Atlantico : En l'an 2000, les pays de l'ONU définirent au "Sommet du Millénaire" 8 objectifs en matière de développement pour les pays émergents. Extrême pauvreté & faim, éducation primaire, promotion de l'égalité des sexes... Quel bilan peut-on faire précisément ?
Laurent Chalard : Contrairement
à une idée reçue, véhiculée par une tendance catastrophiste très en
vogue dans les médias francophones, qui ne parlent que de ce qui ne va
pas sur notre planète (guerres, accidents, épidémies…), le niveau de vie
de l’être humain est sensiblement meilleur en 2015 qu’à l’aube du XXI°
millénaire, quel que soit le critère utilisé, ce qui rend incontestable
les progrès accomplis et vient infirmer les prédictions de certains
experts, prophètes d’apocalypse. En effet, alors que la planète a
connu une croissance démographique soutenue, cette dernière ne s’est
pas traduite par un appauvrissement moyen, mais au contraire par une
amélioration du niveau de vie généralisée, un résultat plus
qu’encourageant, même si les progrès à accomplir demeurent considérables pour que l’ensemble de l’humanité puisse vivre un jour dans la dignité.
Les huit objectifs fixés par le Sommet du Millénaire de 2000 ont été
largement remplis, ce qui témoigne que le développement économique reste
la principale arme pour lutter contre la pauvreté, puisque les progrès
les plus importants concernent les pays qui ont connu une croissance de
leur PNB sans précédent, tels que la Chine ou l’Inde. La
création de richesse, même si elle est source de profondes inégalités,
qu’il convient de réduire dans le futur pour éviter les conflits de
classe, n’en demeure pas moins le meilleur moyen pour sortir de la
misère des centaines de millions d’individus, qui viennent grossir les
rangs des classes moyennes aux effectifs très restreints jusqu’ici dans
les pays en voie de développement.
Concernant les
huit objectifs de l’ONU, la réussite est généralisée, puisque dans aucun
d’entre eux, un recul ne s’est constaté, les progrès étant
particulièrement impressionnants. La première et la plus
importante des réussites concerne la réduction de l’extrême pauvreté,
passée de 47 % de la population des pays en développement en 1990 à 14 %
en 2015. Parallèlement, la faim, élément fortement liée, a elle aussi reculé sensiblement, aussi bien en volume qu’en pourcentage. Les images des grandes famines, encore courantes dans les années 1970 et 1980 semblent s’éloigner. La
pauvreté a tendance à devenir beaucoup plus relative qu’absolue, comme
en témoigne la crise migratoire actuelle, avec des immigrés qui se
permettent de tourner le dos à certains pays car la qualité de vie ne
leur convient pas (cf les irakiens qui repartent de Finlande car il fait
trop froid et qu’il n’y a pas d’animation). L’autre grande réussite,
concerne l’état sanitaire des êtres humains, en gardant en tête qu’outre
l’aisance matérielle, vivre en bonne santé est le principal acquis de
notre espèce. Les trois objectifs de l’ONU qui relèvent de ce
domaine, la réduction de la mortalité infantile, l’amélioration de santé
maternelle et la lutte contre le VIH, ont été largement couronnés de
succès, en particulier le premier d’entre eux, facteur
primordial pour permettre la baisse de fécondité dans un pays pauvre et
donc ralentir la pression démographique, frein au développement
économique. En effet, le taux de mortalité infantile a diminué de plus
de moitié entre 1990 et 2015, la vaccination généralisée des nourrissons
étant l’un des principaux facteurs de progrès dans les pays les plus
pauvres, où l’économie demeure atone. De même, la santé maternelle s’est
largement améliorée, grâce à l’accompagnement de plus en plus
systématiques des femmes enceintes, et la généralisation de l’accès aux
rétroviraux a permis de contrer l’inexorable progression de l’épidémie
de VIH, avec une baisse des nouveaux cas de 40 % entre 2000 et 2013.
