L’avenir de la zone euro est un point de clivage déterminant entre les deux finalistes de l’élection présidentielle. Si Emmanuel Macron affiche ses convictions européennes, Marine Le Pen de son côté veut remettre en cause l’appartenance de la France à la zone euro. Quelles conséquences auraient une sortie de la monnaie unique ? Entretien avec l’économiste Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du Cepii et chercheuse au CNRS.
Quelle conséquence aurait une sortie de l’euro sur le pouvoir d’achat des Français ?
Pour être honnête, les économistes n’ont pas une réponse précise à cette question. Il faudrait pouvoir mesurer les conséquences sur la production de richesse et l’emploi, sur l’inflation et sur l’épargne. Chiffrer tout cela avec un degré de confiance acceptable me paraît impossible. Pour autant, on peut mettre en évidence comment certains mécanismes vont se mettre en place qui tendraient à une dégradation de la situation des Français.
Une sortie de la zone euro provoquerait a priori de l’inflation. Un peu cela ferait du bien, en nous permettant d’échapper à la déflation, mais beaucoup mangerait la valeur de l’épargne. Or, quand Marine Le Pen nous promet un financement monétaire de la dette publique, c’est-à-dire le financement des déficits et de la dette par la création monétaire de la Banque de France, on peut penser que cela aurait de forts effets inflationnistes.
Pourtant, la Banque centrale européenne (BCE) a fait exploser son bilan en créant de la monnaie pour acheter des dettes publiques et cela n’a pas créé d’inflation ?
C’est parce que le lien entre création monétaire et inflation n’est pas mécanique comme le croît le monétarisme. En zone euro, l’indépendance de la BCE et les contraintes budgétaires qui pèsent sur les Etats membres empêchent le cycle infernal déficit public-création monétaire. Les agents économiques font confiance à la BCE : l’inflation qu’ils anticipent reste mesurée. Ils pensent, à juste titre, que la banque centrale fera ce qu’il faut pour contrôler d’éventuelles futures hausses généralisées des prix. Cet « ancrage des anticipations d’inflation », comme disent les économistes, ne jouerait absolument pas dans le cadre d’une Banque de France créant de la monnaie en veux-tu en voilà.
Dans ces conditions, l’épargne des Français serait pénalisée de trois points de vue. D’abord, l’inflation mangerait une partie de sa valeur. Ensuite, on aurait de sacrés soubresauts sur les prix de l’immobilier : l’agitation des marchés ferait monter les taux d’intérêt et réduirait la demande de crédits immobiliers, avec des effets négatifs sur les prix des logements (plus d’un Français sur deux est propriétaire de son logement).
Enfin, les investisseurs n’auront plus confiance dans la dette publique française et réclameront des taux d’intérêt plus élevés, en France et sûrement dans d’autres pays européens. Or, tous ceux qui détiennent aujourd’hui une assurance-vie (un peu moins d’un Français sur deux) ou des comptes sur livret (plus de deux personnes sur trois) sont rémunérés grâce aux placements que font les assureurs et les banquiers en titres de dette publique. Quand les taux d’intérêt montent, la valeur des titres anciens avec des taux plus bas diminue, ce qui réduit le rendement des placements de l’épargne qui peut être donné aux Français.
Quelle conséquence aurait une sortie de l’euro sur le pouvoir d’achat des Français ?
Pour être honnête, les économistes n’ont pas une réponse précise à cette question. Il faudrait pouvoir mesurer les conséquences sur la production de richesse et l’emploi, sur l’inflation et sur l’épargne. Chiffrer tout cela avec un degré de confiance acceptable me paraît impossible. Pour autant, on peut mettre en évidence comment certains mécanismes vont se mettre en place qui tendraient à une dégradation de la situation des Français.
Une sortie de la zone euro provoquerait a priori de l’inflation. Un peu cela ferait du bien, en nous permettant d’échapper à la déflation, mais beaucoup mangerait la valeur de l’épargne. Or, quand Marine Le Pen nous promet un financement monétaire de la dette publique, c’est-à-dire le financement des déficits et de la dette par la création monétaire de la Banque de France, on peut penser que cela aurait de forts effets inflationnistes.
Pourtant, la Banque centrale européenne (BCE) a fait exploser son bilan en créant de la monnaie pour acheter des dettes publiques et cela n’a pas créé d’inflation ?
