POINTS DE VUE 15 mars 2016 La mise en place d’un revenu de base n’est pas soutenable si l’on veut qu’il soit d’un niveau acceptable. Le point de vue de Denis Clerc, économiste et fondateur d’Alternatives Economiques.
Le revenu de base a le vent en poupe. Certes, les appellations diffèrent – allocation universelle, revenu inconditionnel, dividende social… –, mais elles désignent toutes le même objectif : fournir à chacun un revenu mensuel lui permettant de vivre, même s’il n’a pas d’autre revenu, et de vivre mieux s’il en a un. James Meade, un économiste anglais du siècle dernier, disait : « un revenu non pas pour exister, mais parce qu’on existe ». Ce partage égalitaire séduit bien sûr la gauche justement en raison du fait que chacun pèse le même poids dans ce partage, au contraire de la règle capitaliste qui rétribue chacun en fonction de ce qu’il est censé apporter. Mais il séduit aussi les milieux libéraux parce qu’il permettrait de supprimer nombre d’aides sociales, donc de rompre avec « l’assistanat », et inciterait chacun à se prendre en charge pour compléter ce revenu de base, au lieu de compter sur la société pour obtenir quelque amélioration de son sort. Enfin, il séduit une bonne partie du reste de la société parce que chacun le voit comme un supplément tombant du ciel, et bon à prendre en période de difficultés. Le présent article vise à mettre à jour les nombreux pièges que recèle cette idée de revenu de base.
Le revenu de base va-t-il permettre d’améliorer le sort de tous ? Evidemment pas : il n’y a que les bateleurs de foire pour prétendre qu’il existe un remède universel capable de nous rendre tous plus heureux et en meilleure santé. L’ensemble des revenus, dans une société donnée, dépend de l’activité productive : en l’absence d’augmentation de cette dernière, ce que certains gagnent en plus doit forcément être compensé par des pertes pour d’autres.
Imaginons un revenu de base en France, d’un montant de 100 € mensuels. Rien du tout, diront certains. Sauf qu’un rien du tout mensuel multiplié par 12 puis par 65 millions d’individus, cela fait de très grosses sommes. Coût annuel pour la collectivité : 80 milliards, soit 6 % du revenu des ménages. Comment le financer ? Ce pourrait être, par exemple, une augmentation de 75 % de la CSG (actuellement 94 milliards) : pour les salaires et revenus d’activité, il faudrait la faire passer de 7,5 % à plus de 13 % (un peu moins pour les retraités, un peu plus pour les revenus financiers). Du coup, tous les salariés payés plus de 1 780 euros nets par mois, soit 60 % des salariés, seraient amenés à cotiser davantage qu’ils ne recevraient du revenu de base. De quoi les faire maudire ce revenu de base, pour eux source de paupérisation alors qu’il avait été vendu comme source d’amélioration. Quant aux artisans, commerçants et professions libérales, ils seraient plus que jamais tentés par l’évasion fiscale et le travail non déclaré. Certes, au lieu de la CSG, on pourrait choisir d’augmenter l’impôt sur le revenu. Mais il faudrait plus que le doubler : l’augmenter de 115 % ! Les plaintes actuelles contre les hausses d’impôts deviendraient sans doute l’équivalent d’un chant d’oiseau face au tonnerre de protestations que cela déchaînerait. Et tout ça pour… 100 € mensuels, quasiment une aumône, un cinquième du RSA. Et si vous souhaitez un revenu de base « décent », par exemple les actuels 800 euros du minimum vieillesse, il faudrait multiplier par huit le montant à financer par l’impôt ! Et là, tout le monde part en Angleterre, les classes populaires autant que moyennes, pour ne rien dire de Mme Bettencourt. Inutile de rêver : la société dotée d’un revenu de base permettant à ceux qui n’ont pas d’autres revenus de vivre décemment est l’équivalent du paradis pour les croyants : désirable, mais inaccessible de notre vivant.
