Immigration: les réalités qu’on nous cache livre choc de Patrick Stefanini
L’impossibilité de rétablir des frontières
Les accords de Schengen comme le droit communautaire prévoient la possibilité sous certaines conditions d’une réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures.
Avant même la crise sanitaire, la France avait fait usage à plusieurs reprises de cette possibilité, notamment en 1995, mais aussi plus récemment depuis 2011, pour mieux contrôler sa frontière avec l’Italie après la poussée migratoire consécutive aux printemps arabes ou l’ensemble de ses frontières intérieures après les attaques terroristes du début et de la fin de 2015. Une telle mesure est parfaitement justifiée en situation de crise, que celle-ci soit d’ordre sanitaire, terroriste ou migratoire.
Même en temps de crise, cependant, les limites d’un dispositif de contrôle aux frontières intérieures sont bien connues. Un tel dispositif n’a pas empêché, par exemple, le terroriste tunisien auteur de l’attentat commis à Berlin, peu avant les fêtes de Noël 2016, qui fit 12 morts et une cinquantaine de blessés, de rejoindre la France, de changer de train en gare de Chambéry et de passer en Italie avant d’être abattu par les carabiniers aux abords de la gare de Milan lors d’un contrôle fortuit. Le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures est apparu à cette occasion comme une mesure d’affichage purement déclamatoire, une sorte de gesticulation politique jetée en pâture à l’opinion publique par des gouvernements soucieux de se dédouaner à peu de frais. Ce n’est donc pas la suppression des contrôles aux frontières intérieures qui est en cause en l’espèce. C’est bien plutôt l’insuffisance, dans les gares et les aéroports, des dispositifs de vidéosurveillance et de leur exploitation en continu ou encore l’impossibilité tant juridique que technique de recourir de façon systématique au croisement des données biométriques (empreintes digitales et reconnaissance faciale). […] Le retour aux frontières internes et aux contrôles y afférents n’est pas seulement une perspective illusoire. Il est matériellement impossible, en tout cas dans la durée.
Renégocier avec le Maghreb
Sur la période qui nous intéresse, c’est-à-dire les vingt premières années du siècle, Algérie, Maroc et Tunisie sont restés jusqu’en 2005 et dans cet ordre les trois principaux pourvoyeurs de l’immigration en France. [...] Dans les années qui ont suivi l’indépendance, des accords bilatéraux particuliers ont été signés par la France avec chacun des trois pays du Maghreb. Leurs stipulations se voulaient dès l’origine plus favorables aux ressortissants de ces pays que les règles applicables aux étrangers relevant en France de ce que les spécialistes appellent le «droit commun» ou le «régime général», c’est-à-dire la loi. La raison en était que ces accords bilatéraux traitaient aussi, de manière synallagmatique, du régime juridique applicable à ceux de nos concitoyens qui avaient choisi de continuer à vivre dans l’un de ces trois pays après leur indépendance et le général de Gaulle avait tenu à ce que nos ressortissants restent bien traités. Au fil des années, cette justification a en grande partie disparu. Mais les avantages accordés aux ressortissants des trois pays du Maghreb ont pour l’essentiel perduré. La conséquence la plus importante est que, lorsque le Parlement français modifie la loi pour durcir les conditions de séjour en France des ressortissants des pays tiers relevant du droit commun, ces modifications, adoptées le plus souvent au terme de débats passionnés, ne s’appliquent pas à près d’un tiers des étrangers qui s’installent chaque année en France.
Mieux, même, les gouvernements français n’hésitent pas à faire bénéficier, par voie d’avenants aux accords existants, les ressortissants du Maghreb des dispositions plus favorables adoptées par le Parlement français de sorte que ces ressortissants gagnent sur tous les tableaux: ils échappent au «tour de vis» législatif lorsqu’il s’en produit un et bénéficient le plus souvent des facilités nouvelles accordées aux autres ressortissants des pays tiers.
[…] En tout état de cause et dès lors que leur renégociation est laborieuse et peu productive, pourquoi ne pas dénoncer unilatéralement les accords bilatéraux conclus il y a plus de cinquante ans par la France avec des pays d’origine de l’immigration et notamment ceux qui nous lient aux pays du Maghreb?
L’immigration, mirage économique
L’immigration est-elle à elle seule une solution au déclin démographique de l’Union européenne et plus précisément au vieillissement de sa population avec son corollaire, la dégradation du rapport entre les actifs et les inactifs? C’est ce que semblait penser l’éphémère haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, lorsqu’il déclara le 29 novembre 2019 que «la démographie européenne et son vieillissement (font) que, si on veut garder le même nombre d’actifs dans la machine économique, il va falloir 50 millions de population entre guillemets étrangère pour équilibrer la population active en 2050 en Europe». Jean-Paul Delevoye se trompait doublement.
Certes, le rapport de la division de la population des Nations unies publié en 2000 estimait à un peu moins de 50 millions (47,456 millions pour être précis) le nombre net d’immigrés supplémentaires nécessaires pour maintenir à son niveau de 2000 la population totale de l’Union européenne qui ne comptait alors que 15 États membres. Mais pour conserver à l’identique le rapport observé en 2000 entre la population d’âge actif et le nombre des personnes âgées de 65 ans et plus, l’ONU estimait que l’Union européenne aurait besoin d’accueillir 674 millions d’immigrés supplémentaires. Ces chiffres donnent évidemment le vertige. On comprend que les formations politiques les plus hostiles à l’immigration s’en soient emparées pour prêter les plus noirs desseins à une institution internationale dont le tort a sans doute été de s’aventurer sans précautions sur le terrain des prévisions démographiques sans imaginer que d’aucuns y verraient la traduction d’un plan machiavélique pour justifier la submersion migratoire de l’Europe.