Concernant
les trois derniers autres objectifs de l’ONU, le succès est au
rendez-vous par rapport aux ambitions affichées, mais des progrès
restent à faire. Au niveau de l’éducation, si l’accès à l’éducation
primaire est désormais de 91 % des enfants en âge d’être scolarisés en
2015, il reste d’importants gains à envisager concernant l’enseignement
secondaire, sans parler du supérieur. Sur le plan écologique, l’objectif
"assurer un environnement durable" peut s’enorgueillir de certains
succès, concernant l’accès à l’eau potable courante ou l’élimination des
substances appauvrissant la couche d’ozone, mais il ne faut pas tomber
dans un angélisme béat. Les pollutions industrielles dans les pays
émergents apparaissent considérables du fait d’un développement
économique pas toujours bien maîtrisé et les taudis des grandes
métropoles des pays pauvres ont de beaux jours devant eux. En outre, les
données de l’ONU ne tiennent pas compte du maintien de la biodiversité,
portant uniquement sur l’être humain. Or, concernant cette dernière,
les données sont mauvaises, puisque les biologistes parlent d’une
sixième extinction. Enfin, au niveau de l’égalité des sexes, sur le plan
de la scolarisation des jeunes filles, les écarts avec les jeunes
garçons se sont réduits et le nombre de femmes arrivant à des hautes
fonctions augmentent partout, mais les résultats sont très inégaux selon
les pays et les évolutions concernant la condition de la femme au sens
large (autonomie juridique et économique vis-à-vis de son conjoint ou de
son père, choix du conjoint, sexualité…) demeurent particulièrement
lentes avec parfois des régressions dans certains pays.
De nombreuses analyses attribuent les réussites du "Sommet du Millénaire" de 2000 à la croissance mondiale, portée par les pays émergents et surtout l'Inde et la Chine. Quel rôle la croissance mondiale a-t-elle jouer dans la réalisation de ces objectifs ?
Pascaline Dupas : La
croissance en Inde et en Chine a considérablement réduit le nombre de
gens qui vivent sous le seuil de pauvreté extrême, soit un dollar par
jour par personne. Mais il y a eu des progrès notoires dans
d’autres pays, notamment une baisse de la mortalité infantile et une
augmentation des taux de scolarisation en Afrique, et cela malgré des
performances souvent décevantes en termes de croissance économique. Les
progrès en santé viennent d’efforts ciblés tels que ceux du Global Fund
Against TB, HIV and Malaria, ou bien ceux de l’alliance GAVI, et les
progrès en scolarisation ont été obtenus grâce à des politiques
publiques de subventions à l’éducation.
Un autre
élément important que les gens oublient souvent de mentionner est celui
des envois de fonds des travailleurs migrants à leurs familles dans les
pays en développement. Ces envois de fonds sont l’une des
principales sources de ressources extérieures pour les pays en
développement, excédant de loin l’aide publique au développement. Ces
apports ont énormément contribué à la lutte contre la pauvreté.
Julien Damon : La
croissance – c’est-à-dire, il faut être clair, l’enrichissement (qui
est, soit-dit en passant, la meilleure voie pour lutter contre la
pauvreté) – a joué un rôle absolument majeur. Des géants démographiques,
Chine et Inde, mais aussi Brésil, sont devenus des géants économiques.
Le nombre de pauvres a considérablement baissé en Asie. Le résultat
n’est pas le même pour l’Inde. Mais l’image a avoir à l’esprit est
simple. Le premier OMD (objectif du millénaire pour le développement) a
été atteint. La proportion de personnes vivant en situation d’extrême
pauvreté a été divisée par deux. Mais elle a été divisée par plus de
deux dans de grands pays émergents, alors qu’elle n’a baissé que
marginalement en Afrique sub-saharienne, là où l’on est, d’une part,
loin de l’émergence, et, d’autre part, avec une démographie très
dynamique.
Mary-Françoise Renard : Le
point le plus important concerne la baisse de la grande pauvreté. Les
très bons résultats masquent de profondes disparités et en effet, ils
ont été obtenus grâce à la mise en place des réformes en Chine en 1978,
particulièrement dans l’agriculture; elles ont permis à 400 millions de
travailleurs ruraux de sortir de la grande pauvreté. Cela a bien
sûr un lien avec la croissance, mais c’est surtout parce que la
productivité du travail a augmenté dans l’agriculture et qu’il y eu un
transfert de main d’œuvre de l’agriculture vers l’industrie que cela a
été possible.
D’une façon générale, la
croissance des pays d’Asie s’est accompagnée d’une augmentation des
salaires et d’une amélioration des conditions de vie. Le
ralentissement de la croissance chinoise et son impact sur les pays
d’Asie, les faibles prévisions de croissance dans les pays développés
peuvent faire craindre que l’aide au développement ne diminue ; pourtant
l’interdépendance des économies est telle que l’amélioration de la
situation des plus pauvres est aussi dans l’intérêt de l’économie des
pays riches.