La seule solution viable pour instaurer un revenu de base est donc de supprimer certaines prestations sociales. Ce qui réduit d’autant l’apport bénéfique du revenu de base en bas de l’échelle sociale mais qui a l’avantage d’éliminer radicalement le non-recours à certaines de ces prestations, non-recours lié à la complexité des démarches, à la crainte de la stigmatisation, ou à l’ignorance. Mais, chemin faisant, la suppression de certaines prestations sociales – allocations familiales, minima sociaux, couverture maladie universelle complémentaire, voire, dans certaines propositions, allocation logement – risquerait de s’accompagner de la réduction, voire de la suppression d’autres revenus sociaux : retraite, allocation chômage, ou même, pour les plus extrémistes des libéraux, l’assurance maladie. Tel est bien entendu le fondement de la position libérale en faveur de cette solution : ce ne sont donc plus des majorations d’impôts qui doivent financer le revenu de base, mais une baisse substantielle de la protection sociale. Réduire à peu, voire à rien, la protection sociale en France permettrait de réduire aussi les dépenses qu’elle engendre (672 milliards en 2013) ainsi que le coût d’une bureaucratie devenue inutile, tout en finançant un revenu de base qui serait l’équivalent d’un reçu pour solde de tout compte. Et, comme aux Etats-Unis, la société – libérée d’une bonne partie de ses prélèvements obligatoires – retrouverait le dynamisme de l’innovation suscitée par les « chasseurs de dollars », selon l’expression de l’économiste britannique John Stuart Mill [1]. On peut adhérer à cet idéal, mais il n’est pas certain que la société dans son ensemble en tire réellement avantage.
Et moins encore que les personnes en situation de pauvreté en tirent bénéfice : aux Etats-Unis, le pays qui se rapproche le plus de cette situation en ce qui concerne la protection sociale, la pauvreté, mesurée selon les règles européennes, atteint environ 25 % de la population, presque le double de la situation française. On peut rétorquer que c’est parce que, si la protection sociale obligatoire est réduite à peu de chose, le revenu de base compensateur, lui, n’est pas mis en place. Il est cependant douteux que, dans ce pays, la majorité des habitants accepteraient de verser autre chose qu’un revenu de base très faible quand on voit les réticences d’une partie importante de la population à mettre en place une assurance maladie généralisée.
Pour éviter cette dérive potentielle « à l’américaine », il nous faut donc regarder la faisabilité de la dernière solution – que l’on pourrait qualifier de « sociale-libérale » - celle consistant à financer un revenu de base qui ne soit ni une aumône ridicule ni la compensation d’une protection sociale réduite à très peu de choses. Cette solution repose sur un mixte des deux solutions précédentes : augmentation des impôts et réduction de certaines prestations sociales. C’est la voie choisie par Marc de Basquiat, co-président du Mouvement français pour un revenu de base, qui, pour l’occasion, s’est allié à un partisan résolu du libéralisme, Gaspard Koenig [2](voir encadré). Le problème, c’est que leurs calculs surestiment de plusieurs dizaines de milliards d’euros les recettes du dispositif.
Plus généralement, il n’y a pas de trésor économique caché et on retrouve toujours le même dilemme : soit on se fixe un niveau de revenu de base élevé, le seul acceptable, et cela n’est pas finançable sauf à sacrifier l’essentiel de la protection sociale. Soit on privilégie la faisabilité et le risque est que le revenu de base soit bien trop faible pour aider ceux qui en ont le plus besoin.
La question de l’équilibre économique du revenu de base n’est évidemment pas la seule que l’on peut développer. La partie de la population en difficulté souhaite avant tout, comme tout un chacun « gagner » sa vie et non disposer d’un revenu sans rien faire. Car l’emploi permet d’acquérir non seulement un revenu, mais aussi une position sociale, une meilleure estime de soi, et permet de rompre l’isolement lié au chômage, tout en se sentant socialement utile.
