Éric DUPOND-MORETTI. - Nous faisons face aujourd’hui à deux crises: celles du Covid-19 et celle du terrorisme. Un terrorisme dont le but est de nous faire changer de vie, nos règles et notre droit. Au cours de cette mandature, le gouvernement n’a cessé de renforcer les outils comme ceux du renseignement policier et pénitentiaire, qui fonctionnent très bien. Nous avons également expulsé des individus, fermés des mosquées, des associations et déjoué 32 attentats.
Les propositions qui s’égrènent du côté de l’extrême droite et de la droite sont marquées par la démagogie et l’inconséquence, là où je pensais qu’il y aurait unité nationale. L’inconséquence consiste à proposer des modifications de notre droit en sachant pertinemment qu’elles sont soit juridiquement impossibles, soit inefficaces, soit déjà mises en place. Je ne vois pas en quoi inscrire la laïcité dans la Constitution est un outil de lutte efficace contre le terrorisme. M. Ciotti appelle de ses vœux le retour de l’état d’urgence. Outre le fait que bien des dispositions de ce dernier concernant le terrorisme ont été transposées dans une loi de 2017, il a voté contre la mise en place de StopCovid au motif que c’était un dispositif liberticide qui n’avait rien à envier à un système orwellien. Je rappelle aussi que lorsque la Commission européenne propose un texte sur l’asile et l’immigration permettant de gérer les demandes d’asile depuis les pays tiers, le parti de Mme Le Pen s’y oppose. Elle veut, en matière de terrorisme, une justice d’exception.
Il se trouve qu’il existe déjà une justice spécialisée pour le terrorisme et une chaîne pénale qui bénéficie d’un cadre procédural dérogatoire avec un parquet national qui lui est dédié, des juges spécialisés, des cours d’assises spécialement composées et un régime pénal aux peines majorées, qui permet la perpétuité réelle et interdit les remises de peines. Tous ces gens savent-ils ce que c’est que d’être cohérent?
Le gouvernement a échoué à renforcer le suivi des sortants de prison pour terrorisme et reste muet sur l’expulsion des fichés S étrangers. Cela relance la question de leur rétention. Quelles sont vos préconisations?
Les Français valent mieux que des promesses que l’on ne peut tenir. L’idée de créer un Guantanamo à la française est tout sauf sérieuse. Elle équivaudrait à créer un cluster de radicalisation où ces individus auraient loisir à fomenter ensemble de nouvelles opérations, en sachant qu’à un moment ou un autre, ils ressortiront. Nous travaillons, avec Gérald Darmanin, à l’extension des dispositifs existants concernant les sortants de prison pour terrorisme et cela devrait voir le jour d’ici à la fin de l’année. Quant à l’expulsion des fichés S étrangers, ce dossier est également en cours. Mais il implique des démarches diplomatiques complexes avec des pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants.
Le gouvernement est à l’arrêt concernant la sanction des propos haineux en ligne ou l’anonymisation sur les réseaux sociaux. Que comptez-vous faire?
En ce qui concerne la haine en ligne, s’agissant de plateformes pouvant opérer dans un pays depuis un autre, nous y travaillons âprement au niveau européen avec mes homologues ainsi que Didier Reynders, le commissaire européen à la Justice. Nous avançons aussi sur le retrait en une heure des contenus terroristes en ligne pour que les règles que nous appliquons déjà le soient de manière uniforme. Quant à l’anonymisation, elle ne peut être condamnée en bloc car elle permet aux citoyens d’exprimer des points de vue personnels sur des situations délicates. Elle doit en revanche pouvoir être levée dès qu’elle permet de propager la haine.
Trouvez-vous normal que des opérateurs privés comme Apple ou Huawei constituent des bases de reconnaissance faciale infinies tandis qu’elles sont interdites pour des enquêtes judiciaires?
Je ne vois pas en quoi ces logiciels auraient empêché au terroriste tunisien d’accomplir ces actes épouvantables à Nice. Et je ne crois pas aux solutions miracles. En tant que citoyen, je ne suis pas fermé à la réflexion et cela mérite un débat démocratique approfondi.
La polémique monte sur l’opportunité des caricatures. Quelle est votre position?
Nous ne pouvons renoncer à la liberté de blasphémer, et je ne crois pas à des «caricatures respectueuses» comme dit Bruno Retailleau. En tant que catholique, j’ai pu être choqué par des caricatures brocardant la foi catholique. Mais personne n’est obligé d’acheter Charlie Hebdo et tout le monde peut changer de chaîne. Aucune de ces caricatures ne justifie de tuer des gens.
La justice a failli lors du premier confinement. Quelles conséquences en tirez-vous?
Au même titre que les armées ou la police, je n’imaginais pas que la justice ne fonctionne plus. Les audiences, qu’elles soient en matière civile ou pénale, seront tenues en appliquant les consignes relatives au télétravail si cela est possible. 4 000 ordinateurs sont fournis à l’Administration pénitentiaire et mon objectif est que 90 % des magistrats et 50 % des greffiers puissent bénéficier rapidement de tels équipements. Nous protégeons aussi les justiciables, en instaurant des rendez-vous pour leur accueil en juridiction. Quant aux prisons, elles ne seront pas reconfinées car la situation n’est pas la même qu’en mars dernier avec des protocoles en place protégeant les personnels et les détenus. Aussi les parloirs familiaux continueront et il n’y aura pas de libérations anticipées.
Votre budget, certes en forte hausse, laisse les greffiers en dehors de votre plan alors qu’ils sont le nerf de la justice.
C’est un budget historique depuis un quart de siècle. L’école des greffes ne peut absorber davantage d’élèves. Comme nous l’avons déjà fait pour les magistrats, je m’engage à ce qu’il n’y ait plus de vacances de postes de greffier d’ici à la fin 2021.
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Source Figaro Vox
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