Incontestablement, la mobilisation est forte et le
mouvement de grève lancé le 5 décembre est très suivi. La réforme des
retraites est-elle seule à l'origine de cette vaste manifestation de
mécontentement? Probablement pas. Il n'est pas sûr que toutes les
personnes qui manifestent sachent précisément ce qui est envisagé dans
ce projet; le flou qui l'entoure est d'ailleurs un facteur d'aggravation
des tensions.
En fait, il est probable qu'il y ait parmi les opposant·es au texte nombre de gens qui gagneraient à ce que la réforme telle qu'elle a été présentée dans le rapport Delevoye
soit mise en œuvre. Malgré tout, les motifs d'irritation ne manquent
pas: réforme SNCF, suppression de l'ISF toujours pas pardonnée, etc.
En voulant mettre en place un régime universel de retraite, et donc supprimer tous les régimes spéciaux et les particularités des grands régimes généraux, le pouvoir a réussi d'un seul coup à se faire des ennemis dans toutes les catégories sociales –de l'employé de la SNCF à l'avocate et au cadre supérieur, en passant par l'enseignante– et ainsi à fédérer tous les mécontentements.
Le retour au calme ne sera pas facile si l'on exclut un abandon de la réforme, un report à une date lointaine (ce qui reviendrait au même, un autre gouvernement pouvant revenir sans grande difficulté sur une réforme non encore appliquée) ou des concessions qui alourdiraient considérablement le coût du nouveau dispositif et en compromettraient la pérennité.
Ce constat s'impose avec une évidence particulière lorsqu'il s'agit des retraites. L'idée d'un régime universel dans lequel les droits à pension sont calculés de la même façon pour tout le monde est a priori séduisante et semblerait devoir convenir à une société soucieuse d'évoluer vers davantage d'égalité. Mais c'est oublier l'histoire compliquée de la retraite en France, dont on a le résultat avec quarante-deux régimes obligatoires aujourd'hui.
Un aussi grand nombre de régimes avec des dispositions permettant de prendre sa retraite plus tôt que la moyenne ou offrant un mode de calcul particulier n'est pas satisfaisant pour l'esprit, mais les personnes qui bénéficient de ces dispositions y sont attachées; y toucher, c'est remettre en cause un acquis considéré comme non négociable.
On ne peut pas faire table rase du passé sans rencontrer d'opposition, et tous ces régimes ne sont pas dans la même situation. Le régime spécial est d'autant plus compliqué à défendre pour les cheminots qu'il compte aujourd'hui près de 400.000 bénéficiaires pour moins de 140.000 cotisant·es et qu'il ne pourrait pas tenir sans une aide de l'État s'élevant actuellement à 3,3 milliards d'euros par an. À l'opposé, les avocat·es vivent très bien seul·es et n'ont pas besoin d'aide.
Même en partant du principe qu'un système universel est plus normal et plus juste, il faut admettre qu'un tel régime ne doit pas impliquer des règles strictement identiques pour tout le monde.
Il est évident que certains métiers sont plus pénibles physiquement que d'autres, que l'espérance de vie n'est pas la même selon les catégories, que les femmes qui arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs enfants n'ont pas le même parcours professionnel que leurs homologues masculins, etc.
Derrière l'apparente simplification du passage de quarante-deux régimes de retraite à un seul, on retrouve une foison de dispositions particulières qui doivent tenir compte des caractéristiques particulières de certaines professions, de leur pénibilité, de la possibilité de les exercer encore à un certain âge.
Ces points ont été discutés avant même la remise du rapport Delevoye et, dans le contexte tendu actuel, les pourparlers se poursuivent avec l'espoir pour le gouvernement d'arriver à des compromis jugés acceptables par toutes les parties. Mais il y a encore du travail à faire. La pénibilité, par exemple, est abordée dans le rapport Delevoye sans que les conclusions qui en sont tirées ne soient jugées satisfaisantes.
