atlantico.fr avec Edouard Husson
Pourquoi la Renaissance, la vraie, est une référence historique plus risquée pour l’Europe que ne semble le mesurer Emmanuel Macron
La référence à la Renaissance n'était peut-être pas la plus adaptée d'un point de vue historique. Tous les liens google.
La personne d’Emmanuel Macron m’est totalement indifférente, en l’occurrence. Il ne mérite ni les éloges immodérés de naguère ni la haine qu’il déclenche à présent. Je me prononce sur l’inconsistance de ses discours. Nous avons affaire à un ancien khâgneux, ancien étudiant visiblement sans grand relief de Sciences Po, bien sorti de l’ENA parce que cette école, malheureusement, ne sait plus sélectionner différemment l’individu de réel talent et le conformiste qui en jette plein la vue.
Nous ne savons pas sélectionner comme il faut nos élites. Nicolas Sarkozy a jeté les bases d’une grande réforme, par la modernisation de l’Université, de la sélection des élites, mais il n’a pas réussi à se faire réélire et son successeur a fait retomber le pays et son université dans la routine. Alors, oui, nous sommes sans doute condamnés à subir la répétition de textes aussi indigents qu’une tribune qui appelle à une « Renaissance européenne ». Mais, Monsieur le Président, la Renaissance est un phénomène éminemment européen; donc vous commencez mal, par un pléonasme. D’ailleurs, il est révélateur, il signifie que vous ne comprenez pas que l’Europe a existé bien avant que certains aient l’idée, vers 1950, de « faire l’Europe ». L’Europe est, tout simplement, comme l’amour. On ne la fait pas plus qu’on ne « fait l’amour ». Ces expressions affreuses sont le reflet d’une époque où en fait on contrefait l’Europe, comme on contrefait les sentiments profonds. Il y a une « Renaissance carolingienne », qui fonde l’éducation scolaire moderne; une « Renaissance du XIIIè siècle », qui fonde l’université européenne; la grande « Renaissance », la plus connue, qui fonde l’humanisme. Je veux bien qu’un homme qui a écrit, avant d’être élu, un livre intitulé « Révolution » décide de changer de monde et découvre que les révolutions, depuis le XVIIè siècle, ont plus détruit qu’apporté à l’Europe tandis que les renaissances successives, du IXè au XVIè siècle, ont forgé le « miracle européen ». Mais le président de la République comprend-il seulement les mots qu’il emploie?
Je viens d’énumérer des phénomènes positifs mais que l’absence d’esprit de notre époque considère comme des arguments à charge: la Renaissance du XVIè siècle est élitiste quand nous nous complaisons dans la médiocrité et détruisons l’Ecole; elle fait du respect de la personne humaine la pierre de touche quand nous hésitons entre le transhumanisme et la marchandisation du corps; La Renaissance colonise pour civiliser, christianise parce qu’elle pense qu’on n’a jamais fait plus humain que Jésus de Nazareth. Les artistes du XVIè siècle croient qu’il existe une Beauté en soi quand notre époque ne s’intéresse plus qu’aux cris poussés par des artistes souvent stériles. Et, pour aggraver définitivement mon cas, je rappellerai que la Renaissance redoute que l’Islam l’empêche d’exister: le XVIè siècle, c’est aussi la bataille de Lépante, en 1571, victoire navale en Méditerranée contre la flotte ottomane, sous conduite pontificale et espagnole qui a préservé le miracle européen de cette époque. Sans le pape Pie V et Don Juan d’Autriche, le miracle culturel européen de la Renaissance aurait été englouti par une culture qui ne sépare pas le religieux et le temporel. Je ne suis pas sûr que Monsieur Macron inclue dans sa « Renaissance européenne » que notre continent apparemment si fatigué de vivre et de se battre réaffirme enfin sans ambiguïté l’incompatibilité entre la civilisation européenne et toute vision politique théocratique.
Pour finir, Monsieur Macron sait-il que ce jaillissement extraordinaire a été rendu possible par une absence totale de régulation et de coordination au niveau européen? Que la Renaissance est aussi premier épanouissement de nos nations? On est très loin de son Europe des technocrates fondamentalement antinationiste.
Au total, donc, l’Europe de la Renaissance est exactement le contraire de l’Europe dont rêve le président français. A vrai dire, son rêve n’est pas celle de l’Europe mais d’une lente extinction des forces vives de notre continent, étouffées par la multiplication des agences, la honte de soi et l’absence de débat, l’absence de politique et de créativité tout simplement.
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Atlantico : En intitulant "Pour une Renaissance européenne" sa tribune destinée à l'ensemble des citoyens européens, Emmanuel Macron fait une référence historique ciblée, en inscrivant la majuscule au mot dans l'intégralité du texte. Dans quelle mesure pourrait on estimer cette référence comme inappropriée ?
