François-Xavier
Bellamy, élu au Parlement européen le 26 mai 2019, le député LR est le
chef de la délégation française au sein du PPE.
LE
FIGARO .- Au terme de votre première année de mandat, le PPE vous a
désigné pour conduire une réflexion sur la droite. De quoi s'agit-il ?
François-Xavier BELLAMY . - Dans
un paysage politique de plus en plus fragmenté, la droite n'a plus la
vision, la stratégie d'ensemble qui lui permettrait d'être audible. Elle
doit se remettre à travailler sur le fond pour retrouver une parole
claire.
En échangeant avec des élus d'autres pays européens, je vois à
quel point la décomposition politique que nous connaissons en France se
vérifie ailleurs, en Italie, en Espagne, en Allemagne même : partout on
observe le développement de partis contestataires qui concentrent une
colère impuissante, la poussée d'un mouvement “vert” qui semble souvent
servir une idéologie plus qu'une véritable écologie, ou d'un
progressisme totalement déconnecté des aspirations populaires, qui
n'arrive qu'à accroître encore les tensions sociales. Dans ce contexte,
les partis politiques de droite ne peuvent survivre si leur vision reste
incertaine, ambiguë, paresseuse. Beaucoup de nos alliés européens font
face comme nous à de vraies difficultés. Reconstruire la droite est un
défi européen. Après un long débat sur le sujet avec les chefs des
délégations nationales du PPE (Parti populaire européen), notre
président, Manfred Weber, m'a demandé de conduire un travail de fond
pour redéfinir l'identité de la droite en Europe, et notre groupe m'a
élu pour mener à bien cette mission. Avec une équipe de députés
européens, auquel nous associerons des parlementaires nationaux, nous
allons maintenant travailler méthodiquement pour affronter toutes les
questions auxquelles la droite n'a pas toujours su faire face. Le but
est de produire un texte de fond qui doit être discuté et adopté en
novembre, avec l'ambition de contribuer à un nouveau départ, et de
parler largement au grand public en Europe. Cela sera un signal fort
envoyé à tous ceux qui ont perdu confiance en notre famille politique
parce qu'elle semblait incapable de se remettre en question : il est
vital aujourd'hui de reconstruire une alternative crédible qui puisse
redonner espoir.
Chez Les Républicains, la définition du libéralisme fait débat. Qu'en pensez-vous ?
Il
y a en effet un problème de définition. Mais il est difficile
d'admettre que notre pays, champion des normes et des prélèvements
obligatoires, souffre d'être trop “libéral”. Prétendre que la
défaillance de l'État dans ses missions régaliennes pourrait être réglée
en augmentant la dépense publique, alors que nous sommes déjà les
premiers au monde en la matière, relève d'une forme de paresse
intellectuelle... En vérité, malgré le dévouement des acteurs de
terrain, nous subissons surtout les effets d'une incroyable
désorganisation de l'État, d'une hyperadministration contre-productive,
de la complexité du millefeuille territorial, qui asphyxient
l'initiative et déresponsabilisent les corps intermédiaires. Nous devons
avoir ce débat sans céder à la démagogie ou au simplisme, mais en osant
regarder la vérité en face.
Beaucoup
pensent que la droite retrouvera une voix en France quand elle aura
trouvé son candidat pour 2022. Quel est votre avis ?
La
première urgence concerne le travail de fond, afin de retrouver une
ligne claire et solide à proposer demain à la France. Christian Jacob a
réuni des équipes thématiques pour avancer sur chaque sujet : sur les
questions européennes par exemple, nous échangeons régulièrement avec
nos collègues de l'Assemblée et du Sénat, avec des experts… C'est la
priorité aujourd'hui. La question de l'incarnation sera bien sûr
déterminante, et elle devra évidemment être tranchée le moment venu ;
mais ce n'est pas la priorité aujourd'hui.
Que pouvez-vous dire sur le fonctionnement de l'Union européenne aujourd'hui ?