On peut penser ce que l'on veut d'Emmanuel Macron, on ne peut imaginer une seule seconde que celui qui pense à sa réélection à la présidence de la République dans deux ans et demi serait assez stupide pour faire voter un texte allant contre les intérêts de toutes celles et ceux qui travaillent et comptent un jour profiter de leur retraite, c'est-à-dire l'écrasante majorité de l'électorat!
On remarque d'ailleurs que le «président des riches», selon une formule fréquemment employée depuis la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière, ne fait pas que des cadeaux aux classes sociales censées le soutenir: les personnes qui devraient perdre le plus à l'abandon du système actuel, en valeur absolue, sont les plus hauts revenus.
À l'heure actuelle, s'ils sont salariés, ils cotisent pour la retraite de base à 15,45% (parts patronale et salariale comprises) jusqu'à hauteur du plafond annuel de la Sécurité sociale (40.524 euros en 2019) et versent en plus sur le reste de leur rémunération 2,30% non productifs de droits; ils peuvent cotiser pour leur retraite complémentaire jusqu'à huit fois le plafond, soit 324.192 euros bruts.
Dans le nouveau régime, ces très hauts revenus pourraient cotiser à 25,31% jusqu'à seulement trois fois le plafond, soit l'équivalent de 121.572 euros. Le taux unique de cotisation devant être de 28,12%, ils paieraient également 2,81% sur l'ensemble de leur salaire, y compris sur la partie supérieure à trois fois le plafond. Ce versement serait non productif de droits; il «permettra de faire contribuer solidairement les plus hauts revenus au financement du système de retraite», est-il écrit dans le rapport Delevoye. Est-ce cela la casse du système social?
D'autres, qui sont moins bien loti·es, ont toutefois raison de se faire du souci, car le système du 1 euro cotisé qui donne les mêmes droits à chacun·e n'aurait pas que des effets positifs.
Il permettrait certes à des gens qui travaillent très irrégulièrement de s'assurer des droits, alors qu'il peut leur arriver aujourd'hui ne pas pouvoir valider un trimestre parce que leur nombre d'heures travaillées est insuffisant. En revanche, il ne serait plus possible de faire valider un trimestre avec un seul mois complet de travail: les points accumulés correspondraient à ce seul mois.
Le dispositif peut en outre avoir des effets négatifs du fait de l'abandon de la référence aux vingt-cinq meilleures années pour les salarié·es du privé et aux six derniers mois pour les fonctionnaires: le calcul par points peut être sensiblement moins intéressant si on compte au début de sa carrière de longues années avec une rémunération faible.
Le problème est apparu très rapidement et, pour les fonctionnaires, il est prévu en compensation que les primes seront prises en compte pour les cotisations et le calcul des points, à la différence de ce qui se fait actuellement. Cet aménagement des règles sera néanmoins nettement insuffisant pour les fonctionnaires ne bénéficiant pas de primes élevées. C'est notamment le cas des enseignant·es, qui ont apporté un soutien massif au mouvement de grève.
On pourrait multiplier les exemples montrant que l'intégration dans un système unique par points fait des gagnant·es mais aussi beaucoup de perdant·es, ce qui fait douter du caractère «juste» de la réforme.
Si des mesures de transition ont été prévues, elles ne suffisent apparemment pas à calmer les appréhensions. Les perdant·es font leurs calculs, qui diffèrent de ceux du gouvernement, et peinent à croire la bonne parole officielle. Il faudra du temps et des efforts pour que les points de vue convergent –à supposer que l'on y parvienne.
Avec la retraite par points, on peut en théorie prendre sa retraite quand on estime avoir accumulé assez de points, dès que l'on a atteint l'âge légal de la retraite (62 ans aujourd'hui), et l'on ne comprend pas les dispositifs envisagés pour pénaliser les personnes partant tôt à la retraite ou pour inciter à partir plus tard. Où est la liberté si le fait de quitter la vie active au moment que vous choisissez vous expose à avoir une retraite plus faible?