Edouard Husson : Nous voici dans une période de confusion des esprits. Quasi-générale. Il est difficile de garder la tête froide, sauf si l’on comprend que le malaise qui nous habite vient de loin. Pensons aux romans de Valéry Giscard d’Estaing, naufrage d’un ancien chef d’Etat égaré dans une région dont il n’avait pas la carte. Rappelons-nous que beaucoup ont tenu François Mitterrand pour un écrivain, alors qu’il n’a jamais fait dans ses livres autre chose que ce qu’il a fait en politique: jouer un rôle, être « à la manière de ». Rappelons-nous ensuite, dans les années 1990 et 2000, cette épidémie de livres écrits par d’autres et signés par des hommes politiques qui ne les ont sans doute jamais lus. Nous vivons, depuis bientôt un demi-siècle, dans une époque d’effondrement intellectuel et culturel de notre classe politique. Emmanuel Macron, né en 1977, est à la fois le produit et l’exacerbation d’une tendance de l’époque. Si nous voulons avoir une chance de sortir de la crise actuelle, très profonde, qui s’est emparée de notre pays, il nous faut commencer par dire les choses, nommer les phénomènes. Quand on a un minimum d’exigence intellectuelle, je ne connais rien de plus insupportable qu’un discours ou un article d’Emmanuel Macron. Ce n’est pas seulement que ce soit, toujours, affreusement délayé. Mais il n’y a aucune pensée sérieuse pour étayer ce qui est dit. Non seulement le Président ne fait pas de politique: mais il nous livre régulièrement un mélange de pensée technocratique et de pseudo-philosophie dégoulinant de poncifs progressistes.La personne d’Emmanuel Macron m’est totalement indifférente, en l’occurrence. Il ne mérite ni les éloges immodérés de naguère ni la haine qu’il déclenche à présent. Je me prononce sur l’inconsistance de ses discours. Nous avons affaire à un ancien khâgneux, ancien étudiant visiblement sans grand relief de Sciences Po, bien sorti de l’ENA parce que cette école, malheureusement, ne sait plus sélectionner différemment l’individu de réel talent et le conformiste qui en jette plein la vue.
Nous ne savons pas sélectionner comme il faut nos élites. Nicolas Sarkozy a jeté les bases d’une grande réforme, par la modernisation de l’Université, de la sélection des élites, mais il n’a pas réussi à se faire réélire et son successeur a fait retomber le pays et son université dans la routine. Alors, oui, nous sommes sans doute condamnés à subir la répétition de textes aussi indigents qu’une tribune qui appelle à une « Renaissance européenne ». Mais, Monsieur le Président, la Renaissance est un phénomène éminemment européen; donc vous commencez mal, par un pléonasme. D’ailleurs, il est révélateur, il signifie que vous ne comprenez pas que l’Europe a existé bien avant que certains aient l’idée, vers 1950, de « faire l’Europe ». L’Europe est, tout simplement, comme l’amour. On ne la fait pas plus qu’on ne « fait l’amour ». Ces expressions affreuses sont le reflet d’une époque où en fait on contrefait l’Europe, comme on contrefait les sentiments profonds. Il y a une « Renaissance carolingienne », qui fonde l’éducation scolaire moderne; une « Renaissance du XIIIè siècle », qui fonde l’université européenne; la grande « Renaissance », la plus connue, qui fonde l’humanisme. Je veux bien qu’un homme qui a écrit, avant d’être élu, un livre intitulé « Révolution » décide de changer de monde et découvre que les révolutions, depuis le XVIIè siècle, ont plus détruit qu’apporté à l’Europe tandis que les renaissances successives, du IXè au XVIè siècle, ont forgé le « miracle européen ». Mais le président de la République comprend-il seulement les mots qu’il emploie?
Si la Renaissance est ici perçue positivement, quelles en sont les faces sombres qui semblent avoir été oubliées par le choix de cette référence ?