Les partisans du revenu de base disent que, justement, la garantie inconditionnelle que ce dernier représente peut permettre à chacun de chercher chaussure à son pied et que bon nombre de personnes n’hésiteront plus à faire ce dont elles ont envie, quand bien même cela ne suffirait pas à faire bouillir leur marmite. L’assurance chômage des intermittents du spectacle joue un tel rôle. Mais si la société s’estimait quitte en versant un revenu de base aux personnes en voie d’exclusion – les chômeurs de longue durée par exemple – cela reviendrait en fait à les abandonner à leur triste sort.
Le revenu de base à la sauce « sociale-libérale » contribuerait sans doute à simplifier considérablement une protection sociale française, devenue souvent illisible du fait de sa complexité croissante, laquelle engendre le soupçon, chacun étant persuadé que les autres sont gagnants et que lui-même est le dindon de la farce. Mais cela supposerait des bouleversements – individualisation des droits, abandon de la progressivité des prélèvements – pas faciles à mener de front, et contestables sur le plan de la justice sociale. Il faut prendre conscience que toute médaille possède un revers, et se demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle.
La première mesure supprime la base familiale actuelle : chaque personne est taxée à la source séparément et perçoit un revenu de base séparément. La seconde mesure constitue un alourdissement des prélèvements à la source (35,5 % au lieu de 22 % sur les salaires sous plafonds, de 8 % sur les revenus de remplacement et de 15,5% sur les revenus financiers), alourdissement plus ou moins compensé par la suppression de l’impôt sur le revenu et le versement du revenu de base. Ce qui conduit à une légère détérioration pour les personnes isolées vivant de l’aide sociale (le revenu de base est inférieur de 15 € au RSA ou à l’ASS), surtout si cela s’accompagne de la suppression de certains des droits connexes). En revanche, les familles pauvres ou modestes verraient leur sort s’améliorer : un couple sans aucun revenu percevrait 900 € de revenu de base au lieu des 700 € actuels du RSA. Pour les ménages des couches moyennes, les choses sont plus compliquées. Les ménages disposant de revenus d’activité élevés seraient gagnants, même si c’est de peu [3] et même si, le plus souvent, ces personnes effectuent de l’optimisation fiscale pour réduire sensiblement leurs impôts.
On pourrait se réjouir de ce que la grande majorité des gens soient gagnants, notamment dans les classes populaires et les couches moyennes. Paradoxalement, c’est plutôt une source d’inquiétude. Car, quand on creuse un peu, même le dixième le plus favorisé – celui qui capte les trois quarts des revenus financiers – devrait être gagnant. Pour une raison simple : ces revenus sont aujourd’hui taxés à la source à hauteur de 15,5 % et supportent ensuite l’impôt sur le revenu au taux marginal de 45 % (au-delà de 152 000 € par part). Une personne qui perçoit en revenus financiers un million d’euros par an supporte donc un ensemble de prélèvements de 535 000 €. Avec le revenu de base, le prélèvement ne serait plus que de 350 000 €. Ainsi, à quelques exceptions de faible importance près, tout le monde serait gagnant, et surtout les plus riches. Sauf que ce n’est pas possible. Il y a donc un loup dans le placard.
Le loup vient de ce que le financement du dispositif « social-libéral » n’est pas assuré : une partie des 320 milliards nécessaires à son financement n’est pas au rendez-vous. Les auteurs du projet s’en défendent : le dixième le plus riche, expliquent-ils, serait taxé bien plus qu’il ne l’est aujourd’hui, et contribuerait pour plus de 180 milliards d’euros au financement du dispositif qui, de ce fait, serait équilibré, avec suffisamment de ressources pour assurer l’ensemble des charges. Le dixième le plus riche paiera pour tous les autres. Mais les auteurs attribuent à ce dixième une masse de revenus financiers quasiment deux fois plus élevée que le chiffre de l’Insee (250 milliards contre 135). C’est ce gonflement d’une grosse centaine de milliards qui apporte de quoi financer le revenu de base (et l’assurance maladie) et permet de répartir aux quatre cinquièmes les moins riches la trentaine de milliards qui est censée améliorer leur sort. A défaut – et défaut il y a –, il faudrait remonter le taux de taxation de 35,5 % à 38,5 %, ce qui réduirait sérieusement le nombre de gagnants, mais davantage dans le bas de la distribution que dans le haut, celui qui se trouve actuellement dans la tranche d’impôt sur le revenu à 45 %, et amoindrirait l’effet redistributif attendu.