Dans un régime par répartition, vos cotisations ne sont pas placées et ne travaillent pas pour vous; elles servent à financer les pensions de celles et ceux qui sont déjà à la retraite, et le jour où vous prenez la vôtre, votre pension est financée par les cotisations des personnes qui travaillent.
Il faut qu'à chaque moment, les deux grandes masses s'équilibrent: d'un côté les cotisations des travailleurs et travailleuses, de l'autre les pensions des retraité·es. Cet équilibre n'est pas spontané: il résulte des décisions prises auparavant quant au montant des cotisations, à celui des retraites, à l'âge du départ à la retraite, etc.
Les études démographiques permettent certes d'éclairer la prise de décision, mais l'évolution réelle peut ne pas être conforme aux prévisions et le contexte économique risque de venir compliquer le problème.
À la demande du gouvernement, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a remis en novembre dernier un rapport sur l'état prévisible du système de retraite à l'horizon 2030, qui a jeté un froid.
L'hypothèse de départ était celle d'une situation proche de l'équilibre en 2025, date à laquelle était censé démarrer le nouveau système universel à points. Or, selon les travaux du COR, le déficit s'établirait à ce moment-là entre 7,9 et 17,2 milliards d'euros, en fonction du mode de calcul et du scénario retenu.
Cela complique énormément la tâche. Faut-il continuer comme on avait prévu de le faire en misant sur un rétablissement progressif au-delà de 2025 ou faut-il dès maintenant prendre des mesures correctrices pour assurer l'équilibre du nouveau système dès le départ?
Comment faire passer une réforme qui rencontre déjà beaucoup de résistances si on impose en plus des mesures nouvelles de discipline financière? C'est d'autant plus difficile que le pouvoir exécutif a présenté sa réforme tout autrement: le but, explique-t-il, est de mettre en place un système plus clair et plus juste, de renforcer la cohésion sociale, pas de faire des économies.
Dès les premières pages de son rapport, le COR rappelle quelques données de base: les dépenses de retraite représentent 13,8% du PIB et il était prévu de les maintenir à ce niveau, où elles absorbent 31% des revenus de la population active (évidemment, en payant cela, cette dernière se constitue des droits pour sa propre retraite; il n'en demeure pas moins que cette charge est lourde).
La France compte actuellement plus de 14,3 millions de retraité·es. Compte tenu de l'évolution démographique et du vieillissement de la population, le rapport entre personnes actives et retraitées est tombé très bas: d'après le COR, il s'établit aujourd'hui à 1,7 cotisant·e par retraité·e de droit direct (sans compter les pensions de réversion) et il devrait encore baisser, pour atteindre 1,6 en 2030.
On entend parfois dire: oui, mais c'est à cause des baby-boomers, cela va s'améliorer car il y a eu beaucoup de naissances dans les années 2000. Il ne faut pas se faire trop d'illusions sur ce point.
Dans son portrait social annuel, l'Insee dresse un constat clair: après la chute du nombre des naissances en 1976, année qui a marqué la fin du baby-boom, la natalité a connu deux vagues de plus forte intensité, entre 1980 et 1982 puis entre 2006 et 2014.
Mais on est depuis revenu dans des années basses et le vieillissement de la population s'accélère: en 2019, plus d'une personne sur cinq est âgée de 65 ans ou plus et cette tendance se poursuivra dans les prochaines années, avec une forte augmentation de la part des 75 ans ou plus à partir de 2020, lorsque les baby-boomers atteindront cet âge. Quant à la part des 85 ans ou plus, elle atteint déjà 3,3% de la population et croîtra plus vite à partir de 2030, car elle sera alors impactée par le baby-boom.
