Quand cette pandémie de
Covid-19 s’achèvera-t-elle ? L’histoire ne nous apporte pas d’indices,
mais elle nous apprend que, par le passé, bactéries et virus ont décimé
les populations et entraîné des tournants politiques, sanitaires et
sociaux majeurs. Cet article est à retrouver dans notre hors-série
“Repenser le monde” en vente actuellement.
La
première pandémie de l’histoire aurait commencé à Péluse, non loin de
la ville actuelle de Port-Saïd dans le nord-est de l’Égypte.
C’était en 541. Selon Procope de Césarée, contemporain de cette époque, la “pestilence” s’est propagée vers Alexandrie à l’ouest et vers la Palestine à l’est. Puis elle a poursuivi son chemin. L’historien byzantin y voyait une progression quasi délibérée : “Elle s’étendit jusqu’aux nations les plus éloignées, et il n’y eut point de coin, pour reculé qu’il pût être, où elle ne portât la corruption” [dans l’Histoire de la guerre contre les Perses].
Le premier symptôme de la peste était la fièvre. Souvent, d’après Procope, elle était si légère qu’elle “n’annonçait par le pouls aucun danger” [cité dans le Dictionnaire raisonné des sciences]. Mais quelques jours plus tard, les victimes présentaient les signes classiques de la peste bubonique – des grosseurs, dits “bubons”, à l’aine et aux aisselles.
Les souffrances étaient alors terribles : certains sombraient dans le coma, d’autres étaient pris de violentes hallucinations. Beaucoup vomissaient du sang. Ceux qui prenaient soin des malades “vivaient dans un état perpétuel d’épuisement”, note Procope. “Pour cette raison, tout le monde avait pitié d’eux tout autant que des souffrants.” Personne n’était capable de prédire qui périrait et qui guérirait.
Selon un autre historien, la première partie de son règne – qui a duré près de quarante ans – se distingue par “une frénésie de réformes sans précédent dans l’histoire romaine” [tiré de Comment l’Empire romain s’est effondré, Kyle Harper, éd. La Découverte]. Durant les quinze années précédant l’arrivée de la peste dans la capitale, Justinien codifie le droit romain, fait la paix avec les Perses, réforme l’administration fiscale de l’empire et bâtit Sainte-Sophie.
Face aux ravages de la peste, Justinien fait “son possible pour arrêter le cours de ce mal”, écrit Procope. L’empereur prend en charge l’inhumation des personnes abandonnées ou indigentes. Quand bien même, il est impossible de suivre en raison du nombre de morts trop élevé. (Procope l’a estimé à plus de 10 000 par jour, quoique personne ne soit en mesure de le confirmer.)
Jean d’Éphèse, également contemporain de Justinien, écrit que “personne ne s’aventurait à l’extérieur sans avoir écrit son nom sur une étiquette accrochée au cou ou au bras” [cité par K. Harper], dans l’éventualité où il serait soudainement frappé. À terme, les cadavres sont entassés aux abords de la ville, formant des fortifications.
La peste touche les misérables comme les puissants. Justinien lui-même contracte la maladie, mais fait partie des chanceux qui y survivent. Son règne, en revanche, ne s’en remet jamais. Les années précédant 542, les généraux de Justinien avaient repris aux Goths, aux Vandales et à d’autres Barbares une grande partie occidentale de l’Empire romain. Après 542, l’empereur peine à recruter des soldats et à les rémunérer. Les territoires que ses généraux avaient assujettis se révoltent. La peste arrive à Rome en 543, puis en Grande-Bretagne vers 544. Une nouvelle vague émerge à Constantinople en 558, une troisième en 573 et une de plus en 586.
La peste justinienne ne s’essouffle pas avant 750. À cette date, un nouvel ordre mondial prévaut. Une nouvelle religion puissante, l’islam, est née, et ses fidèles règnent sur un territoire correspondant pour une grande partie à l’ancien empire de Justinien, outre la péninsule arabe.