Poussons pour commencer un grand éclat de rire ! Emmanuel Macron en campagne avait déclaré que la colonisation était un « crime contre l’humanité ». A présent, il fait allusion à une époque qui est, éminemment, une époque de colonisation par l’Europe du reste du monde ! C’est l’époque où l’Espagne et le Portugal découvrent et s’installent dans de nouveaux continents. La France et l’Angleterre suivent assez vite dans la grande oeuvre de christianisation et de civilisation du monde. En parlant ainsi, je m’expose aux foudres de cette absence de pensée que l’on appelle le « politiquement correct » mais comment décrire la Renaissance autrement que comme l’extraordinaire jaillissement de la capacité européenne à explorer, conquérir et transformer le monde? Or l’Europe d’aujourd’hui préfère l’introspection stérile de soi à l’exploration du monde; l’auto-destruction à la conquête et la régression culturelle et éducative au rayonnement civilisationnel. Les Renaissances successives de l’Europe ont toujours été redécouvertes des racines de la culture européenne. Redécouverte des auteurs latins au IXè siècle. Unification de la foi et de la raison au XIIIè siècle grâce à l’étude approfondie d’Aristote, pour marier Athènes et Jérusalem. Plongée dans les racines hébraïques au XVIè siècle. La grande Renaissance est invention de l’humanisme parce qu’elle rétablit un rapport direct à la philosophie grecque, au droit romain et à la Bible hébraïque et qu’elle élargit le cercle des lettrés, quelquefois à des peuples entiers, sous l’influence de la Réforme. La Renaissance du XVIè siècle est un jaillissement culturel sans précédent, démultiplié par l’invention de l’imprimerie et la première formalisation de l’innovation scientifique et technique.Je viens d’énumérer des phénomènes positifs mais que l’absence d’esprit de notre époque considère comme des arguments à charge: la Renaissance du XVIè siècle est élitiste quand nous nous complaisons dans la médiocrité et détruisons l’Ecole; elle fait du respect de la personne humaine la pierre de touche quand nous hésitons entre le transhumanisme et la marchandisation du corps; La Renaissance colonise pour civiliser, christianise parce qu’elle pense qu’on n’a jamais fait plus humain que Jésus de Nazareth. Les artistes du XVIè siècle croient qu’il existe une Beauté en soi quand notre époque ne s’intéresse plus qu’aux cris poussés par des artistes souvent stériles. Et, pour aggraver définitivement mon cas, je rappellerai que la Renaissance redoute que l’Islam l’empêche d’exister: le XVIè siècle, c’est aussi la bataille de Lépante, en 1571, victoire navale en Méditerranée contre la flotte ottomane, sous conduite pontificale et espagnole qui a préservé le miracle européen de cette époque. Sans le pape Pie V et Don Juan d’Autriche, le miracle culturel européen de la Renaissance aurait été englouti par une culture qui ne sépare pas le religieux et le temporel. Je ne suis pas sûr que Monsieur Macron inclue dans sa « Renaissance européenne » que notre continent apparemment si fatigué de vivre et de se battre réaffirme enfin sans ambiguïté l’incompatibilité entre la civilisation européenne et toute vision politique théocratique.
Pour finir, Monsieur Macron sait-il que ce jaillissement extraordinaire a été rendu possible par une absence totale de régulation et de coordination au niveau européen? Que la Renaissance est aussi premier épanouissement de nos nations? On est très loin de son Europe des technocrates fondamentalement antinationiste.
Au total, donc, l’Europe de la Renaissance est exactement le contraire de l’Europe dont rêve le président français. A vrai dire, son rêve n’est pas celle de l’Europe mais d’une lente extinction des forces vives de notre continent, étouffées par la multiplication des agences, la honte de soi et l’absence de débat, l’absence de politique et de créativité tout simplement.
En quoi le contexte actuel diffère-t-il le plus du contexte de la Renaissance ?
On peut opposer point par point notre époque à la Renaissance: l’Europe a aujourd’hui honte de sa culture tandis que la Renaissance était profondément convaincue que la culture est indispensable à la construction de l’humanité . Notre Europe est déchristianisée alors que la Renaissance est tellement religieuse et chrétienne qu’elle sombre dans la Réfome et les guerres de religion. Notre Europe abolit ses frontières et s’ouvre à toutes les invasions alors que la Renaissance invente l’art de la guerre moderne et conquiert le monde. Notre Europe a honte d’elle-même, s’excuse de tout tandis que l’Europe de la Renaissance est rayonnante et invente la première mondialisation. L’actuelle mondialisation est tout sauf européenne - malheureusement. Ou plutôt, nous pouvons être heureux que les Etats-Unis, par leur foi dans l’avenir, leur combativité, leur fierté d’être ce qu’ils sont, leur capacité à revenir régulièrement aux sources de leur histoire, fassent vivre encore, au-delà de toutes les maladresses, l’esprit européen, esprit de renaissance régulière. Nous sommes obsédés par le principe de précaution alors que la Renaissance est l’époque des inventeurs. La Renaissance apprend à ses enfants à douter intellectuellement mais elle en tire la fierté de ce qu’elle est; alors que notre époque, qui ne sort jamais du doute existentiel, est par ailleurs pétrie de certitudes stériles sur la meilleure manière d’organiser le monde. On pourrait multiplier les oppositions de ce genre. Et comme il est peu probable que le président français accepte de se déjuger et de devenir, par exemple, gaulliste - ou même seulement pompidolien - il n’a aucune raison de prôner une véritable Renaissance. Nous allons vivre une campagne des élections européennes qui ne fera qu’aggraver le règne de la confusion politique.Plus:
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