En 2015, les 17 Objectifs pour le développement durable (ODD), qui seront évalués en 2030, prévoient une extension à tous les pays du monde, dont l'Europe et les Etats-Unis. Plusieurs observateurs craignent que certains thèmes comme l'environnement ne monopolise une part trop importante des fonds au regard des autres enjeux, comme la lutte contre l'extrême pauvreté. D'après la liste des 17 ODD (voir ici) et dans ces conditions, certains vous paraissent-ils trop ambitieux ou irréalistes ?
Pascaline Dupas : Il
ne faut pas penser que ces 17 objectifs sont en compétition les uns
avec les autres en termes de ressources et d’attention – au contraire,
il faut s’assurer que les ressources investies soient adéquates. Ce qui
peut sembler compliqué c’est que les objectifs peuvent parfois sembler
incompatible les uns avec les autres. Par exemple lorsque la pauvreté
recule, la consommation de carbone augmente. C’est inévitable. Le jour
où tous les pays du monde auront le taux de voitures par habitant des
Etats-Unis, la pollution créée par les voitures risque d’être
considérable…. Cela ne veut pas dire qu’il faut craindre le
développement des pays pauvres. La qualité de l’environnement est un
bien collectif qui a un prix, et il faut "payer" les pauvres pour
conserver l’environnement. Par exemple, subventionner les voitures
électriques en Chine et dans les pays émergents… En effet il n’y
a aucune raison que les citoyens de Chine paient à eux tous seuls le
cout d’adopter des produits moins dangereux pour l’environnement que
ceux que les Français ou Américains ont adoptés au moment de leur
croissance. De même, si une famille en Amazonie a besoin de
couper des arbres pour pouvoir se nourrir, ou bien si une famille en
Tanzanie a besoin de sur-pêcher pour pouvoir payer l’école secondaire a
ses enfants, mettre en place une loi qui interdit la déforestation ou la
pêche de jeunes poissons revient à faire payer les pauvres pour
l’environnement que l’on a nous-mêmes mis à sac sans vergogne. Pour
éviter ça, il faut compenser ces familles – s’il est interdit de couper
les arbres pour les pauvres d’Amazonie, alors il faut mettre en place
des programmes d’allocations pour ces familles, leur payer un logement
dans une ville où ils peuvent trouver un travail, etc.
Il
est aussi important de garder à l'esprit que les perturbations
climatiques auront des effets négatifs principalement dans les pays
pauvres : baisse des récoltes, augmentation de la mortalité... Par effet
de contraste, la productivité agricole en Amérique du nord et en Europe
s'en verra améliorée. Les objectifs environnementaux sont donc très
importants : s'ils sont atteints, il sera beaucoup plus facile
d'atteindre les ODD de 2045…
En termes de
réalisme : l’objectif qui me semble le plus difficile est le 16, qui est
d’assurer la paix dans le monde et la garantie que tous les citoyens
bénéficient d’institutions efficaces et transparentes. Nous sommes ici
un peu dans le wishful thinking car nous n'en savons que très
peu sur ce qui peut débloquer les changements institutionnels, et même
si c'était le cas il serait difficile de le mettre en place sans
dépasser le principe de "non-ingérance"…
Julien Damon : Je
suis très favorable à ces OMD et à ces ODD. Je pense qu’il n’y a rien
de mieux pour évaluer et suivre des politiques que de leur fixer des
objectifs ambitieux et chiffrés. À défaut on est dans le blabla et
l’incantation. J’ai d’ailleurs publié un livre sur ces objectifs
chiffrés contre la pauvreté, dans le monde, dans l’Union européenne et
en France (Éliminer la pauvreté, Presses Universitaires de France, 2010).
Certes
il n’y avait "que" 8 OMD et 21 cibles associées. Et on va se trouver
avec 17 ODD déclinés en 169 objectifs. Tout ceci est souvent critiqué
comme de la bureaucratie onusienne, de la pensée magique ou, en anglais,
du wishful thinking (on dit aussi do-gooding). La controverse
porte sur la dictature des indicateurs et sur la bureaucratisation,
soviétiforme presque, des plans de lutte contre la pauvreté. Je crois,
de mon côté, à la démocratie des indicateurs. À partir du moment où l’on
s’est mis d’accord sur des indicateurs, on les suit. Concrètement, de
toutes les manières, il y a toujours un indicateur principal, le
premier. Et c’est celui qui a été principalement suivi. Et c’est
certainement celui qui sera le plus suivi encore dans les quinze ans qui
viennent. Il s’agit de la lutte contre la pauvreté extrême. Parmi
nos 17 ODD certains sont purement rhétoriques et sont intégrés pour
calmer certains pays et faire joli. Le 17ème, "renforcer le partenariat
pour le développement durable", comme l’était le 8ème OMD, est une jolie
déclaration, sans grande conséquence. Le 3ème, "promouvoir le
bien-être", va enrichir les batteries statistiques, mais ne
déséquilibrera pas les financements. Tout ce qui concerne la planète
(ODD 13 : lutter contre le changement climatique, ODD 14 : préserver les
océans, ODD 15 : prendre soin de la terre) ne risque pas vraiment de
déstabiliser les ODD plus sociaux. Ils viennent les compléter et donner
de la cohérence d’ensemble à l’action internationale. Ce n’est pas rien.