Tout comme les microbes infectent le corps de nombreuses façons, les épidémies affectent le corps politique de nombreuses façons. Les épidémies sont brèves ou prolongées, ou, comme la peste de Justinien, récurrentes. Souvent concomitantes des guerres, elles s’allient à l’agresseur ou à l’agressé. Les maladies épidémiques deviennent parfois endémiques, c’est-à-dire qu’elles sont constamment présentes au sein de la population. Elles ne reprennent la forme d’une épidémie que lorsqu’elles sont introduites dans une nouvelle région ou quand les circonstances évoluent.
La variole, parfois surnommée le “monstre tacheté”, appartient à cette dernière catégorie. Elle aurait tué plus d’un milliard de personnes avant d’être éradiquée au milieu du XXe siècle. Personne ne sait exactement d’où elle est venue : le virus – appartenant au genre qui comprend la variole des vaches, des camélidés et des singes – aurait contaminé des humains à l’époque où ils ont commencé à domestiquer des animaux.
On retrouve des traces de la variole chez des momies égyptiennes, y compris celle de
C’était en 541. Selon Procope de Césarée, contemporain de cette époque, la “pestilence” s’est propagée vers Alexandrie à l’ouest et vers la Palestine à l’est. Puis elle a poursuivi son chemin. L’historien byzantin y voyait une progression quasi délibérée : “Elle s’étendit jusqu’aux nations les plus éloignées, et il n’y eut point de coin, pour reculé qu’il pût être, où elle ne portât la corruption” [dans l’Histoire de la guerre contre les Perses].
Le premier symptôme de la peste était la fièvre. Souvent, d’après Procope, elle était si légère qu’elle “n’annonçait par le pouls aucun danger” [cité dans le Dictionnaire raisonné des sciences]. Mais quelques jours plus tard, les victimes présentaient les signes classiques de la peste bubonique – des grosseurs, dits “bubons”, à l’aine et aux aisselles.
Les souffrances étaient alors terribles : certains sombraient dans le coma, d’autres étaient pris de violentes hallucinations. Beaucoup vomissaient du sang. Ceux qui prenaient soin des malades “vivaient dans un état perpétuel d’épuisement”, note Procope. “Pour cette raison, tout le monde avait pitié d’eux tout autant que des souffrants.” Personne n’était capable de prédire qui périrait et qui guérirait.
L’empereur Justinien face à la peste
Au début de l’an 542, la peste frappe Constantinople. C’est à l’époque la capitale de l’Empire romain d’Orient, gouverné par l’empereur Justinien, récemment qualifié de “l’un des plus grands hommes d’État de l’histoire”.Selon un autre historien, la première partie de son règne – qui a duré près de quarante ans – se distingue par “une frénésie de réformes sans précédent dans l’histoire romaine” [tiré de Comment l’Empire romain s’est effondré, Kyle Harper, éd. La Découverte]. Durant les quinze années précédant l’arrivée de la peste dans la capitale, Justinien codifie le droit romain, fait la paix avec les Perses, réforme l’administration fiscale de l’empire et bâtit Sainte-Sophie.
Face aux ravages de la peste, Justinien fait “son possible pour arrêter le cours de ce mal”, écrit Procope. L’empereur prend en charge l’inhumation des personnes abandonnées ou indigentes. Quand bien même, il est impossible de suivre en raison du nombre de morts trop élevé. (Procope l’a estimé à plus de 10 000 par jour, quoique personne ne soit en mesure de le confirmer.)
Jean d’Éphèse, également contemporain de Justinien, écrit que “personne ne s’aventurait à l’extérieur sans avoir écrit son nom sur une étiquette accrochée au cou ou au bras” [cité par K. Harper], dans l’éventualité où il serait soudainement frappé. À terme, les cadavres sont entassés aux abords de la ville, formant des fortifications.
