Une
production stabilisée: Avant toute chose, il faut tordre le cou à une
idée reçue. Le gaz conventionnel et le gaz de schiste ne sont pas deux
molécules différentes. Ils se distinguent essentiellement par leur
localisation géologique. Le premier se trouve dans des «réservoirs»
souvent faciles d'accès tandis que le second est piégé dans des roches
très imperméables, ce qui requiert une technique spécifique - la fameuse
fracturation hydraulique - pour l'extraire.
Depuis le début, les États-Unis sont les champions incontestés du gaz de schiste, avec une production qui s'est élevée à 416 milliards de mètres cubes (Gm3) en 2014, puis 471,9 en 2015 et enfin 480,6 cette année (selon les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie). En 2014, grâce au gaz de schiste, les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de gaz - devant la Russie - avec plus de 15 millions de barils équivalent pétrole par jour. Le pétrole de schiste leur a permis également de devenir le numéro un du pétrole - devant l'Arabie saoudite - avec 14 millions de barils par jour (Mbj).
En 2015-2016, malgré la dégringolade du baril, la production américaine de «shale gas» est restée stable grâce aux efforts de productivité et surtout à une réduction drastique des coûts qui permettent pour le moment à l'industrie outre-Atlantique de conserver ses positions. Actuellement, le gaz de schiste pèse pour plus de 50 % de la production totale de gaz aux États-Unis et 15 % à l'échelle mondiale.
«Quand le baril a chuté sous 40 puis 30 dollars, certains spécialistes ont prédit la fin du pétrole et du gaz de schiste, arguant que son coût de revient ne pouvait pas descendre sous 80 dollars»«Quand le baril a chuté sous 40 puis 30 dollars, certains spécialistes ont prédit la fin du pétrole et du gaz de schiste, arguant que son coût de revient ne pouvait pas descendre sous 80 dollars, commente Jean-Louis Schilansky, le président du Centre hydrocarbures non conventionnels (CHNC), un organisme créé en 2015 et qui vise à fournir une information factuelle sur les hydrocarbures non conventionnels. En réalité, la baisse des coûts de production s'est accélérée avec un point médian à 50 dollars le baril, ce qui rend le pétrole de schiste d'autant plus compétitif que le prix mondial du pétrole ne restera pas durablement bas à long terme.» Toutefois, cette quête effrénée de rentabilité s'est traduite par la fermeture aux États-Unis de nombreuses petites entreprises, touchées de plein fouet par la baisse d'activité. Le nombre d'appareils de forage a quasiment été divisé par quatre, passant de 2000 à moins de 500 nouveaux équipements en opération.
Aujourd'hui, la production de gaz de schiste reste toujours essentiellement cantonnée en Amérique du Nord, avec 100.000 puits actifs aux États-Unis et 20.000 au Canada. Dans le reste du monde, on recense entre 500 et 1000 puits, selon les relevés du CHNC. Plusieurs pays ont entamé un véritable programme de recherches - Chine, Argentine, Mexique, Royaume-Uni… -, dont certains pourraient devenir des producteurs importants à moyen terme. La Chine par exemple vient tout juste de dépasser les 5 milliards de m3 par an mais vise un volume de 10 à 30 milliards en 2020. À cette échéance, Pékin prévoit que le gaz de schiste couvre de 8 à 12 % de sa production de gaz.
● Des ressources difficiles à estimer
Peut-on quantifier avec précision les réserves de gaz de schiste de la planète? Pour Guy Maisonnier, ingénieur économiste à l'Institut français du pétrole Énergies nouvelles (Ifpen), «les imprécisions sont légion car la totalité des bassins ont été considérés à la lumière des méthodes de calcul américaine. Or chaque zone possède ses spécificités». Dans ces conditions, les chiffres doivent être examinés avec circonspection. Une donnée revient cependant régulièrement: grâce aux gaz de schiste, l'ensemble des réserves mondiales de gaz a doublé, passant de 125 à 250 années de production au rythme actuel.«Le charbon n'a plus la cote, le nucléaire souffre d'un sentiment de méfiance généralisée et les énergies renouvelables seront toujours entravées par leur côté intermittent»En France, aucune évaluation précise n'a été effectuée mais l'Institut français du pétrole Énergies nouvelles (Ifpen) s'est quand même livré à quelques calculs: il en ressort qu'une surface de 200 hectares (en Île-de-France) pourrait produire 20 % de la consommation du pays pendant trente ans. Un vrai potentiel donc mais qu'aucun relevé scientifique n'est venu confirmer, interdiction à l'appui (lire ci-dessous).