Après être montée à 54,7% en 1999, la part de la population âgée de 20 à 60 ans, la plus présente sur le marché du travail, est de son côté retombée à 51% en 2019. Ces déplacements de quelques points de pourcentage sont lourds de conséquences et réduisent les marges de manœuvre.
Même s'il est compliqué à gérer et si l'évolution de la démographie impose des choix qui ne plaisent pas forcément –comme celui de reculer l'âge de la retraite au fur et à mesure de l'allongement de la durée de vie–, le système de retraites par répartition est la base nécessaire. Dans l'intérêt de tout le monde, il faut préserver ce système.
Pour cela, le pouvoir exécutif aurait pu procéder par petites touches. Mais Emmanuel Macron a voulu que son quinquennat soit marqué par LA grande réforme des retraites. Il lui faut maintenant assumer ce choix, qui donne à ses adversaires la possibilité de lui faire mordre la poussière.
Le Premier ministre s'emploie à ramener le calme. Les propos qu'il a tenus le 6 décembre laissent penser qu'il a compris l'ampleur du problème et ses propositions pourraient permettre une sortie du conflit.
Il ne s'agit pas seulement de reporter la réforme –ce qui, nous l'avons dit, équivaudrait à un abandon pur et simple–, mais d'organiser la transition vers le nouveau régime. La proposition d'une revalorisation progressive du salaire des enseignant·es, par exemple, montre clairement que les solutions envisagées sont sérieuses et méritent d'être discutées.
Le problème est que les passions sont exacerbées et que les arguments rationnels risquent d'être peu entendus. Pour beaucoup d'adversaires de la réforme, l'objectif est de remporter une victoire sur Macron, quoi que le gouvernement promette désormais. Il n'est pas sûr que le discours que doit prononcer Édouard Philippe le 11 décembre soit réellement écouté et analysé sereinement.
En voulant mettre en place un régime universel de retraite, et donc supprimer tous les régimes spéciaux et les particularités des grands régimes généraux, le pouvoir a réussi d'un seul coup à se faire des ennemis dans toutes les catégories sociales –de l'employé de la SNCF à l'avocate et au cadre supérieur, en passant par l'enseignante– et ainsi à fédérer tous les mécontentements.
Le retour au calme ne sera pas facile si l'on exclut un abandon de la réforme, un report à une date lointaine (ce qui reviendrait au même, un autre gouvernement pouvant revenir sans grande difficulté sur une réforme non encore appliquée) ou des concessions qui alourdiraient considérablement le coût du nouveau dispositif et en compromettraient la pérennité.
Impossible table rase
L'économiste Élie Cohen a raison: cette réforme ne s'imposait pas. Cela signifie-t-il que la France est irréformable, comme beaucoup se plaisent à dire? Non, cela nous rappelle simplement que l'idée de la grande réforme qui règlerait une fois pour toutes un problème, quel qu'il soit, est un mythe.Ce constat s'impose avec une évidence particulière lorsqu'il s'agit des retraites. L'idée d'un régime universel dans lequel les droits à pension sont calculés de la même façon pour tout le monde est a priori séduisante et semblerait devoir convenir à une société soucieuse d'évoluer vers davantage d'égalité. Mais c'est oublier l'histoire compliquée de la retraite en France, dont on a le résultat avec quarante-deux régimes obligatoires aujourd'hui.
Un aussi grand nombre de régimes avec des dispositions permettant de prendre sa retraite plus tôt que la moyenne ou offrant un mode de calcul particulier n'est pas satisfaisant pour l'esprit, mais les personnes qui bénéficient de ces dispositions y sont attachées; y toucher, c'est remettre en cause un acquis considéré comme non négociable.
On ne peut pas faire table rase du passé sans rencontrer d'opposition, et tous ces régimes ne sont pas dans la même situation. Le régime spécial est d'autant plus compliqué à défendre pour les cheminots qu'il compte aujourd'hui près de 400.000 bénéficiaires pour moins de 140.000 cotisant·es et qu'il ne pourrait pas tenir sans une aide de l'État s'élevant actuellement à 3,3 milliards d'euros par an. À l'opposé, les avocat·es vivent très bien seul·es et n'ont pas besoin d'aide.
