Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la gestion parfois hasardeuse (ou contradictoire) de la crise a alimenté les rumeurs et les théories du complot, et le flot d’informations inhérent à ce genre de phénomène, mondial et inédit, a inévitablement entraîné son corollaire : une désinformation tout aussi massive. Les experts convoqués à tout-va ont fini par perdre en crédibilité à force de se contredire, et les revirements de l’Organisation mondiale de la santé, notamment sur le port du masque, n’ont pas aidé.
“Le problème fondamental tient à la parfaite assurance avec laquelle les décisions intempestives ont été annoncées, estiment Stuart Ritchie, psychologue, et Michael Story, cocréateur d’une appli d’aide à la prise de décision, dans un article qu’ils cosignent dans UnHerd. En temps de crise, il peut être tentant de n’offrir que des certitudes – mais un expert se doit, par définition, de savoir à quel moment laisser place à l’incertitude et d’être parfaitement conscient de la nature transitoire de nos connaissances.” C’est aussi ce que dit Carlo Rovelli dans le Guardian : “Dans ce monde incertain, il est insensé de prétendre à des certitudes absolues. Celui qui s’en prévaut est généralement le moins fiable. Mais cela ne signifie pas non plus que nous soyons dans l’ignorance totale.”
Qui croire ? Que croire ? Peut-on encore faire confiance ? En juillet déjà, nous nous étions posé la question dans un dossier qui interrogeait les politiques, les médias, les scientifiques aussi (Courrier international du 9 juillet)… Nous interrogions alors la capacité de nos sociétés à accepter une part de risque et d’incertitude. Cette fois, c’est vraiment sur la science et sur la recherche que nous nous sommes concentrés, dans un dossier construit comme une grande controverse autour de deux articles majeurs, l’un paru dans Gazeta Wyborcza, l’autre dans la MIT Technology Review.
La crédibilité de la science mise à mal
Fin septembre, le quotidien polonais a publié une tribune d’un enseignant-chercheur en physique. Dans ce texte provocateur et remarqué, Piotr Wasylczyk explique en gros qu’il n’y a plus rien à attendre de la science, les scientifiques ayant abandonné aux politiques et aux multinationales le pouvoir de décider du destin du monde. “Peut-être que l’épisode de l’histoire de notre civilisation dans lequel la science a amélioré nos conditions de vie et nous a rendus plus humains grâce à la découverte de certains mystères de la nature est en train de s’achever”, écrit-il. Pour lui, la science traverse non seulement une crise de crédibilité – “Nous n’arrivons pas à présenter de façon convaincante nos arguments dans les discussions sur les vaccins, le changement climatique ou l’alimentation” –, mais aussi de reconnaissance et de gouvernance. Il n’y aura plus de grandes découvertes capables de bouleverser le monde, affirme-t-il encore, désabusé, simplement parce que l’économie de la recherche, entre autres, ne le permet pas. “Seul un fou songerait à s’engager dans un projet risqué qui pourrait au bout de quelques années ne pas produire les résultats attendus et ne rien donner pour remplir les rapports d’activité.”
Pour répondre à cette tribune, au ton certes dérangeant, mais dont le point de vue nous semblait très intéressant dans le contexte actuel, nous avons sélectionné et traduit un papier beaucoup plus optimiste, lui, sur l’état de la science et la crédibilité des experts. La connaissance est le produit d’une intelligence collective, écrit son auteur dans la MIT Technology Review. Prenant l’exemple du Ligo, “un vaste projet de recherche collaborative” installé aux États-Unis et qui fut le premier observatoire à détecter directement des ondes gravitationnelles créées par la collision de deux trous noirs, Matthew Huston explique que notre savoir (et celui des experts) dépend de celui des autres. Et de la confiance que nous leur accordons. “Pour parvenir à un quelconque résultat hors d’un domaine très pointu, les scientifiques n’ont d’autre choix que de partager leurs compétences.” C’est ce qui s’est passé avec le Ligo, auquel des centaines de chercheurs ont participé – sans forcément se rencontrer – et où des processus de vérification très stricts des expériences ont été mis en place. Ils sont essentiels pour la crédibilité des scientifiques.
Cela ne suffit pourtant pas toujours à convaincre les plus sceptiques. Pour Jop de Vrieze, journaliste scientifique d’investigation en poste à Amsterdam, “nous avons atteint un niveau de ‘démocratisation de la preuve scientifique’ qui fait que tout le monde ou presque peut se livrer à une évaluation des découvertes scientifiques. Le revers de la médaille, dit-il, c’est que la plupart des gens ne tiennent pas à découvrir la vérité ou à changer d’avis, mais plutôt à confirmer leurs propres idées.”
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