaminées que sans… Lui a décidé de faire fi du risque juridique brandi par d'autres ministres pour justifier une prudence qu'il juge mortifère. Autant dire que cette crise sanitaire est un crash-test pour le ministre. S'il gagne, il pourra se targuer d'avoir sauvé les enfants de France. Sinon…
Une autre pression s'exerce sur « JMB » en 2021 : le rythme des réformes. Le président de la République a été très clair, le 31 décembre, dans ses vœux aux Français : « Nous n'ajouterons pas au coût de la crise, celui de l'inaction. » Pour ce bon élève de la Macronie, ces paroles sont du miel. Réformer la rue de Grenelle, c'est sa passion. Contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, il n'a pas pris ce maroquin à reculons. « J'aime ce ministère ! » Ce passionné d'Amérique latine, agrégé de droit public, navigue dans les hautes sphères de l'Education nationale depuis 2004 quand il est nommé recteur de Guyane. Passé au cabinet de Gilles de Robien, au rectorat de Créteil sous Xavier Darcos et à la direction de l'enseignement scolaire de Luc Chatel, il s'est forgé de solides convictions qui ont alimenté trois livres sur l'école. Et bientôt quatre années de réformes menées tambour battant et martelées. Le dédoublement des CP, CE1 et grande section dans les réseaux d'éducation prioritaire. La priorité au primaire, avec l'accent mis sur les fondamentaux « lire, écrire, compter, respecter autrui ». Des réformes « faciles à faire passer dans l'opinion publique », raille un ancien de l'équipe de son prédécesseur, Vincent Peillon. Plus audacieuse, la réforme du lycée, mettant fin aux filières, est aussi passée presque comme une lettre à la poste. Et même celle du baccalauréat, avec sa dose de contrôle continu, a fini par emporter les suffrages. Son inspirateur, le directeur de l'Institut d'études politiques de Lille et ami Pierre Mathiot fait le bilan : « Tout cela n'est pas anodin ! »
« Banderilles un peu partout »
Sa méthode, souvent jugée brutale ou arrogante, n'a pas forcément convaincu. Le sociologue François Dubet le regrette : « Il n'a pas su profiter de la crise sanitaire pour miser sur les avant-gardistes et réformer par le bas. Quand vous réformez par le haut, vous avez tôt fait de vous perdre dans les sables de l'oubli. » Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES-FSU, le condamne : « Il est enfermé dans ses convictions et n'écoute personne. » Laurent Escure, de l'Unsa, le met en garde : « C'est risqué d'avoir toujours raison tout seul… » Son directeur de cabinet Thierry Ledroit en convient : « La succession de réformes a pu donner le tournis aux organisations syndicales. Mais tout est cohérent. » Blanquer défend sa méthode : « Je préfère le jeu de go aux échecs. » Autrement dit, encercler plutôt que dépecer. Certaines mesures, plus discrètes, plus techniques, ont ainsi fait tomber quelques tabous. La deuxième heure supplémentaire obligatoire par exemple : « Je n'aurais jamais imaginé que ça passe », s'étonne encore un haut cadre du système scolaire. Une manière indolore de toucher au temps de travail des profs, totem absolu. La formation ouverte aux volontaires pendant les vacances scolaires moyennant une indemnité est une autre astuce pour gagner une bataille perdue d'avance. L'évaluation des établissements, qu'il est en train de mettre en place, est une révolution supplémentaire. « En plantant des banderilles un peu partout, c'est le ministre qui aura le plus fait bouger l'institution », reconnaît un partenaire de longue date.
Cette année, JMB espère encore réaliser une réforme paroxystique, celle du métier d'enseignant, une gageure. C'est l'objet du Grenelle de l'Education, qui s'achève le 3 février. Dans sa besace, il ne vient pas les mains vides : 400 millions d'euros distribués dès 2021 en prime d'équipement informatique pour tous (150 euros par an) et un coup de pouce aux débutants (100 euros par mois). Une paille ? « Plutôt l'acquisition d'une maison sur une carrière qu'une place de ciné et une part de pizza, décriés par certains… », rectifie celui qui a fait de la revalorisation des salaires des profs un leitmotiv de son mandat. Et ce n'est que le début. Il a promis une loi de programmation de 500 millions d'euros supplémentaires chaque année durant sept ans. A une condition : un assouplissement du sacro-saint statut. « Il se joue quelque chose d'énorme ! » espère-t-il. A bas bruit. « C'est peut-être mieux… » S'il parvient à ses fins, lui qui brigue le record de longévité rue de Grenelle pourra se targuer du titre de « Jules Ferry » du XXIe siècle. Celui qui sauva l'école de France. Son rêve.
