21/08/2017

Terrorisme : « Les mêmes erreurs se retrouvent dans les politiques de contre-radicalisation un peu partout en Europe »

 
Face au terrorisme, non seulement les pays européens réagissent trop tard et de manière trop peu concertée, mais la diplomatie reste, à tort, un sujet tabou, estime l’expert Pierre Conesa dans une tribune au « Monde ».

Après d’autres pays européens, le Royaume-Uni vient d’être frappé trois fois en trois mois par des attentats qui ont fait au moins trente-trois morts et quelques centaines de blessés. Le modèle communautariste, qu’il soit belge ou britannique, ne protège pas plus de la furie salafiste que le modèle laïque français. Les mêmes erreurs de diagnostic, de méthode et de traitement se retrouvent dans les politiques de contre-radicalisation un peu partout en Europe.


Le diagnostic a longtemps été différé et seuls les attentats ont contraint à revoir les postulats. La devise protectrice de Londres contre les salafistes était « Respectez nos lois, nous respecterons votre foi ! » En fait, les quatre attentats de 2005 (56 morts, 700 blessés) et la découverte que la ghettoïsation imposée par les salafistes dans certains quartiers permettait de vivre complètement hors du système britannique furent un traumatisme.

En France, on ne commença à se préoccuper des départs pour la Syrie que lors d’une conférence de presse de mères concernées, au printemps 2014, qui amena à la création d’un numéro vert. Les alertes lancées par les élites musulmanes en 2013 et 2014 étaient restées sourdes. D’un côté et de l’autre de la Manche, tant à droite qu’à gauche, on ne traitait pas la question de la radicalisation et on confondait islam et salafisme. En employant des termes génériques comme « islam radical » ou « musulmans intégristes », on mélangeait l’un et l’autre.

Inutile de parler du rousseauisme de Mélenchon qui « ne [veut] pas qu’on parle de religion ! », du programme du Parti travailliste britannique, qui ne parle même pas de la question terroriste, ou de Nathalie Arthaud, qui accuse « le grand capital » ! Frilosité ou aveuglement ? Il a fallu les attentats de janvier 2015 pour qu’enfin Manuel Valls parle de lutte contre le salafisme sans faire la distinction entre quiétistes et djihadistes qui diffusent le même discours antisémite, raciste, intolérant, homophobe, misogyne et sectaire.

Erreur de méthode

S’il fallait se fier aux seuls discours, Hitler était un nazi quiétiste avant 1934. Une des premières mesures pour démontrer politiquement la différence entre islam de France et salafisme aurait été en France, comme nous l’avions proposé, de rattacher le bureau des cultes non plus au ministère de l’intérieur, mais au premier ministre, à Matignon, et laisser la lutte contre le salafisme au ministère de l’intérieur.

TOUS LES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LES SALAFISTES ONT ÉTÉ MONTÉS DANS L’URGENCE

Erreur de méthode ensuite ! En France, pays qui se croyait protégé par la laïcité de la loi, tous les dispositifs de lutte contre les salafistes ont été montés dans l’urgence. Il fallait faire vite mais avec toujours les mêmes hésitations. Le retard du temps politique devait être rattrapé par l’activisme administratif. En confiant au Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD) la lutte contre la radicalisation, la question politique est devenue un problème de délinquance. L’état d’urgence a été comme son nom l’indique une mesure d’urgence devenue permanente.

La Grande-Bretagne a associé des salafistes quiétistes à la lutte contre la radicalisation, sans grand succès il faut le dire. Le niveau d’alerte « critique » décidé après l’attentat du 22 mai à Manchester avait ensuite été réduit jusqu’à l’attentat de Londres de samedi 3 juin. La prison est devenue un sujet d’urgence parce qu’on disposait d’études sur le sujet (notamment celles de Farhad Khosrokhavar et de Ouisa Kies), alors que les juges antiterroristes remarquaient depuis longtemps que 70 % des retours de Syrie n’étaient passés ni par la prison ni par la mosquée…

Une vision d’ensemble est indispensable

Après l’agression violente de deux agents le 4 septembre 2016, le regroupement associé à une prise en charge lourde de traitement des détenus les plus dangereux à la maison d’arrêt d’Osny, de Fresnes et de Fleury-Mérogis a été complètement arrêté sur décision soudaine du garde des sceaux. Elle se réduit aujourd’hui à une simple évaluation des personnes détenues, sans évaluation ni réflexion globale.

Chaque ministre a aussi voulu poser sa pierre à l’édifice et se doter d’un haut conseil, une formule politiquement toujours utile quand on ne sait que faire. Matignon a créé son propre conseil scientifique trimestriel, le seul véritablement indispensable, par un décret du 3 mai 2017, soit… 27 mois après l’attentat contre Charlie. Les études de terrain confirment l’extraordinaire prégnance de la déshérence sociale dans le recrutement djihadiste, mais les jeunes convertis radicaux issus des classes moyennes ou les jeunes filles partant en Syrie posent un autre type de question.

