13/10/2020

Le Secours populaire : au secours de qui ?

Créé en 1923 dans l’orbite de Moscou, le Secours populaire a été aux côtés de tous les opprimés politiques. Avant de soutenir les victimes des crises économiques et du chômage. L’hiver dernier, début 2020, la campagne du Secours populaire français (SPF) reposait sur deux affiches en noir et blanc représentant chacune un enfant de 6-7 ans (une fille de peau blanche, un garçon de peau plus colorée), avec pour seule touche de couleur une étiquette jaune collée sur leur front : « Pauvre ». Et pour légende : « Ne lui collez pas une étiquette pour toujours ». L’enfant, symbole de l’action humanitaire devenu un quasi-emblème de cette association, ne l’était pas du tout à l’origine : le Secours rouge international, créé en 1923 dans l’orbite de Moscou, à l’heure où naissaient en Europe les Partis communistes, avait pour tâche « l’aide aux victimes de la répression ».

Une ouverture vers la société

Comme d’autres organisations de masse, il était chargé d’accroître l’emprise du Parti sur la société en proposant des activités sectorielles ou par profil sociologique : syndicalisme pour la CGTU, Union des vieux de France, Union des femmes françaises, Jeunesses communistes, etc. « Croix-Rouge du peuple », le Secours rouge était quant à lui le « brancardier de la révolution », dans un contexte où les militants communistes étaient violemment réprimés.

Mais en 1936, à l’heure du Front populaire et de l’antifascisme, il change de nom et devient le Secours populaire de France et des colonies. Son spectre s’élargit à « toutes les victimes de la répression » et prend un tour plus social, voire humanitaire : organisation de vacances pour les enfants de militants communistes ; grandes collectes de nourriture et de médicaments pour les victimes de la guerre civile espagnole, combattants et civils. L’organisation croît rapidement.

Après l’entrée du PCF et de ses organisations dans la Résistance (juin 1941), le Secours populaire parvient à faire envoyer des colis aux détenus communistes et à aider des familles de fusillés, internés ou déportés. Lorsqu’il renaît à la Libération, le communisme a le vent en poupe. Le nouveau dirigeant du SPF, l’avocat Pierre Kaldor, intervient tous azimuts : aide à l’accueil des déportés, défense des résistants encore emprisonnés, lutte pour le « châtiment des traîtres » ; actions pour les enfants de martyrs de la Résistance et de mineurs grévistes ; aide à la Grèce et à l’Espagne antifascistes ainsi qu’aux militants anticolonialistes d’Afrique du Nord, d’Indochine et de Madagascar.

Une « mue humanitaire »

Mais dès 1947, ce qui devient un trait fondamental de l’histoire du communisme en général, et du Secours populaire en particulier, se reproduit : dans ce mouvement cyclique faisant alterner phases d’ouverture sociétale et de repli politique, l’association se referme, suite à l’entrée dans la guerre froide et à l’éviction du gouvernement des ministres communistes. Elle est sommée par le PCF de cesser ses activités sociales pour se recentrer sur les ouvriers grévistes, les militants et manifestants inculpés. Or, chaque phase de repli provoque une hémorragie, jusqu’à l’étiage : le SPF ne compte plus, en 1952, que 7 000 adhérents, contre 180 000 en 1945.

Le Secours populaire n’a donc cessé durant soixante ans de « neutraliser » son image, pour se départir d’une étiquette communiste entravant son développement, mais toujours discrètement prégnante

C’est en février 1954, aux lendemains de l’appel de l’abbé Pierre, que Julien Lauprêtre y prend place. Né en 1926, il deviendra de 1955 à sa mort, en 2019, l’immuable dirigeant de l’association. La guerre d’Algérie lui permet de renouer avec les actions sociales, humanitaires et anticolonialistes des périodes d’ouverture : dénonciation des tortures, des exécutions, des camps et des bataillons disciplinaires ; soutien aux soldats réfractaires, aux victimes de la répression de la manifestation d’Algériens du 17 octobre 1961 ; envoi d’ambulances, parrainage d’hôpitaux et d’écoles.