Même en partant du principe qu'un système universel est plus normal et plus juste, il faut admettre qu'un tel régime ne doit pas impliquer des règles strictement identiques pour tout le monde.
Il est évident que certains métiers sont plus pénibles physiquement que d'autres, que l'espérance de vie n'est pas la même selon les catégories, que les femmes qui arrêtent de travailler pour s'occuper de leurs enfants n'ont pas le même parcours professionnel que leurs homologues masculins, etc.
Derrière l'apparente simplification du passage de quarante-deux régimes de retraite à un seul, on retrouve une foison de dispositions particulières qui doivent tenir compte des caractéristiques particulières de certaines professions, de leur pénibilité, de la possibilité de les exercer encore à un certain âge.
Ces points ont été discutés avant même la remise du rapport Delevoye et, dans le contexte tendu actuel, les pourparlers se poursuivent avec l'espoir pour le gouvernement d'arriver à des compromis jugés acceptables par toutes les parties. Mais il y a encore du travail à faire. La pénibilité, par exemple, est abordée dans le rapport Delevoye sans que les conclusions qui en sont tirées ne soient jugées satisfaisantes.
Pertes à chaque bout de l'échelle
Cela dit, les reproches faits à ce projet sont excessifs. On ne peut pas souscrire à l'idée qu'il s'agirait de procéder à «la casse du système social», comme l'affirme la CGT, ou qu'«avec la réforme Macron, l'égalité, c'est tous perdants». Ces slogans sont forts, ils sont mobilisateurs, mais les idées qu'ils véhiculent sont fausses.On peut penser ce que l'on veut d'Emmanuel Macron, on ne peut imaginer une seule seconde que celui qui pense à sa réélection à la présidence de la République dans deux ans et demi serait assez stupide pour faire voter un texte allant contre les intérêts de toutes celles et ceux qui travaillent et comptent un jour profiter de leur retraite, c'est-à-dire l'écrasante majorité de l'électorat!
On remarque d'ailleurs que le «président des riches», selon une formule fréquemment employée depuis la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière, ne fait pas que des cadeaux aux classes sociales censées le soutenir: les personnes qui devraient perdre le plus à l'abandon du système actuel, en valeur absolue, sont les plus hauts revenus.
À l'heure actuelle, s'ils sont salariés, ils cotisent pour la retraite de base à 15,45% (parts patronale et salariale comprises) jusqu'à hauteur du plafond annuel de la Sécurité sociale (40.524 euros en 2019) et versent en plus sur le reste de leur rémunération 2,30% non productifs de droits; ils peuvent cotiser pour leur retraite complémentaire jusqu'à huit fois le plafond, soit 324.192 euros bruts.
Dans le nouveau régime, ces très hauts revenus pourraient cotiser à 25,31% jusqu'à seulement trois fois le plafond, soit l'équivalent de 121.572 euros. Le taux unique de cotisation devant être de 28,12%, ils paieraient également 2,81% sur l'ensemble de leur salaire, y compris sur la partie supérieure à trois fois le plafond. Ce versement serait non productif de droits; il «permettra de faire contribuer solidairement les plus hauts revenus au financement du système de retraite», est-il écrit dans le rapport Delevoye. Est-ce cela la casse du système social?
D'autres, qui sont moins bien loti·es, ont toutefois raison de se faire du souci, car le système du 1 euro cotisé qui donne les mêmes droits à chacun·e n'aurait pas que des effets positifs.
Il permettrait certes à des gens qui travaillent très irrégulièrement de s'assurer des droits, alors qu'il peut leur arriver aujourd'hui ne pas pouvoir valider un trimestre parce que leur nombre d'heures travaillées est insuffisant. En revanche, il ne serait plus possible de faire valider un trimestre avec un seul mois complet de travail: les points accumulés correspondraient à ce seul mois.