Imaginons un revenu de base en France, d’un montant de 100 € mensuels. Rien du tout, diront certains. Sauf qu’un rien du tout mensuel multiplié par 12 puis par 65 millions d’individus, cela fait de très grosses sommes. Coût annuel pour la collectivité : 80 milliards, soit 6 % du revenu des ménages. Comment le financer ? Ce pourrait être, par exemple, une augmentation de 75 % de la CSG (actuellement 94 milliards) : pour les salaires et revenus d’activité, il faudrait la faire passer de 7,5 % à plus de 13 % (un peu moins pour les retraités, un peu plus pour les revenus financiers). Du coup, tous les salariés payés plus de 1 780 euros nets par mois, soit 60 % des salariés, seraient amenés à cotiser davantage qu’ils ne recevraient du revenu de base. De quoi les faire maudire ce revenu de base, pour eux source de paupérisation alors qu’il avait été vendu comme source d’amélioration. Quant aux artisans, commerçants et professions libérales, ils seraient plus que jamais tentés par l’évasion fiscale et le travail non déclaré. Certes, au lieu de la CSG, on pourrait choisir d’augmenter l’impôt sur le revenu. Mais il faudrait plus que le doubler : l’augmenter de 115 % ! Les plaintes actuelles contre les hausses d’impôts deviendraient sans doute l’équivalent d’un chant d’oiseau face au tonnerre de protestations que cela déchaînerait. Et tout ça pour… 100 € mensuels, quasiment une aumône, un cinquième du RSA. Et si vous souhaitez un revenu de base « décent », par exemple les actuels 800 euros du minimum vieillesse, il faudrait multiplier par huit le montant à financer par l’impôt ! Et là, tout le monde part en Angleterre, les classes populaires autant que moyennes, pour ne rien dire de Mme Bettencourt. Inutile de rêver : la société dotée d’un revenu de base permettant à ceux qui n’ont pas d’autres revenus de vivre décemment est l’équivalent du paradis pour les croyants : désirable, mais inaccessible de notre vivant.
La seule solution viable pour instaurer un revenu de base est donc de supprimer certaines prestations sociales. Ce qui réduit d’autant l’apport bénéfique du revenu de base en bas de l’échelle sociale mais qui a l’avantage d’éliminer radicalement le non-recours à certaines de ces prestations, non-recours lié à la complexité des démarches, à la crainte de la stigmatisation, ou à l’ignorance. Mais, chemin faisant, la suppression de certaines prestations sociales – allocations familiales, minima sociaux, couverture maladie universelle complémentaire, voire, dans certaines propositions, allocation logement – risquerait de s’accompagner de la réduction, voire de la suppression d’autres revenus sociaux : retraite, allocation chômage, ou même, pour les plus extrémistes des libéraux, l’assurance maladie. Tel est bien entendu le fondement de la position libérale en faveur de cette solution : ce ne sont donc plus des majorations d’impôts qui doivent financer le revenu de base, mais une baisse substantielle de la protection sociale. Réduire à peu, voire à rien, la protection sociale en France permettrait de réduire aussi les dépenses qu’elle engendre (672 milliards en 2013) ainsi que le coût d’une bureaucratie devenue inutile, tout en finançant un revenu de base qui serait l’équivalent d’un reçu pour solde de tout compte. Et, comme aux Etats-Unis, la société – libérée d’une bonne partie de ses prélèvements obligatoires – retrouverait le dynamisme de l’innovation suscitée par les « chasseurs de dollars », selon l’expression de l’économiste britannique John Stuart Mill [1]. On peut adhérer à cet idéal, mais il n’est pas certain que la société dans son ensemble en tire réellement avantage.
