11/10/2020

Patrick Artus – Une crise peut en cacher une autre

 Les plans de relance et les interventions massives des banques centrales ont évité un effondrement de l'économie. Mais d'autres dangers grondent.... la hause des actifs, immobilier et bourse...  
 
 

Nous voulons montrer comment le fait que la Banque centrale européenne évite aujourd'hui une crise des dettes publiques et des dettes des entreprises va conduire ultérieurement d'abord à une crise sociale, puis à une crise financière. Mais la BCE n'avait pas d'autre choix que de remplacer une crise de la dette maintenant par une crise sociale et financière plus tard ; même si cette perspective n'est pas rassurante.

La crise du Covid conduit dans la zone euro à une très forte hausse de l'endettement public (de 84 % du PIB pour l'ensemble de la zone euro à la fin de 2019, à 103 % du PIB à la fin de 2020) et des entreprises (le crédit aux entreprises a progressé de 400 milliards d'euros depuis le début de la crise). Pour éviter que ne se déclenche une crise des dettes publiques et des dettes des entreprises, la BCE achète une très grande quantité de ces dettes (le nouveau programme d'achats atteint 1 350 milliards d'euros), ce qui aboutit au maintien de taux d'intérêt à long terme très bas (le taux à 10 ans sur les swaps en euros était de + 10 points de base avant le début de la crise, il est aujourd'hui de - 25 points de base).

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La solvabilité des États et des entreprises reste ainsi assurée, malgré la forte hausse de leur endettement, mais cette politique va faire apparaître une bulle sur les prix de l'immobilier. Dans les économies contemporaines, la politique monétaire expansionniste ne conduit pas à une hausse des prix des biens et services, mais à des bulles sur les prix des actifs. Les taux d'intérêt réels à long terme vont être durablement négatifs : si l'inflation se normalise autour de 1,5 % en 2021, avec l'amélioration des économies, le redressement des prix des matières premières, et si les taux d'intérêt nominaux à long terme restent à peu près nuls, les taux d'intérêt réels à long terme seront de l'ordre de - 1,5 %, fortement négatifs, ce qui va pousser à la hausse les prix des actifs à long terme, en particulier les prix de l'immobilier. Déjà aujourd'hui, une accélération des prix de l'immobilier apparaît : sur un an, ils ont progressé de 5,5 % dans l'ensemble de la zone euro contre 4 % avant la crise de la Covid.

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Les dangers de l'énorme expansion monétaire

Une hausse rapide des prix de l'immobilier peut d'abord conduire à une crise sociale, en conduisant à des difficultés pour se loger pour les classes moyennes et populaires, en empêchant les jeunes d'accéder à la propriété d'un logement. Depuis 20 ans déjà, la hausse des prix des logements a consommé la moitié de la hausse du pouvoir d'achat des ménages dans la zone euro.

Mais une hausse rapide des prix de l'immobilier peut aussi conduire à une crise financière si, comme en 2008-2009, la bulle immobilière éclate, d'où l'insolvabilité des emprunteurs qui ont des dettes supérieures à leur patrimoine immobilier. Le taux de défaut des ménages sur les crédits immobiliers était passé dans la zone euro de 1 % par an en 2008 à 2,8 % par an en 2014, déclenchant aussi une crise bancaire dans de nombreux pays.

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Notre inquiétude est donc claire : que l'énorme expansion monétaire qui évite aujourd'hui dans la zone euro la crise des dettes conduise à terme à une crise sociale, puis à une crise financière en raison de la hausse très forte de prix de l'immobilier.

La BCE avait-elle un autre choix ? La profondeur de la crise (le PIB de la zone euro va reculer de plus de 9 % en 2020) imposait de donner aux gouvernements et aux entreprises la capacité à s'endetter massivement (le déficit public de la zone euro va atteindre probablement 10 % du PIB en 2020), et le sous-emploi devant rester très important en 2021, cette problématique sera encore présente l'année prochaine. La BCE devait donc monétiser les dettes publiques et maintenir des taux d'intérêt très faibles sur les dettes des entreprises.

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Vers une hausse des prix encore plus forte ?

Il faudrait donc être capable d'éviter que l'abondance de la liquidité et les taux d'intérêt réels à long terme négatifs ne conduisent à une hausse excessive des prix de l'immobilier, cette hausse étant la cause de la crise sociale et financière future. Parallèlement, on peut imaginer l'utilisation de politiques dites macroprudentielles très actives : taxation élevée des plus-values en capital sur l'immobilier ; ratios de fonds propres décourageant l'investissement dans l'immobilier des investisseurs constitutionnels. Si on peut aussi empêcher le basculement des patrimoines et des portefeuilles vers l'immobilier et la hausse des prix de l'immobilier, il faut voir que l'excès de liquidité créée par les banques centrales conduira à la hausse des prix encore plus forte sur d'autres classes d'actifs, puisque l'investissement dans l'immobilier serait découragé. Il apparaîtrait soit des taux d'intérêt réels à long terme encore plus négatifs, soit une bulle sur les cours boursiers, mais au moins les effets très négatifs de la bulle immobilière pourraient être évités.

 

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