Tout ceci ne tranche pas dans le débat éternel quant à savoir
s’il faut d’abord se préoccuper d’environnemental (on dit "green") ou de
social (on dit, je ne sais trop plus pourquoi, "brown"). Mais l’édifice
d’ensemble me semble cohérent.
Mary-Françoise Renard :
L’intérêt de ces nouveaux objectifs est d’insister sur le partenariat
entre les pays riches et les pays pauvres. Dans un certain nombre de
domaines comme l’environnement, les résultats ne peuvent être atteints
sans une étroite coopération entre les pays. Il y a effectivement un
risque que certains objectifs prennent le pas sur d’autres (comme on a
craint que l’aide apportée à la lutte contre le SIDA ne se fasse au
détriment de la lutte contre d’autres maladies). Néanmoins, il s’agit
d’un sujet crucial pour les générations à venir et l’on sait que les
effets négatifs du changement climatique sont beaucoup plus importants
pour les pays en développement que pour les pays développés.
Bien sûr ces objectifs sont ambitieux et ne seront pas tous atteints.
Certains d’entre eux se heurtent à des obstacles institutionnels. Par
exemple, l’égalité des sexes est un domaine dans lequel certains pays
refusent de s’investir.
Par ailleurs, quels sont selon vous les principaux écueils qu'il faudra gérer et éviter ?
Julien Damon : Les
OMD comme toute l’aide au développement, et comme les ODD maintenant,
voient trois positions s’affronter. Avec chacune sa figure de proue.
L’économiste new-yorkais Jeffrey Sachs, conseiller du secrétaire général
de l’ONU pour les OMD, estime que, bien organisé, doté réellement des
0,7 % du PIB des pays riches, un plan peut vraiment éradiquer la
pauvreté. Un autre économiste new-yorkais, William Easterly est connu
pour sa critique des politiques planifiées et du messianisme médiatisé
de personnalités artistiques ou académiques. Il souligne que l’approche
technocratique des ingénieurs sociaux confère moyens et légitimité à des
régimes qui se moquent des droits des pauvres. Une autre économiste,
française, est connue pour son approche expérimentale. Pour Ester Duflo,
il faut tenter, évaluer à petite échelle. Le débat sera toujours celui
là : de l’intervention publique ou du marché, de grands plans ou de
petites expérimentations. Je pense qu’un autre écueil de
dessine, celui d’ODD atteints dans des pays sympathiques et coopératifs,
avec de la croissance, tandis que d’autres, singulièrement dans une
Afrique sub-saharienne mal-partie, continuent de s’enfoncer. En
un mot, il faut peut-être cesser l’aide publique au développement dans
certains pays totalement émergés, qui d’ailleurs font de leur propre
aide au développement désormais une arme commerciale, et se concentrer
sur les cas les moins glamours et les plus problématiques. Ceux,
d’ailleurs, où les régimes politiques en place et les niveaux de
corruption interdisent en fait la liberté nécessaire au développement…
Mary-Françoise Renard :
Il ne faut pas oublier de hiérarchiser les priorités et de donner un
rôle central à la lutte contre la pauvreté et à la protection des plus
vulnérables. Il faut combler l’écart entre les résultats des précédents
objectifs (pour 2015) et les cibles prévues et essayer d’atténuer les
inégalités. C’est d’autant plus important que l’accès aux nouvelles
technologies permet à la majeure partie de la population de savoir par
exemple qu’il existe des médicaments qui auraient pu sauver leurs
enfants. Les améliorations réelles obtenues ne doivent pas être
considérées comme définitives. Par exemple, bien que les pays en
développement occupent une place plus importante dans le commerce
international, notamment grâce au développement des relations sud-sud,
leurs exportations sont encore insuffisamment diversifiées et ils
peuvent souffrir d’un développement du protectionnisme non tarifaire de
la part des pays riches. L’échec du cycle de Doha (négociations
commerciales internationales dans le cadre de l’OMC) n’est pas une
bonne nouvelle pour les pays en développement qui seraient pénalisés par
une remise en cause du multilatéralisme dans ce domaine.
