GRAND ENTRETIEN - Dominique Reynié (*) directeur général de la Fondapol analyse les violences perpétrées samedi à Paris sur les Champs-Élysées. Les «gilets jaunes» n'expriment plus un refus du consentement à l'impôt, mais un refus du consentement à l'État, argumente-t-il.
LE FIGARO. - «Il faut casser pour être écouté» affirment volontiers les «gilets jaunes». La violence est-elle devenue un moyen d'expression politique à part entière?
Dominique REYNIÉ. - La violence peut être considérée comme l'un des moyens d'expression et d'action politique, mais son usage n'est pas inconditionnellement recevable. Si l'on peut comprendre la violence désespérée, voire héroïque, contre les pouvoirs tyranniques, nous avons la chance, en France, de ne pas manquer de moyens de dire ce que nous pensons. Jamais nous n'avons eu autant de possibilités à cet égard. Le recours à la violence auquel nous avons assisté samedi prend place dans une société aux droits multiples, individuels et collectifs, où, depuis le triomphe conjoint de la démocratie parlementaire et de la presse populaire, à la fin du XIXe siècle, les institutions politiques et médiatiques de représentation se sont multipliées et sont aujourd'hui plus nombreuses que jamais.
» LIRE AUSSI - «Gilets jaunes»: le gouvernement face à la mobilisation
À la représentation nationale s'ajoutent les représentations locales, départementales, régionales, européennes, les représentations sociales, etc. Aux médias classiques, presse, radio et télévision, s'ajoutent les chaînes télévisuelles d'information continue ou, par des canaux plus récents, les réseaux sociaux. Les «gilets jaunes» ne peuvent se plaindre de n'avoir pas eu accès à la représentation médiatique, non seulement sur les réseaux sociaux mais aussi sur les chaînes de télévision, la presse, etc. Dans ces conditions, soutenir qu'«il faut casser pour être écouté» peut se comprendre comme «nous n'avons plus rien à dire sinon casser».
La distinction entre casseurs et manifestants pacifiques est-elle toujours pertinente, ou bien faut-il, comme le président de la République l'a fait, qualifier désormais de «complices» ceux qui se rendent aux manifestations?
Nous savons que les «casseurs», délinquants et militants radicalisés, imposent leur présence dans des manifestations dont ils ternissent l'image par leurs comportements dangereux, terrorisants et leurs destructions imbéciles. Il est d'usage de les distinguer des manifestants pacifiques. Cependant, aujourd'hui, cette différenciation n'est peut-être plus pertinente. D'abord, parce que les «gilets jaunes» les plus connus ont soit utilisé la menace d'un samedi de violence, soit s'en sont réjouis a posteriori ; ensuite parce qu'une certaine complicité entre «gilets jaunes» et casseurs s'est exprimée, au moins à Paris, où l'on a même vu des scènes montrant des «gilets jaunes» saluant le passage de black blocs ; enfin, et presque surtout, parce que cette violence est désormais à la fois le message et le moyen de le médiatiser.
La violence destructrice, les flammes, les boutiques dévastées, ces scènes de pillage, de policiers attaqués sont les plus sûrs moyens d'aimanter l'œil des caméras et, par rebond, de jaillir à la une de tous nos médias. Par la violence, l'occupation de la place publique pendant une journée vous permet d'occuper l'espace public pendant une semaine. La violence est devenue le principal motif de ces rassemblements qui ne sont donc plus des «manifestations» au sens démocratique du terme.
Comment qualifier le type de violences qui se déploient dans les rues?
Il faut d'abord interpréter le sens de cette violence à partir de sa répétition. La violence exceptionnelle doit être distinguée de la violence récurrente, car le passage de l'une à l'autre est le signe qu'un comportement occasionnel, peut-être contingent, est devenu le produit d'une organisation, c'est-à-dire d'une volonté. C'est la marque d'une mutation interne à ce mouvement et à ceux qui le suivent encore, glissant de l'expression d'un profond mécontentement à la protestation obstinée, et de celle-ci à la tentation insurrectionnelle.
Vous affirmez que le mouvement des «gilets jaunes», né d'une crise de consentement à l'impôt, a muté en crise de consentement à l'État. Qu'entendez-vous par là? Qu'est-ce qui a rendu possible cette évolution?
De mon point de vue, l'origine des «gilets jaunes» est claire. C'est la réaction d'une France depuis trop longtemps oubliée. Nos gouvernants successifs et une partie de nos élites ont pensé que cette France n'avait pas de problème parce qu'elle ne posait pas de problèmes. Mais le mouvement initial des «gilets jaunes» est l'expression majeure d'un refus: à travers l'opposition à une énième augmentation de la pression fiscale et à une énième réglementation des existences, descendue depuis Paris, s'est exprimé un refus de l'État tel qu'il est devenu et un refus de la manière de le conduire.
L'interpellation est extrêmement sérieuse. Une façon de ne pas l'entendre serait, par exemple, de lui donner une réponse institutionnelle, comme l'annonçaient les disputes sur le référendum d'initiative citoyenne (RIC) ou le référendum d'initiative partagée (RIP). La question n'est plus d'exprimer ou de représenter les colères, mais d'y répondre. Au fond, la violence à laquelle nous assistons peut signifier la dérive d'un mouvement en fin de course et son proche discrédit. Mais la question première demeure bel et bien. Il faudra y répondre pour ne pas risquer une confrontation avec l'autorité publique qui me paraît profondément à l'œuvre. La réplique serait d'une ampleur plus grande et pourrait prendre la forme d'une insurrection électorale.