Le dispositif peut en outre avoir des effets négatifs du fait de l'abandon de la référence aux vingt-cinq meilleures années pour les salarié·es du privé et aux six derniers mois pour les fonctionnaires: le calcul par points peut être sensiblement moins intéressant si on compte au début de sa carrière de longues années avec une rémunération faible.
Le problème est apparu très rapidement et, pour les fonctionnaires, il est prévu en compensation que les primes seront prises en compte pour les cotisations et le calcul des points, à la différence de ce qui se fait actuellement. Cet aménagement des règles sera néanmoins nettement insuffisant pour les fonctionnaires ne bénéficiant pas de primes élevées. C'est notamment le cas des enseignant·es, qui ont apporté un soutien massif au mouvement de grève.
On pourrait multiplier les exemples montrant que l'intégration dans un système unique par points fait des gagnant·es mais aussi beaucoup de perdant·es, ce qui fait douter du caractère «juste» de la réforme.
Si des mesures de transition ont été prévues, elles ne suffisent apparemment pas à calmer les appréhensions. Les perdant·es font leurs calculs, qui diffèrent de ceux du gouvernement, et peinent à croire la bonne parole officielle. Il faudra du temps et des efforts pour que les points de vue convergent –à supposer que l'on y parvienne.
Système en perte d'équilibre
Une autre difficulté vient corser l'affaire, qui est inhérente à tout système de retraite par répartition: le malentendu sur les cotisations, vues comme une épargne que l'on récupère le moment venu.Avec la retraite par points, on peut en théorie prendre sa retraite quand on estime avoir accumulé assez de points, dès que l'on a atteint l'âge légal de la retraite (62 ans aujourd'hui), et l'on ne comprend pas les dispositifs envisagés pour pénaliser les personnes partant tôt à la retraite ou pour inciter à partir plus tard. Où est la liberté si le fait de quitter la vie active au moment que vous choisissez vous expose à avoir une retraite plus faible?
Dans un régime par répartition, vos cotisations ne sont pas placées et ne travaillent pas pour vous; elles servent à financer les pensions de celles et ceux qui sont déjà à la retraite, et le jour où vous prenez la vôtre, votre pension est financée par les cotisations des personnes qui travaillent.
Il faut qu'à chaque moment, les deux grandes masses s'équilibrent: d'un côté les cotisations des travailleurs et travailleuses, de l'autre les pensions des retraité·es. Cet équilibre n'est pas spontané: il résulte des décisions prises auparavant quant au montant des cotisations, à celui des retraites, à l'âge du départ à la retraite, etc.
Les études démographiques permettent certes d'éclairer la prise de décision, mais l'évolution réelle peut ne pas être conforme aux prévisions et le contexte économique risque de venir compliquer le problème.
À la demande du gouvernement, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a remis en novembre dernier un rapport sur l'état prévisible du système de retraite à l'horizon 2030, qui a jeté un froid.
L'hypothèse de départ était celle d'une situation proche de l'équilibre en 2025, date à laquelle était censé démarrer le nouveau système universel à points. Or, selon les travaux du COR, le déficit s'établirait à ce moment-là entre 7,9 et 17,2 milliards d'euros, en fonction du mode de calcul et du scénario retenu.
Cela complique énormément la tâche. Faut-il continuer comme on avait prévu de le faire en misant sur un rétablissement progressif au-delà de 2025 ou faut-il dès maintenant prendre des mesures correctrices pour assurer l'équilibre du nouveau système dès le départ?
Comment faire passer une réforme qui rencontre déjà beaucoup de résistances si on impose en plus des mesures nouvelles de discipline financière? C'est d'autant plus difficile que le pouvoir exécutif a présenté sa réforme tout autrement: le but, explique-t-il, est de mettre en place un système plus clair et plus juste, de renforcer la cohésion sociale, pas de faire des économies.
