Le répit a duré un week-end. À peine. Le temps de laisser les pro-Brexit savourer leur victoire. De permettre aux europhiles britanniques de pleurer la perte de leur citoyenneté européenne. Et de voir la presse du continent faire ses adieux à ce voisin encombrant “mais si important pour l’Union européenne”.

Dès lundi 3 février, le bras de fer a repris entre le Royaume-Uni et l’UE. Le premier chapitre du divorce clos, vendredi 31 janvier, avec la sortie officielle du pays des institutions européennes, place aux négociations sur la future relation.
L’un à Londres, l’autre dans la capitale belge, le Premier ministre Boris Johnson et le chef des négociateurs européens Michel Barnier ont détaillé leurs objectifs respectifs. “Avec acrimonie”, constate The Times. Car sur plusieurs points, le fossé à combler semble important.
D’autant que tout doit être résolu avant le 31 décembre et la fin de la période de transition – durant laquelle le Royaume-Uni continue de suivre les règles européennes. Tour d’horizon en quatre points.
  • L’accord de libre-échange sur les biens

Le message central de Boris Johnson est que “le Royaume-Uni veut sceller un accord de libre-échange sans barrières douanières, frais ni quotas, ni dans un sens ni dans l’autre, rapporte The Daily Telegraph. Mais il refuse de signer un ‘alignement réglementaire’ qui obligerait le Royaume-Uni à se plier aux normes européennes”. Problème, c’est une ligne rouge pour Bruxelles : “L’UE est prête à proposer un accord commercial qui ouvre son marché de 450 millions de consommateurs sans barrières douanières ni quotas, a dit Michel Barnier, mais à condition que les Britanniques offrent des garanties d’équité et acceptent de maintenir l’accès des Européens à leurs zones de pêche.”
  • Les protections environnementales

Dans ce secteur également, l’alignement sur les normes européennes pose problème. “L’UE exige que le Royaume-Uni respecte les critères communautaires actuels avec la possibilité de les resserrer encore plus à l’avenir”, informe The Times. Mais de son côté, “Londres n’est pas disposée à accepter d’être contrainte d’appliquer la réglementation européenne à la lettre”, même si elle assure n’avoir aucune intention “de saper les normes écologiques”. À en croire le quotidien londonien, les deux parties pourraient s’inspirer du Ceta, signé entre l’UE et le Canada, “qui laisse aux deux parties toute latitude pour définir leur propre réglementation en matière d’environnement – tant que celle-ci n’induit pas de concurrence déloyale.”
  • La pêche

C’est le sujet explosif par excellence. Les hostilités ont d’ailleurs été lancées dès le lendemain du Brexit, samedi 1er février, lorsque l’île anglo-normande de Guernesey a suspendu l’accès à ses eaux aux navires de pêches français, le temps de mettre en place un nouveau protocole. “D’ici à la fin de cette année, le Royaume-Uni sera un État insulaire indépendant, non soumis à la politique commune de la pêche de l’UE, donc libre d’interdire ses eaux aux navires étrangers et de fixer ses propres quotas de pêche”, rappelle The Times. Si le Royaume-Uni attend de l’Union européenne qu’elle reconnaisse ce nouvel état de fait, Michel Barnier a fait savoir que le bloc souhaitait le maintien des quotas et de l’accès réciproques aux réserves halieutiques. Sur ce point, “c’est un peu la quadrature du cercle. L’UE espère que Londres acceptera de lâcher du lest sur ce secteur qui ne représente que 0,04 % de son PIB, afin de protéger le reste de son économie, analyse le quotidien conservateur. Mais c’est là sous-estimer l’importance symbolique du secteur de la pêche pour les Britanniques.”
  • Le rôle de la Cour de justice européenne

Autre pierre d’achoppement en vue : l’UE entend imposer “un rôle pour sa Cour de justice dans le règlement des différends” une fois l’accord final en vigueur. De son côté, Boris Johnson rejette fermement l’idée, qui reviendrait à contraindre le pays à appliquer le droit européen. “Le Royaume-Uni pourrait éventuellement concéder à la Cour de justice un rôle qui ne soit pas contraignant et qui ne lui impose pas l’application du droit européen”, avance The Times. Mais le sujet est si sensible outre-Manche qu’il “a tout pour faire capoter l’accord”.
En résumé, note Politico, Bruxelles pose comme prérequis à la signature d’un accord “très ambitieux” le maintien de l’alignement du Royaume-Uni sur la plupart des normes européennes. Sa principale crainte : que le pays devienne un concurrent déloyal, avec des réglementations moins contraignantes en matière de protection de l’environnement et des droits des travailleurs. De son côté, le Premier ministre Boris Johnson souhaite pouvoir diverger s’il le souhaite. “Ce conflit ne sera pas facile à résoudre”, prévient The Economist.
D’autant que deux données supplémentaires viennent corser le tout : la période extrêmement courte dont les deux parties disposent, d’abord, car le Royaume-Uni refuse de prolonger la période de transition au-delà du 31 décembre. Ensuite, d’autres points épineux ont été mis en suspens à l’issue de la première phase, comme l’avenir de la frontière entre l’Irlande (Union européenne) et l’Irlande du Nord (Royaume-Uni). Le protocole, qui prévoit le maintien de la région dans le marché unique de l’UE n’est pas encore au point.
Rendez-vous pour les premiers rounds de discussion début mars. D’ici là l’hebdomadaire britannique lance un avertissement : “Si les deux parties ne dévient pas de leurs positions intransigeantes dans les négociations, il est plus que possible que le Brexit ait lieu le 31 décembre sans qu’aucun accord n’ait été mis en place.”