Et moins encore que les personnes en situation de pauvreté en tirent bénéfice : aux Etats-Unis, le pays qui se rapproche le plus de cette situation en ce qui concerne la protection sociale, la pauvreté, mesurée selon les règles européennes, atteint environ 25 % de la population, presque le double de la situation française. On peut rétorquer que c’est parce que, si la protection sociale obligatoire est réduite à peu de chose, le revenu de base compensateur, lui, n’est pas mis en place. Il est cependant douteux que, dans ce pays, la majorité des habitants accepteraient de verser autre chose qu’un revenu de base très faible quand on voit les réticences d’une partie importante de la population à mettre en place une assurance maladie généralisée.
Pour éviter cette dérive potentielle « à l’américaine », il nous faut donc regarder la faisabilité de la dernière solution – que l’on pourrait qualifier de « sociale-libérale » - celle consistant à financer un revenu de base qui ne soit ni une aumône ridicule ni la compensation d’une protection sociale réduite à très peu de choses. Cette solution repose sur un mixte des deux solutions précédentes : augmentation des impôts et réduction de certaines prestations sociales. C’est la voie choisie par Marc de Basquiat, co-président du Mouvement français pour un revenu de base, qui, pour l’occasion, s’est allié à un partisan résolu du libéralisme, Gaspard Koenig [2](voir encadré). Le problème, c’est que leurs calculs surestiment de plusieurs dizaines de milliards d’euros les recettes du dispositif.
Plus généralement, il n’y a pas de trésor économique caché et on retrouve toujours le même dilemme : soit on se fixe un niveau de revenu de base élevé, le seul acceptable, et cela n’est pas finançable sauf à sacrifier l’essentiel de la protection sociale. Soit on privilégie la faisabilité et le risque est que le revenu de base soit bien trop faible pour aider ceux qui en ont le plus besoin.
La question de l’équilibre économique du revenu de base n’est évidemment pas la seule que l’on peut développer. La partie de la population en difficulté souhaite avant tout, comme tout un chacun « gagner » sa vie et non disposer d’un revenu sans rien faire. Car l’emploi permet d’acquérir non seulement un revenu, mais aussi une position sociale, une meilleure estime de soi, et permet de rompre l’isolement lié au chômage, tout en se sentant socialement utile.
Les partisans du revenu de base disent que, justement, la garantie inconditionnelle que ce dernier représente peut permettre à chacun de chercher chaussure à son pied et que bon nombre de personnes n’hésiteront plus à faire ce dont elles ont envie, quand bien même cela ne suffirait pas à faire bouillir leur marmite. L’assurance chômage des intermittents du spectacle joue un tel rôle. Mais si la société s’estimait quitte en versant un revenu de base aux personnes en voie d’exclusion – les chômeurs de longue durée par exemple – cela reviendrait en fait à les abandonner à leur triste sort.
Le revenu de base à la sauce « sociale-libérale » contribuerait sans doute à simplifier considérablement une protection sociale française, devenue souvent illisible du fait de sa complexité croissante, laquelle engendre le soupçon, chacun étant persuadé que les autres sont gagnants et que lui-même est le dindon de la farce. Mais cela supposerait des bouleversements – individualisation des droits, abandon de la progressivité des prélèvements – pas faciles à mener de front, et contestables sur le plan de la justice sociale. Il faut prendre conscience que toute médaille possède un revers, et se demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle.