Inquiétante évolution démographique
Il faut être clair: si l'on donne plus aux futur·es retraité·es, le poids du financement des retraites pèsera plus lourd encore sur les personnes qui travailleront. Or ce poids est déjà conséquent.Dès les premières pages de son rapport, le COR rappelle quelques données de base: les dépenses de retraite représentent 13,8% du PIB et il était prévu de les maintenir à ce niveau, où elles absorbent 31% des revenus de la population active (évidemment, en payant cela, cette dernière se constitue des droits pour sa propre retraite; il n'en demeure pas moins que cette charge est lourde).
La France compte actuellement plus de 14,3 millions de retraité·es. Compte tenu de l'évolution démographique et du vieillissement de la population, le rapport entre personnes actives et retraitées est tombé très bas: d'après le COR, il s'établit aujourd'hui à 1,7 cotisant·e par retraité·e de droit direct (sans compter les pensions de réversion) et il devrait encore baisser, pour atteindre 1,6 en 2030.
On entend parfois dire: oui, mais c'est à cause des baby-boomers, cela va s'améliorer car il y a eu beaucoup de naissances dans les années 2000. Il ne faut pas se faire trop d'illusions sur ce point.
Dans son portrait social annuel, l'Insee dresse un constat clair: après la chute du nombre des naissances en 1976, année qui a marqué la fin du baby-boom, la natalité a connu deux vagues de plus forte intensité, entre 1980 et 1982 puis entre 2006 et 2014.
Mais on est depuis revenu dans des années basses et le vieillissement de la population s'accélère: en 2019, plus d'une personne sur cinq est âgée de 65 ans ou plus et cette tendance se poursuivra dans les prochaines années, avec une forte augmentation de la part des 75 ans ou plus à partir de 2020, lorsque les baby-boomers atteindront cet âge. Quant à la part des 85 ans ou plus, elle atteint déjà 3,3% de la population et croîtra plus vite à partir de 2030, car elle sera alors impactée par le baby-boom.
Après être montée à 54,7% en 1999, la part de la population âgée de 20 à 60 ans, la plus présente sur le marché du travail, est de son côté retombée à 51% en 2019. Ces déplacements de quelques points de pourcentage sont lourds de conséquences et réduisent les marges de manœuvre.
Même s'il est compliqué à gérer et si l'évolution de la démographie impose des choix qui ne plaisent pas forcément –comme celui de reculer l'âge de la retraite au fur et à mesure de l'allongement de la durée de vie–, le système de retraites par répartition est la base nécessaire. Dans l'intérêt de tout le monde, il faut préserver ce système.
Pour cela, le pouvoir exécutif aurait pu procéder par petites touches. Mais Emmanuel Macron a voulu que son quinquennat soit marqué par LA grande réforme des retraites. Il lui faut maintenant assumer ce choix, qui donne à ses adversaires la possibilité de lui faire mordre la poussière.
Le Premier ministre s'emploie à ramener le calme. Les propos qu'il a tenus le 6 décembre laissent penser qu'il a compris l'ampleur du problème et ses propositions pourraient permettre une sortie du conflit.
Il ne s'agit pas seulement de reporter la réforme –ce qui, nous l'avons dit, équivaudrait à un abandon pur et simple–, mais d'organiser la transition vers le nouveau régime. La proposition d'une revalorisation progressive du salaire des enseignant·es, par exemple, montre clairement que les solutions envisagées sont sérieuses et méritent d'être discutées.
Le problème est que les passions sont exacerbées et que les arguments rationnels risquent d'être peu entendus. Pour beaucoup d'adversaires de la réforme, l'objectif est de remporter une victoire sur Macron, quoi que le gouvernement promette désormais. Il n'est pas sûr que le discours que doit prononcer Édouard Philippe le 11 décembre soit réellement écouté et analysé sereinement.
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