Alors que la croissance mondiale est en berne, et que les pays émergents ne semblent pas prendre le rôle assigné jusqu'à il y a peu de "moteur de l'économie mondiale", quelles sont les conditions de la réussite pour remplir les 17 OMD jusqu'en 2030 ? Sur quoi pourrons-nous compter ? Implication de la société civile, meilleure utilisation et répartition des fonds, autre chose ?
Julien Damon : On lit de grandes déclarations sympathiques sur la société civile. Je pense que l’essentiel est dans l’Etat de droit et la lutte contre la corruption.
Je ne pense pas qu’il existe une implication enchantée de la société
civile. Généralement ce sont des associations qui demandent des
subventions… D’abord de l’Etat de droit donc. Ensuite oui, sur
les fonds, il faut les concentrer sur les zones qui en ont le plus
besoin et sur les programmes dont les résultats ont été évalués
positivement. Ce qui invite à abandonner les autres ! Les pays qui n’ont pas besoin de cette aide, et les programmes qui ont failli.
Il
est vrai que toutes les ambitions derrière les ODD sont considérables :
élimination de la pauvreté et de la faim dans le monde, défi d’une
"croissance durable" (il faudra d’abord la définir), lutte contre le
changement climatique, etc. Une clé, selon de nombreux experts (mais pas
tous), procède du financement de ce programme très ambitieux. Une
conférence internationale en juillet dernier à Addis-Abeba a évalué les
besoins à 2 500 milliards de dollars (soit environ un an de PIB
français) sur quinze ans. Avec la recomposition mais aussi la baisse de
l’aide publique au développement, il ne faudra pas seulement compter sur
l’intervention publique ni entonner les incantations rituelles à
l’implication de la société civile. Il faudra permettre aux
entreprises de s’impliquer. Et comment mieux le faire qu’en leur
permettant d’exercer, sans corruption publique, leurs activités ?
Dernière
chose, je pense que les Français, particulièrement les responsables
publics, auraient tout intérêt à moins se regarder le nombril et à
s’intéresser à ce sujet. On gémie beaucoup sur la pauvreté en France,
appréciée à partir d’un seuil de pauvreté à 33 euros par jour. Or le
seuil international de pauvreté est d’environ 1 euro. Nous vivons notre
abondance dans un océan mondial de pauvreté, océan qui déborde
démographiquement aujourd’hui et qui alimente le sujet très disputé des
réfugiés.
Certes la pauvreté, au seuil de 1 euro
par jour, recule dans le monde. Mais à 1,5 ou 3 euros, on demeure dans
des situations d’extrême indigence. Et tous ces pauvres dans le monde
sont de plus en plus conscients et informés de ce qui existe ailleurs.
Chose étrange à certains égards, les taux d’équipement en téléphone
portable, dans les pays pauvres, sont très très supérieurs aux taux
d’accès à de l’eau potable ou à de simples toilettes. D’où quelques
frustrations bien compréhensibles…
Mary-Françoise Renard :
Il y a une prise de conscience du caractère mondial des problèmes des
pays en développement. Leur résolution a une dimension financière. Les
efforts en matière d’aide au développement sont très variables selon les
pays mais il ne faut pas oublier que malgré le ralentissement de la
croissance dans les pays développés, cette aide publique au
développement a sensiblement augmenté jusqu’en 2013, notamment en ce qui
concerne les services sociaux de base. De plus, la Chine vient de
promettre 2 milliards de dollars au titre de la coopération sud-sud. Les
actions s’appuieront sans doute encore plus sur l’articulation fonds
publics-fonds privés.
Mais il y aussi une forte dimension institutionnelle. Les
conflits sont actuellement l’une des sources majeures des problèmes des
pays en développement. Cela accroît leur vulnérabilité, la pauvreté, le
manque d’éducation, notamment pour les nombreux réfugiés.
La
réussite des objectifs dépend aussi du développement de la
réglementation, notamment en matière environnementale, et de
l’assistance technique qui doit aider les pays les plus pauvres à
augmenter la productivité dans l’agriculture et d’une façon générale à
accéder à un niveau technologique plus élevé.
Pascaline Dupas : La
condition la plus importante c’est le maintien de la volonté politique.
C’est bien joli de faires des déclarations et de se donner des
objectifs, mais il faut s’y tenir. Par exemple, depuis les années 1970
l’objectif international le plus connu est celui qui vise à porter
l’aide publique au développement à 0.7 % du revenu national des
donneurs, mais peu de pays s’y tiennent – je crois que la France est a
moins de 0.5% par exemple.
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