Au
bout d'un an de mandat, j'observe que toutes les grandes intuitions de
notre campagne se sont vérifiées : nous voulions d'une Europe qui ne se
contente plus de créer des normes et des règles de concurrence, mais qui
respecte une véritable subsidiarité, tout en retrouvant une vision
stratégique dans la mondialisation. Cette perspective est plus urgente
que jamais ! Mais je mesure l'ampleur du changement qu'il faut réussir à
imposer... Au milieu d'une crise qui a montré que notre autonomie
alimentaire était un enjeu crucial, c'est à Greta Thunberg que la
Commission demande des conseils pour réformer la politique agricole
commune. Et au moment où il apparaît plus nécessaire que jamais de
protéger notre marché européen pour retrouver une capacité de produire,
le commissaire au commerce extérieur parle de nouveaux accords de
libre-échange avec les États-Unis ou le Mercosur… L'Union européenne est
encore piégée par une vision idéalisée et naïve de la mondialisation :
certains nous expliquent que, pour ne plus manquer de masques à
l'avenir, il n'est pas nécessaire de retrouver les moyens d'en
fabriquer, mais simplement s'assurer d'avoir plusieurs fournisseurs. Au
lieu de ne plus dépendre enfin d'autres acteurs, on nous propose de
multiplier cette dépendance, comme si les chocs globaux et les rapports
de force n'existaient plus ! Les dirigeants européens peinent à prendre
conscience que l'histoire est de retour, et qu'il faut se préparer pour
ne pas subir les crises futures et la puissance croissante des autres
acteurs. L'épidémie actuelle est un avertissement clair : l'avenir de
l'Europe dépend des leçons qu'elle saura en tirer.
Ces « dogmes » sont-ils les moteurs de l'élargissement défendu par certains ?
Oui,
et c'est d'ailleurs un autre exemple de cette absence de lucidité... En
plein milieu de la crise du Coronavirus, Emmanuel Macron a accepté le
processus d'élargissement pour l'Albanie et la Macédoine du Nord. Après
avoir promis de s'y opposer pendant toute la campagne européenne… C'est
un pas de plus dans l'impasse qui a condamné l'Union à tant de paralysie
et de dangereuses tensions, notamment sur le plan migratoire,
économique, ou même démocratique !
Comment la complexité des institutions européennes s'illustre-t-elle ?
Le
Parlement négocie en permanence avec la Commission et le Conseil des
chefs d'État et de gouvernement, pour déterminer la législation. Dans
cette mécanique institutionnelle, il faut vraiment être un combattant si
l'on veut obtenir des avancées. Avec notre délégation, nous avons
parfois emporté la décision, par exemple avec la désignation de Thierry
Breton au sein de la Commission : malgré les critiques d'Emmanuel
Macron, nous avons rendu un vrai service à la crédibilité de la France,
qui aurait été fortement atteinte si la commissaire que le Président
avait désignée avait été confirmée. Mais dans l'effet d'inertie de cet
univers complexe, toute bataille remportée suppose un engagement total.
Malgré ses pesanteurs, l'Union européenne vous semble-t-elle prête à se réformer ?
C'est
la grande question. Soit l'Europe changera, soit elle disparaîtra. Si
les Européens ne prennent pas toute la mesure de leur vulnérabilité
aujourd'hui, ils sortiront de l'histoire. Une Europe obligée d'aller
quémander en Chine les produits nécessaires à sa survie, ou dépendante
technologiquement des plateformes numériques américaines est une Europe
sans avenir, parce qu'elle se rend otage de puissances extérieures qui
décideront de son destin.
Avec 500 milliards d'emprunt, le plan de relance franco-allemand vous semble-t-il à la hauteur des enjeux ?
