Pourquoi François Fillon n’est pas l’ultra-libéral que veulent voir ses opposants de tous bords
Atlantico : En termes de vision économique, François Fillon est souvent taxé d'ultra-libéral par une partie de ses opposants. Est-ce vraiment un "procès" qu'on peut lui faire ? Le sérieux budgétaire et la volonté de remise en ordre qu'il incarne sont-ils vraiment une marque "d'ultra-libéralisme" ?
Christophe de Voogd : Le
refrain de "l’ultra-libéralisme" est en effet entonné dans tous les
médias de gauche et par Manuel Valls lui-même à l’encontre de François
Fillon. Notons d’abord la connotation doublement polémique dnard!!!e ce terme
dans notre culture politique : "ultra" renvoie aux aristocrates
réactionnaires de la Restauration qui, selon le mot de Talleyrand,
n’avaient "rien appris, ni rien oublié". Quant à "libéral", on sait
qu’il est chez nous l’équivalent de "loi de la jungle" de "droit du plus
fort" et d’"anti-social".
François Hollande vient ainsi de tweeter que le "libéralisme, c’est la liberté des uns contre celle des autres".
Notre tradition étatiste et égalitariste nous a fait largement oublié
que le libéralisme est d’abord une philosophie de la liberté qui a
inspiré notamment la Déclaration des droits de l’homme, l’instruction
publique et l’émancipation féminine. Autrement dit, personne n’est plus
"anti-ultra" que les libéraux ! La dénonciation de "l’ultra-libéralisme"
est donc, en même temps qu’une double charge polémique, un double
contre-sens historique et idéologique. A quoi s’ajoute que, de
Montesquieu à Revel en passant par Tocqueville, Bastiat, Alain et Aron,
la France est très riche de cette pensée libérale. Mais nos lycéens et
même nos étudiants n’ont pas le droit de le savoir…
Dans
votre question, il y a le mot "remise en ordre" : de fait la volonté
d’ordre est plus typique de l’horizon politique de la droite
conservatrice que de celle du libéralisme qui croit davantage à l’ordre
spontané du marché, sous réserve d’une régulation juridique de l’Etat,
ce que l’on oublie toujours. Quant au sérieux budgétaire, il n’a rien de
libéral en soi : tout dépend des circonstances. Poincaré, Rueff, Barre
ou Bérégovoy y croyaient parce qu’ils constataient l’impasse de la
gabegie budgétaire. Il est vrai que la chose s’est un peu perdue depuis
les années 2000.
Allons plus loin : en bon
libéral, je m’interroge sur les motivations de tant commentateurs qui
hurlent au loup (c’est-à-dire à "l’ultra-libéralisme") devant le
programme de F. Fillon. Et je constate que ces hurlements viennent des
innombrables rentiers de l’Etat qui s’inquiètent naturellement de la
perspective d’une baisse des dépenses publiques et défendent non moins
naturellement leurs intérêts : fonctionnaires, syndicats, classe
politique, audiovisuel public et une bonne partie de la presse…Pour
certains, comme Libération, c’est une question de survie : on comprend leur violence anti-Fillon. Cette hostilité de "l’establishment d’Etat"
va rendre la tâche très difficile à ce dernier, dès cette semaine et
plus encore lors de la campagne présidentielle, s’il franchit les
primaires.
Mathieu Mucherie : La
droite française depuis plus de 20 ans est beaucoup plus à gauche et
antilibérale que les droites classiques européennes, et même que
certaines gauches sociales-démocrates (Blair et même Schroeder plus
libéraux que Chirac, etc.). Et dans ce contexte franchouillard, oui,
Fillon est libéral. Mais le fait que Gorbatchev était plus libéral que
Brejnev et beaucoup plus libéral que Staline n’en faisait pas pour
autant un authentique libéral. C’est l’histoire du borgne aux pays des
aveugles : Fillon est un poil plus libéral que l’archétype des énarques
(Juppé), que l’idéal-type des énarques (Le Maire) et que le prince des
interventionnistes (Sarkozy). Mais il ne faut pas avoir peur du ridicule
pour le comparer à Margareth Thatcher. Cette dernière avait un
programme, des troupes, du courage. On est aussi assez loin de Jacques
Rueff.