La peste touche les misérables comme les puissants. Justinien lui-même contracte la maladie, mais fait partie des chanceux qui y survivent. Son règne, en revanche, ne s’en remet jamais. Les années précédant 542, les généraux de Justinien avaient repris aux Goths, aux Vandales et à d’autres Barbares une grande partie occidentale de l’Empire romain. Après 542, l’empereur peine à recruter des soldats et à les rémunérer. Les territoires que ses généraux avaient assujettis se révoltent. La peste arrive à Rome en 543, puis en Grande-Bretagne vers 544. Une nouvelle vague émerge à Constantinople en 558, une troisième en 573 et une de plus en 586.
La peste justinienne ne s’essouffle pas avant 750. À cette date, un nouvel ordre mondial prévaut. Une nouvelle religion puissante, l’islam, est née, et ses fidèles règnent sur un territoire correspondant pour une grande partie à l’ancien empire de Justinien, outre la péninsule arabe.
La variole a tué plus d’1 milliard de personnes
Parallèlement, l’essentiel de l’Europe occidentale est désormais sous le contrôle des Francs. Rome ne compte plus que 30 000 habitants. La peste est-elle partiellement responsable de ce déclin ? Si tel est le cas, l’histoire est écrite non seulement par les hommes, mais aussi par les microbes.Tout comme les microbes infectent le corps de nombreuses façons, les épidémies affectent le corps politique de nombreuses façons. Les épidémies sont brèves ou prolongées, ou, comme la peste de Justinien, récurrentes. Souvent concomitantes des guerres, elles s’allient à l’agresseur ou à l’agressé. Les maladies épidémiques deviennent parfois endémiques, c’est-à-dire qu’elles sont constamment présentes au sein de la population. Elles ne reprennent la forme d’une épidémie que lorsqu’elles sont introduites dans une nouvelle région ou quand les circonstances évoluent.
La variole, parfois surnommée le “monstre tacheté”, appartient à cette dernière catégorie. Elle aurait tué plus d’un milliard de personnes avant d’être éradiquée au milieu du XXe siècle. Personne ne sait exactement d’où elle est venue : le virus – appartenant au genre qui comprend la variole des vaches, des camélidés et des singes – aurait contaminé des humains à l’époque où ils ont commencé à domestiquer des animaux.
On retrouve des traces de la variole chez des momies égyptiennes, y compris celle de
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En Inde, les épidémies se sont toujours affranchies de la loi
La pandémie du nouveau coronavirus bouleverse le rapport à la loi. Les Etats s’arrogent des pouvoirs étendus tandis que les populations menacées par la maladie acceptent soudain d’être privées de liberté. Ce n’est pas du cinéma : en Inde, ceci s’est déjà produit à de multiples reprises par le passé, raconte Mitra Sharafi sur le site d’information Himal Southasian.Cette historienne du droit, enseignante à l’université du Wisconsin, rappelle ainsi que bien des crises sanitaires ont “tordu” la loi dans cette région du monde. Ainsi, quand le choléra s’est abattu sur Madras en 1871, “une loi a été adoptée par le Raj britannique pour exonérer les prisons d’enquêtes” en cas de mort suspecte d’un prisonnier. Il s’agissait alors de protéger les enquêteurs de l’épidémie “mais cela a ouvert la porte au crime” en milieu carcéral.
Quand la peste est arrivée à Bombay en 1896, un texte coercitif a été introduit pour “autoriser l’inspection autoritaire des logements, des patients et des cadavres, la ségrégation et l’hospitalisation des cas suspects, et même le recours à l’armée pour appliquer ces mesures”. Avec le Covid-19, le mauvais film continue.
Source
Créé en 1925, The New Yorker est un concentré du style et de l’humour
new-yorkais, en particulier dans ses cartoons subtils et désopilants.
Ses reportages au long cours, ses analyses politiques, ses critiques et
ses fictions en font le
Source Courrier International
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