C’est dans l’association quotidienne des experts à l’action publique qu’on peut évaluer et synthétiser, en ne laissant de côté aucune des questions essentielles. Lever l’accès des chercheurs aux quelque 6 000 signalements du numéro vert, seule donnée démographiquement exhaustive de l’état des processus de radicalisation, devrait être une priorité.

La société française choquée par les attentats, a, elle aussi, connu une très forte mobilisation contre la radicalisation. Si certaines initiatives nées avant les attentats ont été accompagnées, d’autres, mises en place spontanément et localement, ne sont ni recensées ni évaluées. Des études de synthèse ont été demandées à des chercheurs, puis laissées sans suite. Là aussi une vision d’ensemble paraît indispensable.

Le loup solitaire n’existe pas

Erreur de traitement enfin : parler de terrorisme au lieu de parler de radicalisation équivaut à traiter le symptôme plutôt que la maladie. Gérard Chaliand définit le terrorisme comme « une forme d’action violente dont les effets médiatiques et psychologiques sont supérieurs à l’impact stratégique ». Se focaliser sur la forme sans chercher à comprendre quelles sont les racines idéologiques du terrorisme actuel, c’est se limiter à détecter l’acte plutôt que ses ressorts et ses mécanismes.

Le loup solitaire n’existe pas. Tous les attentats qui ont frappé la France ces deux dernières années étaient connectés aux cellules souches salafistes implantées sur le territoire depuis une vingtaine d’années, ghettoïsées dans certaines communes, toujours très respectueuses de vivre dans la légalité. L’enquête sur l’attentat de Manchester a donné lieu à l’arrestation de onze personnes. Quel réseau l’attentat de Londres révélera-t-il ?

Par ailleurs, se draper dans la position d’irresponsabilité de la victime évite de se remettre en question. « On nous a déclaré la guerre », avait affirmé le président français, alors que nos avions participaient depuis plusieurs mois à l’opération « Chammal ». Quand la Grande-Bretagne et l’Espagne ont été frappées par des attentats en 2004 et 2005, on a fait le lien avec leur participation à l’invasion de l’Irak. Quand les terroristes du Bataclan crient en tirant sur les victimes « on tue des enfants chez vous, parce que vous tuez des enfants chez nous », on ne l’entend pas.

Oxymore diplomatique

Débattre de notre diplomatie est un tabou ! Le terrorisme aujourd’hui tue 90 % de musulmans et les trois pays les plus affectés sont le Pakistan, l’Afghanistan et l’Irak, déchirés par la guerre entre sunnites et chiites. Peut-on intervenir ? Le doit-on ? La militarisation pour lutter contre le terrorisme est une erreur récurrente qui génère une accentuation de la menace terroriste comme dans tout conflit asymétrique : 240 morts et plus de 900 blessés sur le territoire et aucun soldat français tué en Syrie et en Irak, étonnant constat.

LA GRANDE-BRETAGNE HARCÈLE PLUS JULIAN ASSANGE QUE RACHID RAMDA, CERVEAU DES ATTENTATS DE 1995 EN FRANCE, DONT NOUS AVONS MIS DIX ANS À OBTENIR L’EXTRADITION

Enfin, lutter contre Daech pour défendre l’Arabie saoudite, qui est la matrice du salafisme depuis plus de soixante-dix ans, le plus gros fournisseur de combattants étrangers en Afghanistan et dans l’Etat islamique, et qui pratique les mêmes horreurs, est un oxymore diplomatique que « 10 milliards de contrats » ne suffisent pas à justifier !L’Europe se trouve à nouveau face à une stratégie américaine affirmée par le président Trump, qui qualifie l’Arabie « d’alliée » et l’Iran « de pays terroriste ». Va-t-on à nouveau faire la même erreur stratégique qui fut la nôtre après le 11 septembre 2001 et le fameux discours de George W. Bush sur les « axes du mal » ?

L’Europe n’est pas encore un espace de lutte contre le terrorisme. La coopération entre polices fonctionne, mais les systèmes judiciaires préservent leur spécificité. La Grande-Bretagne harcèle plus Julian Assange que Rachid Ramda, cerveau des attentats de 1995 en France, dont nous avons mis dix ans à obtenir l’extradition. Il est probable que les combattants rentrant de Syrie pour disparaître vont se disperser entre les différents pays de l’Union européenne, qui ne constituent toujours pas un espace judiciaire uni.
Source: la TRIBUNE PIERRE CONESA
Ancien haut fonctionnaire, auteur de plusieurs livres sur le djihad

1 commentaire:

  1. Pierre Conesa est vraiment un de ceux qui font la meilleure analyse du terrorisme et de la radicalisation sous-jacente.

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