A moins que Fillon nous étonne sur le
tard, c’est plus un "budgétariste" et éventuellement un réformateur
qu’un libéral. Il est plus proche de Juppé que de Madelin (regardez sur
son site internet le chapitre "créer des géants européens du numérique",
par exemple, on est bien loin de la Sillicon Valley, idem sur la culture, le logement, l’agriculture, etc.). Ce sera un bon administrateur, il a un track record de
cinq ans en la matière, pas un libéral, là il n’y a guère que la
privatisation de France Telecom à son actif. Mais dans l’opinion cela
suffira peut-être : après cinq années de hollandisme, n’importe quelle
présidence même centriste apparaîtra comme très libérale.
Le parcours politique de François Fillon (opposition au traité de Maastricht, filiation séguiniste…) est-il vraiment en accord avec ce que l'on pourrait attendre d'un "ultra-libéral" ?
Mathieu Mucherie : La
plupart des authentiques libéraux ont trouvé que le traité de
Maastricht était un carcan incompatible avec les libertés à long terme
et avec l’efficience économique à tous les horizons ; surtout l’idée de
taux de changes nominaux fixes "pour l’éternité" avec en plus une
gestion de la monnaie par une banque centrale indépendante (indépendante
des autres sphères, autant dire un État dans l’État). Ce n’est pas une
histoire de droite ou de gauche : quand des gens aussi éloignés que Paul
Krugman, Milton Friedman ou Martin Feldstein arrivent grosso modo à la
même conclusion, on peut se douter que l’édifice construit par nos
élites européennes n’est peut-être pas très libéral, quelle que soit la
définition que l’on donne à ce terme. Les pays les plus libéraux
(Angleterre, Suisse…) ne s’y sont pas trompés.
Séguiniste
à 18 ans (mais pas après, faut pas déconner…), je suis sans doute mal
placé pour critiquer le sombre passé politique du futur président. Il y a
tout de même des passés plus troubles que celui là (Chirac ancien
communiste pas vraiment repenti, Jospin ancien trotsko pas vraiment
repenti, Mitterrand ancien pétainiste pas vraiment repenti, etc.). Ce
n’est certes pas le parcours d’un pur libéral, mais c’est logique
puisqu’un libéral intransigeant ne rassemblerait pas 44% des voix dans
une primaire de la droite en France. Il faudra juger sur les actes, et
ce n’est certainement pas en promettant de monter la TVA que Fillon
deviendra le grand président libéral de notre pays socialiste.
Christophe de Voogd : François
Fillon l’a dit lui-même : son libéralisme n’est pas un "choix
idéologique" mais un "constat" : l’excès des charges pesant sur les
entreprises et sur le travail est l’une des causes majeures du déclin
français. Le taux de prélèvements obligatoires est passé de 30 à 45% du
PIB depuis 1960. Il n’y nulle contradiction dans son nouveau
positionnement qui est simplement lié à l’évolution des choses et
notamment du niveau de la dépense publique. J’observe que les
commentaires de la plupart des médias présentent ce programme comme
"dur", "violent".
Mais pour qui ? Certainement pas
pour les entreprises qui vont connaître une baisse sans précédent de
leurs charges sociales et fiscales (40 milliards), ni pour les familles
des classe moyennes ; ni pour les millions de chômeurs qui sont évincés
d’un marché du travail hyper-rigide ; ni pour les commerçants et
indépendants dont le régime fiscal et social sera aligné sur le statut
d’autoentrepreneur . Demandez-leur s’ils redoutent davantage
"l’ultralibéralisme" supposé de Fillon ou la spoliation actuelle du
RSI ? Curieusement, on ne parle jamais de ces catégories fort nombreuses
lorsqu’on aborde l’impact des "mesures Fillon" sur les uns ou les
autres…
Pour le reste, le parcours de F. Fillon
est celui d’un gaulliste social. Son programme vise à mettre en place
des coopérations renforcées en Europe, nullement un Etat supranational.
De plus, son indulgence pour Poutine ne traduit pas, c’est le moins
qu’on puisse dire, un penchant libéral. Pas plus que ces positions dans
le domaine sociétal.