Blanquer voit plus grand
Mais, déjà, Blanquer voit plus grand. L'été dernier, il était annoncé au ministère de l'Intérieur. « On ne dit pas non au président de la République », justifie-t-il sobrement. En décembre, il était désigné chef de file de LREM pour les régionales en Ile-de-France. Son binôme, le député Laurent Saint-Martin, explique : « Le projet vise à réduire les inégalités sur ce territoire. C'est sa patte. » JMB écrit aussi, depuis l'automne, un nouveau livre. Sur la laïcité, mais pas seulement. « Une matrice intellectuelle pour réhabiliter le projet républicain pour l'action publique du siècle », énonce-t-il. Et puis… « Il est amoureux ! », sourit un bon ami, en référence à une vie privée un peu agitée ces derniers temps, mais jalousement défendue - il a gagné en novembre le procès intenté contre Voici qui révélait l'affaire…
Autant de pistes qui doivent alimenter ses réflexions sur son destin politique, troisième défi pour 2021. Toute la Macronie lui pronostique un bel avenir. Hors les murs de la rue de Grenelle, donc. Laurent Saint-Martin raconte : « Jean-Michel est apparu comme une évidence collective, aussi bien en haut qu'en bas. » Il a son fan-club à l'Assemblée nationale, emmené par Aurore Bergé. L'ancien président du groupe à l'Assemblée Gilles Le Gendre y croit aussi : « Jean-Michel est une pépite pour notre mouvement. Il pourrait être l'un des hérauts d'un second mandat d'Emmanuel Macron. » Matignon, en ligne de mire ? Une perspective qui lui avait valu, en pleine crise sanitaire, l'ire du Premier ministre d'alors, Edouard Philippe, convaincu que son collègue le court-circuitait. JMB sait qu'il fait partie de la short list des premier-ministrables, comme Bruno Le Maire. Mais, beau joueur, il acquiesce sans broncher la nomination de l'outsider Jean Castex. Ni élu ni encarté, il est un politique certes. Mais peut-être pas assez pour Matignon. C'est sans doute pour cela qu'il se dit « désireux » du suffrage universel, une étape « indispensable ». Le député LR Patrick Hetzel, qui fut son ami, demande à voir : « Pour sortir du strict périmètre scolaire, il faut une connaissance intime de nos concitoyens. Tant qu'il n'est pas élu, il ne l'aura pas. Et je ne suis pas sûr qu'il supporte l'exercice d'humilité qu'une campagne électorale impose. »
« Une nouvelle Buzynade ? »
Etre à portée d'engueulade… ce n'est pas ce que Blanquer préfère. Et puis, en Ile-de-France, le duel contre la présidente sortante Valérie Pécresse n'est pas simple : ils se connaissent très (trop ?) bien, s'apprécient, ont travaillé ensemble et même partagé des collaborateurs. Comme son premier directeur de cabinet, Christophe Kerrero, qui fut d'abord le directeur des lycées de Pécresse. Surtout, il est sûr de perdre. « En marche peut-il se payer le luxe d'une nouvelle Buzynade ? », raille Dieynaba Diop, porte-parole d'Audrey Pulvar, en piste pour les régionales. Nombre de ses supporters lui déconseillent d'y aller. Comme son conseiller aux élus locaux, Xavier Chibaud, ancien collaborateur d'Edouard Philippe. Comme sa visiteuse du soir, la journaliste politique Anna Cabana. « Il ferait mieux d'attendre les législatives de 2022, sur une circonscription acquise aux Marcheurs », suggère un admirateur. En bon soldat, si l'Elysée insiste, il ira. « On ne dit pas non au président de la République.» Un bon soldat prêt au sacrifice.