En
réalité, ce plan est issu d'un projet que la commission construisait
depuis plusieurs semaines. Ce que l'on a beaucoup évoqué, c'est un
accord entre la France et l'Allemagne sur ce projet ; mais mettre en
scène une discussion à deux ne suffit pas à convaincre les 25 autres… Et
quand j'entends Nathalie Loiseau faire la leçon aux pays qui osent
s'inquiéter d'un dérapage budgétaire incontrôlé, de la part d'un État
qui n'a pas su faire un budget à l'équilibre depuis près de cinquante
ans, je me dis que décidément LREM n'est pas près d'aider les Français à
passer enfin pour moins arrogants, ni plus crédibles... Concernant ce
projet d'emprunt européen, je suis très réticent : qui dit emprunt dit
responsabilité budgétaire ! Nous rêvons d'asseoir notre endettement sur
les excédents de l'Allemagne et des pays nordiques. Mais si nous créons
cette solidarité budgétaire, cela impliquera de soumettre nos politiques
nationales à un contrôle encore plus étroit de l'échelon européen. La
fourmi ne prêtera pas à la cigale sans vérifier qu'elle va arrêter de
chanter. Quand on voit le rejet que suscite la règle des 3%, imposée par
la simple solidarité monétaire, on comprend qu'Emmanuel Macron n'ait
pas parlé aux Français des conditions déjà exigées par l'Allemagne à ce
plan de relance… Or s'il nous faut faire des réformes, ce doit être à
notre initiative et pour préparer notre avenir, et non sous l'injonction
d'une autorité extérieure. La décision budgétaire est l'expression la
plus concrète de la responsabilité démocratique : elle ne peut pas être
transférée sans une atteinte absolue à la souveraineté d'un pays. Ceux
qui voient ici l'occasion de ressusciter le vieux rêve fédéraliste en
créant un contrôle de fait des États à travers un endettement commun,
courent le risque de constituer une nouvelle pomme de discorde,
susceptible à terme de faire exploser l'Union européenne. Je crois à une
Europe qui renforce nos pays, et non qui les remplace ; de ce point de
vue, je le dis depuis plusieurs semaines, il me semble infiniment
préférable de mobiliser rapidement le budget européen avec un effet de
levier pour que les États et les entreprises financent des besoins
concrets et urgents, plutôt que de provoquer de longs débats et des
tensions profondes sur un endettement commun.
Comment avez-vous vécu l'épisode du Brexit en janvier ?
Pour
la première fois, un État membre a choisi de quitter l'Union
européenne. On a trop vite oublié ce que cela signifiait. Beaucoup se
sont rassurés en affirmant que le Brexit avait gagné grâce à des “fake
news”; il y en a eu, comme dans bien des campagnes hélas, et sans doute
dans chaque camp. Mais si une majorité de Britanniques a voté pour
sortir de l'Union, c'est qu'elle considérait qu'appartenir à l'Union
européenne fragilisait leur pays au lieu de le renforcer. Si les
Européens ne comprennent pas cela, il y aura d'autres Brexit.
Quelle réflexion vous inspirent Emmanuel Macron et Bruno Le Maire quand ils parlent de « souveraineté nationale » ?
Quelle
incroyable contradiction avec ce qui était au cœur même de la vision
d'En Marche ! Durant les élections européennes, le responsable du pôle
Idées de LREM, Aurélien Taché (NDLR, le député vient de quitter le
groupe LREM à l'Assemblée pour le nouveau groupe EDS) expliquait que le
projet de son mouvement était de transférer la souveraineté française à
l'échelle européenne. Un an plus tard, on nous explique qu'il faut
repenser la souveraineté nationale. Emmanuel Macron déclarait en 2017
que « le protectionnisme, c'est la guerre » ; maintenant il affirme que
délocaliser a été une folie... Il voudrait nous faire croire qu'il se
réinvente. En réalité, il me fait l'effet d'un comédien changeant de
texte après avoir constaté que la pièce d'avant ne marchait pas.
Malheureusement, personne ne peut croire ces revirements. Et la
principale victime de ces zigzags idéologiques, c'est la clarté du débat
démocratique… Je le répète depuis l'apparition d'En Marche :
l'inconsistance du “en même temps” rend impossible une conversation
civique claire, qui puisse servir le discernement des Français et
exprimer la réalité des clivages qui traversent la société. En adoptant,
pour tout projet politique, de médiocres stratégies de communication
qui se succèdent dans une incohérence absolue, Emmanuel Macron a
profondément dévitalisé notre démocratie, et alimente ainsi les colères
qui menacent désormais de la déborder.
Il vous reste quatre années de mandat européen. Quelles sont vos ambitions ?
Notre
boussole est le projet que nous avons défendu pendant la campagne, qui
est plus que jamais d'actualité : une Union européenne qui se concentre
enfin sur ses missions fondamentales, qui créé les conditions d'une
vraie autonomie stratégique pour nos pays dans les secteurs essentiels,
restaurant ainsi la capacité de l'Europe à agir face aux crises futures
et aux autres puissances mondiales. Pour ne plus subir ce qui lui
arrive, comme nous le vivons aujourd'hui, l'Europe doit se souvenir
qu'elle n'est pas un projet pour cogérer le déclin, mais une
civilisation millénaire indispensable à l'équilibre du monde de demain.
Je le crois plus que jamais.
https://www.lefigaro.fr/politique/francois-xavier-bellamy-nbsp-reconstruire-la-droite-est-un-defi-europeen-20200526
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