On n’a jamais tant vanté les vertus de la forêt pour la
sauvegarde de la planète, à commencer par ses fonctions de séquestration
(dans la canopée et les sols forestiers) et de stockage (dans la
biomasse produite) du carbone ; aujourd’hui, 30 % environ
des émissions de gaz à effet de serre de la planète sont compensés par
la croissance des forêts. Et la forêt permet aussi de remplacer des
matériaux fabriqués à l’aide d’énergies fossiles par le bois. Autant de
moyens de lutter contre le changement climatique.
Source: Nous ne sommes pas condamnés à la « forestalgie »
Les grands massifs forestiers – et leurs arbres de tous âges, étagés
en strates complexes – offrent une extraordinaire variété de niches
écologiques, permettant d’abriter plus de 75 % de la biodiversité terrestre et de limiter son érosion.
Les éléments de la pharmacopée traditionnelle que les forêts recèlent (comme la quinine, médicament contre la malaria, extraite de l’écorce du quinquina, un arbre des forêts équatoriales d’Amérique du Sud), les composés organiques qui alimentent la chimie verte (comme les composés terpéniques extraits de la résine des pins), la beauté et la tranquillité des paysages sylvestres sont autant de contributions à la santé et au bien-être humain.
Et pourtant, les forêts n’ont jamais été autant menacées.
Certes, les massifs forestiers ont toujours été frappés par les intempéries et les dégâts sanitaires, des perturbations qui étaient jugées parties intégrantes du cycle naturel des écosystèmes. Mais ce qui frappe, c’est l’ampleur inégalée, souvent à l’échelle d’un pays ou d’un continent, et l’origine clairement anthropique des aléas biotiques (insectes ravageurs, champignons pathogènes) et abiotiques (feux de forêt, tempêtes) qui dévastent désormais les forêts du monde.
À lire aussi : Qu’est-ce qui fait qu’un arbre est un arbre ?
Toujours en Amérique du Nord, l’introduction via les échanges commerciaux de l’agrile du frêne, un coléoptère creusant des galeries dans le tronc des arbres, aura eu pour conséquence la quasi-disparition des frênes aux États-Unis, coûtant plus 10 milliards de dollars en pertes de bois et coûts de traitement.
Cet été, en Sibérie, la chaleur et la sécheresse, couplées à l’incurie des autorités locales, ont provoqué des incendies de forêts couvrant une surface égale à la Belgique.
Chaque mois se confirme enfin l’ampleur des déforestations massives dans les grands massifs de forêts tropicales, sous la pression foncière. En Indonésie, environ un million d’hectares de forêts sont défrichés chaque année, notamment pour installer des grandes plantations de palmier à huile afin de produire un ingrédient bon marché pour les firmes agroalimentaires internationales.
Mais l’exemple le plus choquant est sans doute la reprise de la déforestation de la forêt amazonienne au Brésil – avec une augmentation de plus de 200 % de la surface défrichée par rapport à l’année dernière (INPE). Les causes de la déforestation dans ce pays sont bien connues, essentiellement dues à l’essor de l’élevage bovin, soit directement via l’extension des zones de pâturage, soit indirectement via la production de soja destiné à l’alimentation animale.
De nombreux scientifiques craignent désormais le passage au-delà du « point de basculement », à partir duquel les écosystèmes naturels ne pourraient plus revenir à un état d’équilibre suffisant. Des travaux très récents montrent ainsi que la croissance des plantes a pu augmenter jusqu’à la fin des années 2000 grâce à une photosynthèse stimulée par la « fertilisation » du carbone atmosphérique mais qu’elle diminue dorénavant en raison des sécheresses.
Face à ces sombres perspectives, un sentiment de profond désarroi saisit les écologues et les gestionnaires forestiers. L’inertie des politiques et des grands acteurs économiques choque d’autant plus que la forêt a besoin de plus de temps que les systèmes agricoles pour infléchir sa gestion et s’adapter aux contraintes climatiques, demandant des décennies, alors qu’une nouvelle variété de maïs par exemple peut être proposée chaque saison.
À cette frustration d’ordre technique s’ajoute une angoisse que je nommerais « forestalgie », le temps du regret des belles forêts perdues et la crainte que cette perte ne soit irréversible.