François Fillon est donc non
pas un libéral mais un PRAGMATIQUE en matière économique, un
conservateur en matière sociétale (mais non un réactionnaire puisqu’il
ne reviendra ni sur le mariage pour tous ni sur l’avortement) et un
champion de "l’intérêt national" sur le plan extérieur. En somme, la
parfaite définition d’un gaulliste qui raisonne et agit, comme disait le
Général, "les choses étant ce qu’elles sont". Avec un léger penchant
russophile, comme de Gaulle lui-même au demeurant.
En quoi la position de François Fillon sur le libre-échange, et notamment le controversé traité TAFTA, s'inscrit-elle en faux avec la pensée des économistes et politiques "ultra-libéraux" ?
Christophe de Voogd : Après
tout ce qui précède, vous admettrez que j’écarte ce mot
"d’ultralibéral" ! On mesure ici le non-libéralisme de Fillon qui ne
croit pas aux vertus du libre-échange. Celui-ci n’est pas un "dogme"
mais une démonstration économique que l’on doit à Ricardo et un constat
des résultats positifs de l’intégration économique européenne sur notre
pouvoir d’achat ou de la mondialisation en matière de baisse
spectaculaire de la pauvreté (ce que les Français ignorent). F. Fillon
se méfie de la mondialisation, même s’il ne propose pas -pragmatisme là
encore oblige- de "démondialisation". Il s’oppose au TAFTA, comme…
Trump, qui n’est pas non plus un libéral. La bonne position aurait été
de défendre bec et ongles les intérêts français et européens - ce que
l’on n’a pas assez fait avec la Chine - mais non de renoncer dès à
présent au TAFTA. Le risque de surenchère protectionniste est réel et
devrait nous alerter quand on connaît les précédents, tant au XIXème
siècle que dans les années 30.
L’un dans l’autre,
Génération libre n’avait mis que 12/20 à Fillon en matière de
libéralisme. Il est vrai qu’avec cette note il arrivait quand même en
deuxième position derrière NKM. Ce qui en dit long sur le libéralisme de
nos hommes politiques, droite comprise…
Mathieu Mucherie : En déclarant qu’il ne considère pas "le libre-échange comme l’alpha et l’oméga de la pensée économique", Fillon joue un jeu dangereux. Cela s’accompagne comme toujours de la petite musique traditionnelle selon laquelle "les USA, eux, savent défendre leurs intérêts", musique idiote dans la mesure où :
-
a) ce n’est pas parce que les autres se tirent une balle dans le pied qu’il faut impérativement en faire autant,
-
b) on fait mine ainsi de penser que nous avons les marges de manœuvre d’un pays cinq fois plus peuplé, six fois plus riche et cinquante fois plus libre monétairement,
-
c) ce sont souvent les mêmes qui dénoncent le néoprotectionnisme américain et qui soulignent dans le même temps leur activisme dans les instances libre-échangistes globales et/ou l’amplitude de leurs déficits commerciaux ; comprenne qui pourra.
En vérité, le meilleur test consiste à demander :
êtes-vous favorable, partout et tout le temps, au désarmement douanier
le plus total et le plus unilatéral ? un non-économiste cherchera
toujours à négocier sur ce point, à tergiverser, à éluder ou à inventer
des contre-exemples historiques ou théoriques, tous foireux (dans le best of,
l’argument des droits de douane américains élevés au XIXe siècle, qui
se garde bien de préciser où en étaient la fiscalité et la
réglementation aux USA à l’époque, sans parler de la mobilité des hommes
et des capitaux). Toujours, bien entendu, pour protéger les plus
démunis, alors que ce sont les rentiers qui demandent et qui obtiennent
des protections. Mais Fillon, comme Hollande ou Merkel, sait surfer sur
ce qui marche et éviter les combats impopulaires, et il se trouve que le
TAFTA n’est pas en odeur de sainteté par les temps qui courent. Pas sûr
qu’il ait lu Bastiat, comme Ronald Reagan. Pas sûr par conséquent qu’il
reste très "libéral" entre 2017 et 2022 si les vents de l’opinion
deviennent (comme c’est probable) trop défavorables à cette orientation,
a fortiori s’il veut rassembler sa famille puis donner quelques gages à
la gauche après une victoire au 2e tour contre Le Pen.
Source: atlantico.fr
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