Dominique REYNIÉ. - La violence peut être considérée comme l'un des moyens d'expression et d'action politique, mais son usage n'est pas inconditionnellement recevable. Si l'on peut comprendre la violence désespérée, voire héroïque, contre les pouvoirs tyranniques, nous avons la chance, en France, de ne pas manquer de moyens de dire ce que nous pensons. Jamais nous n'avons eu autant de possibilités à cet égard. Le recours à la violence auquel nous avons assisté samedi prend place dans une société aux droits multiples, individuels et collectifs, où, depuis le triomphe conjoint de la démocratie parlementaire et de la presse populaire, à la fin du XIXe siècle, les institutions politiques et médiatiques de représentation se sont multipliées et sont aujourd'hui plus nombreuses que jamais.
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À la représentation nationale s'ajoutent les représentations locales, départementales, régionales, européennes, les représentations sociales, etc. Aux médias classiques, presse, radio et télévision, s'ajoutent les chaînes télévisuelles d'information continue ou, par des canaux plus récents, les réseaux sociaux. Les «gilets jaunes» ne peuvent se plaindre de n'avoir pas eu accès à la représentation médiatique, non seulement sur les réseaux sociaux mais aussi sur les chaînes de télévision, la presse, etc. Dans ces conditions, soutenir qu'«il faut casser pour être écouté» peut se comprendre comme «nous n'avons plus rien à dire sinon casser».
La distinction entre casseurs et manifestants pacifiques est-elle toujours pertinente, ou bien faut-il, comme le président de la République l'a fait, qualifier désormais de «complices» ceux qui se rendent aux manifestations?
Nous savons que les «casseurs», délinquants et militants radicalisés, imposent leur présence dans des manifestations dont ils ternissent l'image par leurs comportements dangereux, terrorisants et leurs destructions imbéciles. Il est d'usage de les distinguer des manifestants pacifiques. Cependant, aujourd'hui, cette différenciation n'est peut-être plus pertinente. D'abord, parce que les «gilets jaunes» les plus connus ont soit utilisé la menace d'un samedi de violence, soit s'en sont réjouis a posteriori ; ensuite parce qu'une certaine complicité entre «gilets jaunes» et casseurs s'est exprimée, au moins à Paris, où l'on a même vu des scènes montrant des «gilets jaunes» saluant le passage de black blocs ; enfin, et presque surtout, parce que cette violence est désormais à la fois le message et le moyen de le médiatiser.
La violence destructrice, les flammes, les boutiques dévastées, ces scènes de pillage, de policiers attaqués sont les plus sûrs moyens d'aimanter l'œil des caméras et, par rebond, de jaillir à la une de tous nos médias. Par la violence, l'occupation de la place publique pendant une journée vous permet d'occuper l'espace public pendant une semaine. La violence est devenue le principal motif de ces rassemblements qui ne sont donc plus des «manifestations» au sens démocratique du terme.
Comment qualifier le type de violences qui se déploient dans les rues?
Il faut d'abord interpréter le sens de cette violence à partir de sa répétition. La violence exceptionnelle doit être distinguée de la violence récurrente, car le passage de l'une à l'autre est le signe qu'un comportement occasionnel, peut-être contingent, est devenu le produit d'une organisation, c'est-à-dire d'une volonté. C'est la marque d'une mutation interne à ce mouvement et à ceux qui le suivent encore, glissant de l'expression d'un profond mécontentement à la protestation obstinée, et de celle-ci à la tentation insurrectionnelle.
Vous affirmez que le mouvement des «gilets jaunes», né d'une crise de consentement à l'impôt, a muté en crise de consentement à l'État. Qu'entendez-vous par là? Qu'est-ce qui a rendu possible cette évolution?
De mon point de vue, l'origine des «gilets jaunes» est claire. C'est la réaction d'une France depuis trop longtemps oubliée. Nos gouvernants successifs et une partie de nos élites ont pensé que cette France n'avait pas de problème parce qu'elle ne posait pas de problèmes. Mais le mouvement initial des «gilets jaunes» est l'expression majeure d'un refus: à travers l'opposition à une énième augmentation de la pression fiscale et à une énième réglementation des existences, descendue depuis Paris, s'est exprimé un refus de l'État tel qu'il est devenu et un refus de la manière de le conduire.
L'interpellation est extrêmement sérieuse. Une façon de ne pas l'entendre serait, par exemple, de lui donner une réponse institutionnelle, comme l'annonçaient les disputes sur le référendum d'initiative citoyenne (RIC) ou le référendum d'initiative partagée (RIP). La question n'est plus d'exprimer ou de représenter les colères, mais d'y répondre. Au fond, la violence à laquelle nous assistons peut signifier la dérive d'un mouvement en fin de course et son proche discrédit. Mais la question première demeure bel et bien. Il faudra y répondre pour ne pas risquer une confrontation avec l'autorité publique qui me paraît profondément à l'œuvre. La réplique serait d'une ampleur plus grande et pourrait prendre la forme d'une insurrection électorale.
*Professeur des universités à Sciences Po. Dernier ouvrage paru: Où va la démocratie?, livre collectif sous sa direction (Plon, 2017).
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