Ses classes en politique
1. Avec Valérie Pécresse, dans un lycée professionnel à Saint-Cyr-l'Ecole, le 2 juin 2020. Chef de file de LREM pour les régionales en Ile-de-France, « JMB » devra affronter la présidente de région, son ancienne camarade quand elle était ministre de l'Enseignement supérieur sous Sarkozy et lui, recteur de Créteil, puis directeur de l'enseignement scolaire. (M. Soupak/NurPhoto/AFP)
2. Sur BFMTV, le 12 mars 2020. C'est le jour où « le chouchou » s'en est fait « rabattre » par le président de la République : alors qu'il affirme le maintien des écoles ouvertes, Emmanuel Macron annonce le contraire le soir même. (Capture d'écran BFMTV)
3. Avec le Premier ministre Edouard Philippe, le 13 décembre 2019, à Nancy, pour débattre avec les enseignants de la réforme des retraites qui risquait de les pénaliser fortement. L'occasion pour « JMB » de promettre une revalorisation pluriannuelle de leurs salaires, en échange de la transformation du métier.(PhotoPQR/L'Est Républicain/P. Saucourt/MaxPPP)
4. Avec le couple présidentiel, au château de By, à Thomery, pour la deuxième édition du Loto du patrimoine, le 20 septembre 2019. C'est Brigitte Macron qui, la première, a eu un « coup de foudre intellectuel » en écoutant « JMB », alors directeur de l'Essec. Elle a lu son livre-programme L'Ecole de demain et dit à son candidat de mari : « Lui, il faut que tu le reçoives. » (D. Jacovides/Bestimage)
5. A la cérémonie du Trombinoscope, le 15 février 2018, à l'Assemblée nationale. Il reçoit des mains de la journaliste Anna Cabana le prix du ministre de l'année 2017. Le début d'une autre aventure ! (A. Bonfils/Le Trombinoscope)
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Les cancres et les points de PIB
Edition après édition, Pisa, l'enquête de référence de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui compare tous les trois ans les acquis des élèves de 15 ans dans 79 pays, n'est guère flatteuse. La dernière livraison, en 2018, montre que la France, après un fort déclin entre 2003 et 2012, ne parvient pas à redresser le niveau, restant en milieu de peloton, 23e en compréhension de l'écrit (- 3 points), 25e en mathématiques (- 3 points), 24e en sciences (- 1 point), juste au-dessus de la moyenne de l'OCDE mais loin derrière les bons élèves : Singapour, Corée, Japon, Canada, Finlande, Estonie. Pire, la France est la championne des inégalités scolaires, là où le déterminisme social est le plus fort. En 2019, une autre étude internationale, Timss, relègue les élèves e français de CM1 et de 4e au rang de cancres en maths dans l'Union européenne. D'où le « plan mathématiques » lancé par Jean-Michel Blanquer qui met le paquet notamment sur la formation continue et le mentorat des enseignants.
« Ce n'est pas une question de moyens » , souligne Eric Charbonnier, un des coordinateurs de Pisa à l'OCDE, même s'il note que la France n'investit pas plus dans son éducation que la moyenne de l'OCDE, soit 5,3 % de son PIB. Mais si les Coréens, qui y consacrent 6,7 % du PIB, sont en tête de classe, les Américains, pour un coût proche (6,4 % du PIB), sont nettement moins performants, moins que les Finlandais, qui ne dépensent que 5,8 % du PIB. L'OCDE préconise des mesures qui ont fait leurs preuves ailleurs, comme miser sur les jeunes années de primaire où se créent les écarts de niveau, booster la formation initiale et continue des enseignants (notamment en sciences mais aussi pour les initier à la pédagogie différenciée), assurer un climat scolaire bienveillant et inclusif, donner des marges de manœuvre locales aux établissements... « Il n'y a pas de fatalité dans l'échec, assure Eric Charbonnier. Les pays qui ont agi, comme la Pologne et le Portugal, ont obtenu des résultats marquants et assez rapides. »
Gaëlle Macke
Bonjour,
RépondreSupprimerComment expliquer qu'un commentaire reste non publié?
J.HERVE
Comment expliquer ??, c'est parce que le commentaire n'a pas été publié. JOËL Tu as dû faire une erreur. Je n'ai pas reçu de commentaire avant celui ci.
RépondreSupprimerJe viens de comprendre: la réponse était "limitée à 4096 caractères" et mon texte était beaucoup plus long.Désolé!
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