Pour Olivier Appert, conseiller énergie du président de l'Institut français des relations internationales (Ifri), «on peut débattre à l'infini du volume exact des ressources mais cela n'empêche pas que les gaz de schiste se sont déjà révélés un formidable “game changer” pour le paysage énergétique mondial: le charbon n'a plus la cote, le nucléaire souffre d'un sentiment de méfiance généralisée et les énergies renouvelables seront toujours entravées par leur côté intermittent». Jean-Louis Schilansky est tout aussi affirmatif: «L'examen des ressources prouve qu'à l'horizon de 2040, 30 % de la production de gaz au niveau mondial sera du gaz de schiste. Il sera d'autant plus incontournable que les pays y verront un levier majeur pour sécuriser leurs approvisionnements. Qu'on le veuille ou non, il est toujours d'actualité de parler d'une révolution énergétique.»
● Des investissements précautionneux
C'était un temps béni pour les industriels du «non-conventionnel»: en 2009, le premier pétrolier mondial, l'américain ExxonMobil, mettait 48 milliards de dollars sur la table pour s'offrir XTO, la première société américaine de production de gaz de schiste. «À cette époque-là, les majors ne craignaient pas de procéder à des investissements massifs dans le secteur, après un complet désintérêt pendant plusieurs années, rappelle Olivier Appert. Et puis, à partir de 2012-2013, elles ont considérablement ralenti le rythme, jugeant que leur business était incompatible avec celui du gaz de schiste.»Très concrètement, les géants de l'or travaillent sur le long terme - sur des gisements qui requièrent une intense préparation en amont - quand le secteur «non conventionnel» mise sur l'hyperréactivité, avec la volonté de forer puis d'exploiter sous quelques mois, voire quelques semaines.
En décembre 2015, l'accord signé à Paris lors de la COP21 n'a pas encouragé les investisseurs à miser sur les projets fossiles trop marqués«Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une quatrième phase: beaucoup d'opérateurs dédiés au gaz de schiste ont dû mettre la clé sous la porte, mais leurs actifs sont toujours là, avec des opportunités pour les majors de compléter leur portefeuille», poursuit Olivier Appert. Les transactions actuelles ne sont plus sur les mêmes montants qu'auparavant mais cela n'a pas empêché l'américain Rice Energy de racheter en septembre son compatriote Vantage pour 2,7 milliards de dollars. En ligne de mire, le bassin du Marcellus, l'un des plus prometteurs outre-Atlantique.
En décembre 2015, l'accord signé à Paris lors de la COP21 - la grande conférence mondiale sur le climat, qui a débouché sur une volonté commune de limiter à moins de 2 degrés la hausse du réchauffement climatique - n'a pas encouragé non plus les investisseurs à miser sur les projets fossiles trop marqués. Un groupe comme Engie par exemple avait annoncé en amont qu'il ne développerait plus aucun nouveau programme dans le charbon.
● Des pays divisés
Du côté des pays eux-mêmes, les approches divergent. Cet automne, malgré les oppositions locales, le gouvernement britannique a décidé d'autoriser la société Caudrilla à explorer le site de Preston New Road, dans le nord-ouest du pays. Ce type de recherche en gaz de schiste est rare actuellement en Europe. Les temps sont durs pour les défenseurs des gaz de schiste, car ce type d'énergie n'a pas forcément bonne presse mais parce que les espoirs ont été aussi déçus.C'est le cas de la Pologne. Selon les estimations, ce pays devait disposer de 5000 milliards de mètres cubes de réserves, selon l'Agence américaine d'information sur l'énergie. Mais patatras, l'eldorado n'est pas au rendez-vous. Non seulement l'Institut polonais de géologie a divisé par cinq les estimations initiales, mais aucun forage n'a débouché sur la possibilité d'une production commerciale. Résultat: la quasi-totalité des industriels propriétaires de concessions (ExxonMobil, ConocoPhillips, Total, Eni…) se sont retirés. Le cas polonais a incité ses partenaires européens à faire preuve d'une prudence accrue dans le dossier des gaz de schiste, à preuve le moratoire décidé en Allemagne au mois de juin.
● La France campe sur ses positions
Dans l'Hexagone, la porte du gaz de schiste est toujours fermée à triple tour. En 2011, une loi a interdit le recours à la fracturation hydraulique, rendant obligatoire un nouveau débat législatif pour - éventuellement - changer la donne. Or pour le moment, aucune personnalité politique ne s'est emparée du dossier. «C'est encore pire que le nucléaire, il n'y a que des coups à prendre et les différents candidats à l'élection présidentielle, déclarés ou non, l'ont bien compris», souligne un député. Les géants Total et Engie campent sur la même position, très peu diserts sur leurs ambitions dans le «non-conventionnel».«À ce rythme-là, la France est condamnée à rester cantonnée dans son obscurantisme, la question étant de savoir si un pays qui importe ses hydrocarbures à hauteur de 99 % peut se garder de la moindre avancée sur ce sujet», commente Olivier Appert. De son côté, Jean-Louis Schilansky regrette que le pays passe sans même regarder à côté d'une industrie «qui a apporté la preuve qu'elle n'était ni une bulle spéculative, ni un épiphénomène: nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire qu'une avalanche de puits soit forée mais simplement qu'une exploration géologique soit menée pour permettre de mesurer le potentiel du sous-sol».
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 25/10/2016.
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