Très récemment, l’Union mondiale pour la nature (UICN) a révélé que près de la moitié des espèces d’arbres étaient menacées d’extinction en Europe. Notre malaise s’ancre aussi sans doute dans le souvenir des mythes fondateurs et des grandes religions qui ont placé l’arbre à l’origine des mondes et de l’humanité, depuis l’arbre de vie de la Bible, l’arbre du paradis de l’Islam, l’arbre humain de la Torah, jusqu’à la Ceiba des Mayas ou le Tāne des Maoris.
Le premier est de stopper la déforestation, surtout des forêts primaires des régions intertropicales, principaux « points chauds » de biodiversité et réservoirs immenses de carbone stocké. Pour cela, il faut réduire drastiquement l’utilisation de l’huile de palme, la production de soja et la consommation de viande bovine. Concrètement, il faut proposer sans tarder le boycott du bœuf brésilien.
Le deuxième objectif consiste à promouvoir la reforestation, en renouvelant durablement les forêts secondaires, issues de régénération naturelle puis gérées par l’homme. Une question clé réside dans leur adaptation à long terme aux stress produits par le changement climatique. Cela passe sans doute par un recours accru à la « migration assistée » : soit, en Europe, la transplantation vers le nord de provenances d’arbres issues du sud de l’aire naturelle des essences de reboisement (où elles ont pu depuis des millénaires s’adapter à la sécheresse).
Le troisième objectif réclame de booster les programmes de plantation forestière, via des aides incitatives financées par les grands plans d’investissement public ou privé, voire les fondations caritatives. C’est possible en raison de l’abandon de terres agricoles (environ 100 000 ha/an en France) qui sont alors disponibles pour recevoir des plantations d’arbres, par exemple dans la « diagonale du vide » entre les Landes et la Meuse. Une condition majeure à la réussite de cette troisième voie est cependant l’abandon des monocultures d’arbres (comme les grandes plantations d’eucalyptus au Portugal) au profit de plantations mélangées, car certaines associations d’essences, bien raisonnées, sont à la fois plus productives en biomasse et plus résistantes aux attaques d’insectes ravageurs.
Les éléments de la pharmacopée traditionnelle que les forêts recèlent (comme la quinine, médicament contre la malaria, extraite de l’écorce du quinquina, un arbre des forêts équatoriales d’Amérique du Sud), les composés organiques qui alimentent la chimie verte (comme les composés terpéniques extraits de la résine des pins), la beauté et la tranquillité des paysages sylvestres sont autant de contributions à la santé et au bien-être humain.
Et pourtant, les forêts n’ont jamais été autant menacées.
Certes, les massifs forestiers ont toujours été frappés par les intempéries et les dégâts sanitaires, des perturbations qui étaient jugées parties intégrantes du cycle naturel des écosystèmes. Mais ce qui frappe, c’est l’ampleur inégalée, souvent à l’échelle d’un pays ou d’un continent, et l’origine clairement anthropique des aléas biotiques (insectes ravageurs, champignons pathogènes) et abiotiques (feux de forêt, tempêtes) qui dévastent désormais les forêts du monde.
À lire aussi : Qu’est-ce qui fait qu’un arbre est un arbre ?
De la Sibérie au Brésil, écosystèmes en danger
Les premiers effets marquants du réchauffement climatique sur la côte ouest du Canada se sont par exemple traduits dès le début des années 1990 par une pullulation gigantesque du scolyte du pin ponderosa, un petit insecte se nourrissant du bois tendre situé juste sous l’écorce. Cette situation aura duré plus de 20 ans sans possibilité de contrôle, couvrant une surface de 18 millions d’hectares (comme si l’ensemble de la forêt française avait été éradiqué) et causant la perte de plus d’un milliard de mètres cubes de bois (l’équivalent de 25 ans de récolte annuelle en France).Toujours en Amérique du Nord, l’introduction via les échanges commerciaux de l’agrile du frêne, un coléoptère creusant des galeries dans le tronc des arbres, aura eu pour conséquence la quasi-disparition des frênes aux États-Unis, coûtant plus 10 milliards de dollars en pertes de bois et coûts de traitement.
Cet été, en Sibérie, la chaleur et la sécheresse, couplées à l’incurie des autorités locales, ont provoqué des incendies de forêts couvrant une surface égale à la Belgique.
Chaque mois se confirme enfin l’ampleur des déforestations massives dans les grands massifs de forêts tropicales, sous la pression foncière. En Indonésie, environ un million d’hectares de forêts sont défrichés chaque année, notamment pour installer des grandes plantations de palmier à huile afin de produire un ingrédient bon marché pour les firmes agroalimentaires internationales.