C’est parce que le lien entre création monétaire et inflation n’est pas mécanique comme le croît le monétarisme. En zone euro, l’indépendance de la BCE et les contraintes budgétaires qui pèsent sur les Etats membres empêchent le cycle infernal déficit public-création monétaire. Les agents économiques font confiance à la BCE : l’inflation qu’ils anticipent reste mesurée. Ils pensent, à juste titre, que la banque centrale fera ce qu’il faut pour contrôler d’éventuelles futures hausses généralisées des prix. Cet « ancrage des anticipations d’inflation », comme disent les économistes, ne jouerait absolument pas dans le cadre d’une Banque de France créant de la monnaie en veux-tu en voilà.
Dans ces conditions, l’épargne des Français serait pénalisée de trois points de vue. D’abord, l’inflation mangerait une partie de sa valeur. Ensuite, on aurait de sacrés soubresauts sur les prix de l’immobilier : l’agitation des marchés ferait monter les taux d’intérêt et réduirait la demande de crédits immobiliers, avec des effets négatifs sur les prix des logements (plus d’un Français sur deux est propriétaire de son logement).
Enfin, les investisseurs n’auront plus confiance dans la dette publique française et réclameront des taux d’intérêt plus élevés, en France et sûrement dans d’autres pays européens. Or, tous ceux qui détiennent aujourd’hui une assurance-vie (un peu moins d’un Français sur deux) ou des comptes sur livret (plus de deux personnes sur trois) sont rémunérés grâce aux placements que font les assureurs et les banquiers en titres de dette publique. Quand les taux d’intérêt montent, la valeur des titres anciens avec des taux plus bas diminue, ce qui réduit le rendement des placements de l’épargne qui peut être donné aux Français.
Une sortie de l’euro pourrait-elle être à l’origine d’une nouvelle crise bancaire ?
Assurément. Au Cepii, nous avons regardé la position internationale des banques françaises. Elles sont dans une position débitrice nette (plus de dettes que de créances) sur les contrats étrangers, ceux qui ne pourraient pas être redénominés en franc. Et elles sont endettées vis-à-vis de pays envers lesquels le franc serait amené à dévaluer : l’Allemagne, l’Irlande, le Luxembourg et surtout les Etats-Unis, le Japon, la Suisse. Conclusion : cela entraînerait une forte hausse des dettes en monnaies étrangères des banques françaises, un mécanisme de crise bancaire que l’on a très souvent connu dans l’histoire.
Dans cette configuration, je ne vois pas comment on échapperait à une interdiction des déposants de sortir de l’argent des banques et une interdiction de transférer l’argent à l’étranger. De plus, il faut souligner que l’article 21bis de la loi Sapin 2 votée en décembre dernier donne la possibilité aux assureurs de bloquer les montants placés en assurance-vie pendant une durée pouvant aller jusqu’à six mois. Avec toutes ces mesures, ce serait la panne assurée de liquidités quotidiennes. Un vrai blocage de l’économie française.
A l’inverse, la zone euro ne fonctionne pas bien, c’est le moins que l’on puisse dire. Peut-on, en y restant, ouvrir des pistes d’amélioration ?
La critique la plus justifiée à mon sens provient du fait que l’ajustement à la crise qui a démarré en 2007-2008 a porté essentiellement sur les ménages par une augmentation des impôts et une flexibilisation du marché du travail. Le contrat social lié au fonctionnement de l’euro est porteur d’injustice. C’est là qu’il faut desserrer l’étau.
Cela passe par plusieurs mesures. D’abord, ne plus fixer l’austérité et la réduction des dépenses publiques comme cap principal. Il faut continuer à porter cette revendication, nous sommes soutenus par ce qui s’est passé aux Etats-Unis et par les études des institutions internationales. Ce débat reste tabou, car la gouvernance politique de la zone repose sur la loi du plus fort, aujourd’hui l’Allemagne, qui nous fait suivre le mauvais chemin.
Il faut aussi mettre en place de la solidarité au sein de la zone, comme ça se passe entre les Etats américains ou entre les régions françaises. Les pays les moins touchés par la crise doivent donner à ceux qui sont les plus touchés. Est-ce irréaliste ? La zone euro s’est déjà en partie engagée sur cette voie. Le mécanisme de stabilisation européen (MSE) qui permet d’aider, sous conditions, les pays victimes de crise financière, va dans ce sens. De même, on travaille depuis des années sur des allocations chômage au niveau européen, c’est une voie à poursuivre. Et il faut également mettre fin à la concurrence fiscale au sein de la zone.