Mais la véritable erreur de l’ancien haut-commissaire n’était pas seulement comptable. Elle était surtout intellectuelle. Une immigration même massive ne saurait réduire durablement le rapport entre les inactifs et les actifs. Pour cette raison simple, déjà mentionnée dans le rapport de l’ONU en 2000, que les travailleurs immigrés vieillissent et que la plupart d’entre eux ont des enfants et des parents, en tout cas dans les pays qui pratiquent le regroupement familial. […]
À cet argument économique s’ajoute un argument sociologique et politique: le scénario décrit par l’ONU est celui d’une immigration massive. Appliqué à la France, il faudrait que 94 millions d’immigrés supplémentaires soient accueillis sur notre territoire d’ici à 2050 pour maintenir à l’identique le rapport observé en 2000 entre les actifs et les personnes âgées de 65 ans et plus! C’est une perspective absurde. L’intégration en France est aujourd’hui en échec dans plusieurs territoires aux abords des grandes métropoles. L’accueil en nombre des immigrés tel que décrit par l’ONU provoquerait une révolte sociale ou porterait un coup fatal à la cohésion sociale des pays européens. La formule bien connue «à consommer avec modération» s’applique à merveille à l’immigration.
Les abus de l’AME
L’aide médicale d’État a ensuite été créée en 1999 par le gouvernement de Lionel Jospin. Aucune réglementation ni aucune jurisprudence européenne n’y obligeait: la Cour européenne des droits de l’homme, pourtant peu suspecte de négliger les droits des étrangers, jugeait encore quinze ans plus tard que les États n’ont pas l’obligation de fournir des soins de santé gratuits et illimités aux étrangers en situation irrégulière sur leur territoire. La France, comme toujours et comme pour la semaine de 35 heures, se devait sans doute de donner une leçon à l’Europe entière! Las, cette dernière ne nous a pas imités. L’AME, régie par l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles, n’est pas une prestation de sécurité sociale, mais elle permet l’accès gratuit des clandestins justifiant d’une présence en France depuis plus de trois mois à un panier de soins. Comme c’était prévisible, le nombre de ses bénéficiaires et surtout son coût ont fortement augmenté: 75 000 bénéficiaires à sa création, près de 320 000 pour un coût de 904 millions d’euros en 2018 et sans doute de 1 milliard en 2020. Alors que les étrangers sont en moyenne plus jeunes et, par suite, en meilleure santé que l’ensemble de la population, un rapport* conjoint de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des finances constatait dès 2010 que le bénéficiaire de l’AME consommait en moyenne 1 741 euros de soins par an contre 1 580 pour un bénéficiaire du régime général. Un nouveau rapport conjoint de ces deux inspections générales, publié le 5 novembre 2019, décrit le dispositif comme «l’un des plus généreux d’Europe» et surtout relève, pour la première fois dans un rapport officiel, des situations atypiques dans les soins consommés par les bénéficiaires. Sont ainsi surreprésentés, selon ce rapport, les maladies du sang, les cancers, l’insuffisance rénale chronique ou les accouchements. Les auteurs du rapport notent que le rythme de croissance des séances d’hémodialyse, de chimiothérapie et radiothérapie est particulièrement élevé (plus de 10 %) pour les bénéficiaires de l’AME. De la même manière, ils relèvent que la proportion d’individus souffrant d’affections rénales et urinaires est de 30 % plus élevée chez les bénéficiaires de l’AME que dans la population générale. Le rapport va jusqu’à proposer d’empêcher l’octroi de visas aux «touristes médicaux» puisque aussi bien il apparaît que des étrangers entrent en France sous couvert d’un visa de court séjour pour un motif touristique ou familial, puis se maintiennent en France en situation irrégulière et obtiennent l’AME, le véritable objet de leur venue en France ayant été dès le départ de s’y faire soigner. Il n’y a rien d’étonnant dans ce constat: toute aide inconditionnelle génère des abus.
À la suite de la publication de ce rapport, le ministre de la Santé, Mme Buzyn, avait écarté toute hypothèse tendant à réduire le panier de soins auquel donne gratuitement accès l’AME. C’est bien pourtant ce qu’il faudrait faire en prenant exemple sur nos voisins européens et en réduisant le champ de l’AME aux seules urgences et aux maladies contagieuses. La Covid-19 est venue rappeler à la société française ce qu’était le risque pandémique ou encore ce qu’était une vraie urgence médicale et les clandestins doivent évidemment pouvoir être soignés gratuitement contre les épidémies ou en cas d’urgence vitale. Mais ils ne devraient pas accéder gratuitement aux autres soins. D’abord pour des raisons budgétaires. On affirme souvent que le coût de l’AME serait faible par rapport au total des dépenses d’assurance maladie (0,5 %), mais c’est oublier que ces dépenses sont couvertes par les cotisations des assurés, ce qui n’est pas le cas de l’AME, et que les sommes consacrées à l’AME depuis vingt ans auraient été bien utiles à l’hôpital public français si l’on en juge par l’état dans lequel il se trouvait lors de la crise de la Covid-19. La circonstance qu’une faible partie seulement des clandestins aurait aujourd’hui recours à l’AME suffit à démontrer que le risque d’une dérive budgétaire beaucoup plus grave encore est devant nous. Ensuite pour une raison de principe: le destin des clandestins est d’être reconduits le plus rapidement possible à la frontière et non pas d’être soignés durablement en France, et la forte augmentation du coût de l’AME est le reflet de l’incapacité de notre pays à lutter efficacement contre l’immigration clandestine.
* Analyse de l’évolution des dépenses au titre de l’AME, Alain Cordier et Frédéric Salas, IGAS-IGF, novembre 2010.
Source Figaro par Judith Waintraub
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