Mais l’exemple le plus choquant est sans doute la reprise de la déforestation de la forêt amazonienne au Brésil – avec une augmentation de plus de 200 % de la surface défrichée par rapport à l’année dernière (INPE). Les causes de la déforestation dans ce pays sont bien connues, essentiellement dues à l’essor de l’élevage bovin, soit directement via l’extension des zones de pâturage, soit indirectement via la production de soja destiné à l’alimentation animale.
Points de basculement
Le risque est donc majeur que les grands écosystèmes forestiers mondiaux n’entrent dans un cercle vicieux où le changement climatique et la déforestation massive diminuent la capacité des forêts à croître et absorber le gaz carbonique émis par les activités humaines – réduisant ainsi la contribution des forêts à la séquestration du CO2 et laissant grimper encore plus vite les températures et l’intensité des sécheresses.De nombreux scientifiques craignent désormais le passage au-delà du « point de basculement », à partir duquel les écosystèmes naturels ne pourraient plus revenir à un état d’équilibre suffisant. Des travaux très récents montrent ainsi que la croissance des plantes a pu augmenter jusqu’à la fin des années 2000 grâce à une photosynthèse stimulée par la « fertilisation » du carbone atmosphérique mais qu’elle diminue dorénavant en raison des sécheresses.
Face à ces sombres perspectives, un sentiment de profond désarroi saisit les écologues et les gestionnaires forestiers. L’inertie des politiques et des grands acteurs économiques choque d’autant plus que la forêt a besoin de plus de temps que les systèmes agricoles pour infléchir sa gestion et s’adapter aux contraintes climatiques, demandant des décennies, alors qu’une nouvelle variété de maïs par exemple peut être proposée chaque saison.
À cette frustration d’ordre technique s’ajoute une angoisse que je nommerais « forestalgie », le temps du regret des belles forêts perdues et la crainte que cette perte ne soit irréversible.
Très récemment, l’Union mondiale pour la nature (UICN) a révélé que près de la moitié des espèces d’arbres étaient menacées d’extinction en Europe. Notre malaise s’ancre aussi sans doute dans le souvenir des mythes fondateurs et des grandes religions qui ont placé l’arbre à l’origine des mondes et de l’humanité, depuis l’arbre de vie de la Bible, l’arbre du paradis de l’Islam, l’arbre humain de la Torah, jusqu’à la Ceiba des Mayas ou le Tāne des Maoris.
Des solutions existent
Nous sommes toutefois nombreux à être convaincus que des solutions existent pour sauvegarder les forêts et les services qu’elles rendent à l’humanité. Ces solutions correspondent à trois objectifs, complémentaires.Le premier est de stopper la déforestation, surtout des forêts primaires des régions intertropicales, principaux « points chauds » de biodiversité et réservoirs immenses de carbone stocké. Pour cela, il faut réduire drastiquement l’utilisation de l’huile de palme, la production de soja et la consommation de viande bovine. Concrètement, il faut proposer sans tarder le boycott du bœuf brésilien.
Le deuxième objectif consiste à promouvoir la reforestation, en renouvelant durablement les forêts secondaires, issues de régénération naturelle puis gérées par l’homme. Une question clé réside dans leur adaptation à long terme aux stress produits par le changement climatique. Cela passe sans doute par un recours accru à la « migration assistée » : soit, en Europe, la transplantation vers le nord de provenances d’arbres issues du sud de l’aire naturelle des essences de reboisement (où elles ont pu depuis des millénaires s’adapter à la sécheresse).
Le troisième objectif réclame de booster les programmes de plantation forestière, via des aides incitatives financées par les grands plans d’investissement public ou privé, voire les fondations caritatives. C’est possible en raison de l’abandon de terres agricoles (environ 100 000 ha/an en France) qui sont alors disponibles pour recevoir des plantations d’arbres, par exemple dans la « diagonale du vide » entre les Landes et la Meuse. Une condition majeure à la réussite de cette troisième voie est cependant l’abandon des monocultures d’arbres (comme les grandes plantations d’eucalyptus au Portugal) au profit de plantations mélangées, car certaines associations d’essences, bien raisonnées, sont à la fois plus productives en biomasse et plus résistantes aux attaques d’insectes ravageurs.
Source: Nous ne sommes pas condamnés à la « forestalgie »
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