Un « Liber » séduisant, mais pas financé
p>Le projet de revenu de base baptisé « Liber », de Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, peut se résumer en trois propositions. Tout d’abord, attribution d’un revenu de base mensuel de 450 € par personne (225 € par enfant jusqu’à 18 ans versés à la personne qui l’a en charge), pour un coût annuel total de 320 milliards. Il est prévu en outre une majoration pour les allocataires actuels du minimum vieillesse. Ensuite, suppression des prestations familiales (mais pas des allocations logement), des minima sociaux, de la prime d’activité (résultant de la fusion de la prime pour l’emploi et du RSA activité) et des bourses d’enseignement supérieur. Enfin, suppression de toutes les cotisations sociales, de la CSG, de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. Viendrait s’y substituer un prélèvement forfaitaire de 35,5 % (23 % pour le revenu de base, 12,5 % pour l’assurance maladie) sur tous les revenus d’activité, de remplacement et du patrimoine, tandis que les employeurs, à la place des cotisations sociales patronales et de l’impôt sur les sociétés, paieraient la totalité des actuelles cotisations d’assurance chômage et de retraite de leurs salariés.La première mesure supprime la base familiale actuelle : chaque personne est taxée à la source séparément et perçoit un revenu de base séparément. La seconde mesure constitue un alourdissement des prélèvements à la source (35,5 % au lieu de 22 % sur les salaires sous plafonds, de 8 % sur les revenus de remplacement et de 15,5% sur les revenus financiers), alourdissement plus ou moins compensé par la suppression de l’impôt sur le revenu et le versement du revenu de base. Ce qui conduit à une légère détérioration pour les personnes isolées vivant de l’aide sociale (le revenu de base est inférieur de 15 € au RSA ou à l’ASS), surtout si cela s’accompagne de la suppression de certains des droits connexes). En revanche, les familles pauvres ou modestes verraient leur sort s’améliorer : un couple sans aucun revenu percevrait 900 € de revenu de base au lieu des 700 € actuels du RSA. Pour les ménages des couches moyennes, les choses sont plus compliquées. Les ménages disposant de revenus d’activité élevés seraient gagnants, même si c’est de peu [3] et même si, le plus souvent, ces personnes effectuent de l’optimisation fiscale pour réduire sensiblement leurs impôts.
On pourrait se réjouir de ce que la grande majorité des gens soient gagnants, notamment dans les classes populaires et les couches moyennes. Paradoxalement, c’est plutôt une source d’inquiétude. Car, quand on creuse un peu, même le dixième le plus favorisé – celui qui capte les trois quarts des revenus financiers – devrait être gagnant. Pour une raison simple : ces revenus sont aujourd’hui taxés à la source à hauteur de 15,5 % et supportent ensuite l’impôt sur le revenu au taux marginal de 45 % (au-delà de 152 000 € par part). Une personne qui perçoit en revenus financiers un million d’euros par an supporte donc un ensemble de prélèvements de 535 000 €. Avec le revenu de base, le prélèvement ne serait plus que de 350 000 €. Ainsi, à quelques exceptions de faible importance près, tout le monde serait gagnant, et surtout les plus riches. Sauf que ce n’est pas possible. Il y a donc un loup dans le placard.
Le loup vient de ce que le financement du dispositif « social-libéral » n’est pas assuré : une partie des 320 milliards nécessaires à son financement n’est pas au rendez-vous. Les auteurs du projet s’en défendent : le dixième le plus riche, expliquent-ils, serait taxé bien plus qu’il ne l’est aujourd’hui, et contribuerait pour plus de 180 milliards d’euros au financement du dispositif qui, de ce fait, serait équilibré, avec suffisamment de ressources pour assurer l’ensemble des charges. Le dixième le plus riche paiera pour tous les autres. Mais les auteurs attribuent à ce dixième une masse de revenus financiers quasiment deux fois plus élevée que le chiffre de l’Insee (250 milliards contre 135). C’est ce gonflement d’une grosse centaine de milliards qui apporte de quoi financer le revenu de base (et l’assurance maladie) et permet de répartir aux quatre cinquièmes les moins riches la trentaine de milliards qui est censée améliorer leur sort. A défaut – et défaut il y a –, il faudrait remonter le taux de taxation de 35,5 % à 38,5 %, ce qui réduirait sérieusement le nombre de gagnants, mais davantage dans le bas de la distribution que dans le haut, celui qui se trouve actuellement dans la tranche d’impôt sur le revenu à 45 %, et amoindrirait l’effet redistributif attendu.
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