Un ancrage dans l’humanitaire auquel l’association restera par la suite fidèle. A partir des années 1960, les campagnes en faveur des personnes âgées en situation de pauvreté, des handicapés, des aveugles, des malades sont systématisées. Et des enfants : de 2 500 dans les années 1946-1962, le nombre de journées de vacances atteint 100 000 en 1964 et 300 000 en 1977. L’association médiatise ses actions en créant en 1976 les « Pères Noël verts » puis en 1979 la « Journée des oubliés des vacances ». Elle est aussi pionnière, en 1969, dans la redistribution des surplus alimentaires. A l’étranger, elle œuvre en faveur du tiers monde, que se disputent alors chrétiens et communistes : œuvres humanitaires de développement en Asie et en Afrique ; action humanitaire d’urgence, catalysée dans les années 1960 par le Vietnam puis le Biafra ; soutien aux sinistrés. « Tout ce qui est humain est nôtre » devient la devise, et le bénévolat se décommunise largement.

Faire face à la pauvreté

Dans les années 1980, le Secours populaire entre dans une nouvelle phase, sous le coup de deux grands facteurs. Politiquement, l’effondrement du communisme ; économiquement, ce que l’association appellera le « raz-de-marée de la misère », sur fond de crise économique et de montée des « nouveaux pauvres » victimes du chômage et de la précarité de l’emploi. Le public qui afflue dans les permanences d’accueil est désormais composé de femmes seules avec enfants, de jeunes ne parvenant pas à s’insérer sur le marché de l’emploi, de seniors au chômage de longue durée, de personnes issues de l’immigration, de sans-abri, soit des profils similaires à ceux de son homologue, le Secours catholique. L’association s’institutionnalise aussi : elle obtient en 1985 la reconnaissance d’utilité publique, puis en 1991 le prestigieux label « Grande cause nationale ».

Il serait toutefois naïf de croire à une complète dépolitisation. Comme dans quantité d’associations, également catholiques ou protestantes, si l’identité matricielle devient ténue à la base, elle reste prégnante au sommet, toujours, aujourd’hui encore, aux mains de militants encartés.

Le Secours populaire n’a donc cessé durant soixante ans de « neutraliser » son image, pour se départir d’une étiquette communiste entravant son développement, mais toujours discrètement prégnante. Avec pour effet paradoxal qu’il glisse dans l’apolitisme, et l’immobilisme de ses campagnes, alors que les associations d’obédience chrétienne, catholique (Emmaüs, ATD Quart Monde, Secours catholique) ou protestante (Cimade, FEP), suivaient la pente inverse.

Les affiches de l’hiver dernier annoncent peut-être une synthèse de cette histoire oscillatoire, voire une réconciliation identitaire au service d’un positionnement tout à la fois humanitaire, social et plus ouvertement engagé.

Zoom « Crise sanitaire, crise sociale : le tsunami de la faim »

« Ce “tsunami de la faim” – comme le qualifie Henriette Steinberg, secrétaire nationale du Secours populaire –, les bénévoles l’ont senti venir dès l’annonce du confinement. [...] Dans chaque permanence, c’est l’affluence. Dans le 12e arrondissement de Marseille, l’accueil est passé de 80 familles la première semaine à 170 familles hebdomadaires. Rue Bonaparte, à Nice, le nombre de personnes dépannées a doublé, atteignant désormais les 300 par semaine. En Dordogne, les distributions de colis ont doublé. “Dans nos permanences, entre 25 % et 50 % de personnes nouvelles ont demandé une aide alimentaire depuis la mi-mars. Et c’est une réalité dans tous les départements”, alerte Henriette Steinberg. »

Source alternatives-economiques.fr par Axelle Brodiez-Dolino 

Extrait du site www.secourspopulaire.fr

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