Pour arriver à avancer, il faut réduire le poids des décisions intergouvernementales où c’est l’Allemagne qui décide et les autres qui suivent.
Etes-vous optimiste sur la capacité de la zone euro à avancer en ce sens ?
Oui. Les Etats-Unis ont mis cent trent ans à s’organiser institutionnellement ! Nous allons plus vite. Le dollar devient la monnaie officielle en 1792, un dollar qui ne devient une monnaie complète, utilisée sur tout le territoire et pouvant réaliser des transferts fiscaux que dans les années 1930 ! Entre-temps, il y a eu des crises monumentales, y compris une Guerre de Sécession pendant laquelle existaient trois zones monétaires. Ces processus prennent du temps. Nous sommes clairement à un moment clé, celui d’une présidentielle qui met face à face une souverainiste et un fédéraliste, pas assez à mon goût, mais l’orientation est claire. Les Etats-Unis ont eu des leaders populistes aussi. Mais ils sont arrivés à s’unir.
Source: alternatives-economiques.fr Propos recueillis par Christian Chavagneux
Assurément. Au Cepii, nous avons regardé la position internationale des banques françaises. Elles sont dans une position débitrice nette (plus de dettes que de créances) sur les contrats étrangers, ceux qui ne pourraient pas être redénominés en franc. Et elles sont endettées vis-à-vis de pays envers lesquels le franc serait amené à dévaluer : l’Allemagne, l’Irlande, le Luxembourg et surtout les Etats-Unis, le Japon, la Suisse. Conclusion : cela entraînerait une forte hausse des dettes en monnaies étrangères des banques françaises, un mécanisme de crise bancaire que l’on a très souvent connu dans l’histoire.
« Ce serait la panne assurée
de liquidités quotidiennes. Un vrai
blocage de l’économie française »
A l’inverse, la zone euro ne fonctionne pas bien, c’est le moins que l’on puisse dire. Peut-on, en y restant, ouvrir des pistes d’amélioration ?
La critique la plus justifiée à mon sens provient du fait que l’ajustement à la crise qui a démarré en 2007-2008 a porté essentiellement sur les ménages par une augmentation des impôts et une flexibilisation du marché du travail. Le contrat social lié au fonctionnement de l’euro est porteur d’injustice. C’est là qu’il faut desserrer l’étau.
« L’Europe ne doit plus fixer
l’austérité et la réduction
des dépenses publiques comme
cap principal »
Il faut aussi mettre en place de la solidarité au sein de la zone, comme ça se passe entre les Etats américains ou entre les régions françaises. Les pays les moins touchés par la crise doivent donner à ceux qui sont les plus touchés. Est-ce irréaliste ? La zone euro s’est déjà en partie engagée sur cette voie. Le mécanisme de stabilisation européen (MSE) qui permet d’aider, sous conditions, les pays victimes de crise financière, va dans ce sens. De même, on travaille depuis des années sur des allocations chômage au niveau européen, c’est une voie à poursuivre. Et il faut également mettre fin à la concurrence fiscale au sein de la zone.
Pour arriver à avancer, il faut réduire le poids des décisions intergouvernementales où c’est l’Allemagne qui décide et les autres qui suivent.
Etes-vous optimiste sur la capacité de la zone euro à avancer en ce sens ?
Oui. Les Etats-Unis ont mis cent trent ans à s’organiser institutionnellement ! Nous allons plus vite. Le dollar devient la monnaie officielle en 1792, un dollar qui ne devient une monnaie complète, utilisée sur tout le territoire et pouvant réaliser des transferts fiscaux que dans les années 1930 ! Entre-temps, il y a eu des crises monumentales, y compris une Guerre de Sécession pendant laquelle existaient trois zones monétaires. Ces processus prennent du temps. Nous sommes clairement à un moment clé, celui d’une présidentielle qui met face à face une souverainiste et un fédéraliste, pas assez à mon goût, mais l’orientation est claire. Les Etats-Unis ont eu des leaders populistes aussi. Mais ils sont arrivés à s’unir.
Source: alternatives-economiques.fr Propos recueillis par Christian Chavagneux
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