15/08/2014

Comment les Kurdes de Syrie ont sauvé la minorité yézidie


Massif de Sinjar (Irak) Envoyé spécial
Les combattants du PYD ont ouvert le corridor qui a permis aux 40 000 personnes réfugiées dans le massif de Sinjar d'échapper aux djihadistes





M. MALIKI LAISSE LE CHAMP LIBRE À SON SUCCESSEUR
Le chiite irakien Nouri Al-Maliki a renoncé à s'accrocher à son poste de premier ministre, et a annoncé soutenir désormais son successeur désigné, le chiite modéré Haïdar Al-Abadi. " J'annonce devant vous ce soir, pour faciliter le processus politique, le retrait de ma candidature en faveur du frère Haïdar Al-Abadi ", a déclaré M. Maliki jeudi 14 août à la télévision d'Etat. Mercredi, son propre parti, le Dawa, avait annoncé son soutien à M. Abadi et avait appelé ses députés à travailler avec lui pour la formation d'un gouvernement. Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, avait lui aussi apporté son soutien personnel à M. Abadi. Washington a félicité M. Maliki pour sa décision.
Le soleil se fait moins violent sur les bords de la piste poussiéreuse qui s'enfonce dans les flancs du petit massif de Sinjar (nord-ouest de l'Irak). Ce soir du mercredi 13 août, les petits camions venus chercher les milliers de réfugiés yézidis (une minorité kurde irakienne, adepte du zoroastrisme) pris au piège des montagnes par l'Etat islamique (EI), reviennent tous à vides. " Il n'y a plus personne, et les rares qui sont encore là-haut veulent y rester, maugrée Mohamed, un chauffeur. On est venu pour rien, la nuit va tomber et c'est dangereux. "
Si les chauffeurs sont aussi craintifs, c'est qu'ils empruntent un corridor ouvert à travers champs par les combattants du PYD, une formation kurde syrienne, jumelle du Parti des travailleurs kurdes (PKK) de Turquie. En plein territoire irakien conquis par les islamistes, ils ont sécurisé un couloir d'une dizaine de kilomètres de large, où s'écrasent de temps à autres quelques obus de mortiers, tirés notamment depuis le village de Sounouni, où flotte le drapeau noir de l'EI.
Par ce corridor, le PYD a organisé, quasiment seul, le sauvetage de près de 70 000 personnes en dix jours, originaires de Sinjar et de ses environs, selon les estimations officielles. Ces réfugiés ont rejoint soit la Syrie soit, en majorité, le Kurdistan irakien, après avoir transité sur le sol syrien via le camp de Nauruz, à la sortie de Derik. Mercredi, les forces spéciales américaines dépêchées sur le massif de Sinjar pour évaluer le besoin d'une mission d'évacuation ne pouvaient que constater qu'elles arrivaient trop tard pour être utiles.
La réussite de l'évacuation des yézidis s'explique principalement par l'anticipation du PYD. Car si l'opération a débuté dès le 3 août, voilà des mois que le PYD craignait que l'Etat islamique, qu'il combat déjà sur le sol syrien, ne tente de le prendre à revers, par le sud, en prenant appui sur les montagnes de Sinjar pour bombarder la frontière syrienne toute proche — et surtout ses positions.
" Il était pour nous impossible de laisser une position aussi stratégique entre les mains de Da'ech ", explique Aldar Khalil, l'un des chefs du PYD. En mai, il s'était rendu à Badgad pour évoquer le futur du Kurdistan syrien qui dispose, depuis le 12 novembre 2013, de son administration autonome. " Je leur avais dit que Da'ech allait attaquer et qu'il fallait renforcer les défenses de Sinjar ; j'ai effectué la même démarche à Erbil - capitale de la région autonome du Kurdistan irakien - auprès des peshmergas - combattants kurdes - , qui devaient protéger Sinjar. Ils n'ont rien fait car ils se disputaient sur le tracé des frontières, et Sinjar faisaient partie des territoires disputés. "
Un conseiller d'un ministre du Kurdistan irakien à Erbil, fait remarquer que pour le pouvoir central, à Bagdad, dominé par les chiites, " cette zone n'était d'aucune utilité puisqu'habitée par des yézidis, des chrétiens et des arabes sunnites ".
Quand les pick-up de Da'ech, chargés d'hommes armés, ont déferlé, le 3 août, sur Sinjar, les populations effrayées se sont enfuies dans les montagnes pendant que les islamistes poursuivaient, par la route, leur offensive vers la frontière syrienne et prenaient en tenaille tout le massif de Sinjar. Selon les témoignages recueillis par l'ONG française Acted auprès de réfugiés yézidis et des éléments collectés lors d'un déplacement près de Sinjar, les islamistes ont réussi à pénétrer, le 3 août, sur le sol du Kurdistan syrien en passant par la petite ville frontière de Al-Ya'rubiyah avant d'en être repoussés par une contre-offensive des syro-kurdes du PYD jusqu'à la ville irakienne voisine de Rabiaa.
Al-Ya'rubiyah est aujourd'hui une ville fantôme déclarée zone militaire, où le vent, en bourrasques, fait tourner des arbustes. Les rails de la voie de chemin de fer servant, jadis, à alimenter en blé la ville de Mossoul en Irak butent sur un haut mur. Les immeubles servent de points d'observation et de tir pour le PYD. En face, la ville de Rabiaa arbore, là aussi, les drapeaux noirs de Da'ech. Et quand la nuit vient, des rafales d'armes automatiques brisent parfois le silence. Non pour attaquer, semble-t-il, mais pour rappeler que de part et d'autre se trouvent des ennemis.
Les troupes du PYD sont parvenues à avancer leurs pions dans la zone située entre la frontière syrienne et le massif de Sinjar pour protéger leurs arrières et contrôler la montagne. Près de 3 000 familles ont rejoint, le premier jour des combats, le Kurdistan irakien sans passer par la Syrie. Du 4 au 12 août, Da'ech a tenté, à partir de Rabiaa de prendre, par l'est, le contrôle de la montagne. En vain. De 35 000 à 40 000 personnes avaient alors trouvé refuge dans le massif de Sinjar, surtout dans sa partie ouest. Elles y sont restées souvent plusieurs jours avant de redescendre de l'autre côté où, après d'éprouvantes heures de marche, elles finissaient par trouver un camion qui les transportait au Kurdistan syrien. Des hommes de Sinjar et des villages environnants se sont joints aux soldats kurdes après avoir mis leurs familles à l'abri. " Ils considèrent que l'armée irakienne et les peshmergas les ont trahis ", assure Moustafa Sofi, chargé pour le PYD de la sécurité de la ville de Derik, au Kurdistan syrien. Parmi eux figurent aussi bien des yézidis, des chrétiens et même des arabes sunnites qui n'ont pas tous pris partie pour Da'ech. Dans la reprise du mont Sinjar, les forces syro-kurdes avaient perdu huit hommes, jeudi 14 août.
La veille au soir, alors que les derniers camions vides s'engageaient dans le corridor de Sinjar, un semi-remorque du PYD, chargé d'un tank, a surgi, en sens inverse. L'opération de sauvetage terminée, le corridor pouvait reprendre sa fonction première, celle de contrôle d'un massif stratégique.
Jacques Follorou

La réouverture du dossier irakien fragilise Barack Obama

Washington Envoyé spécial




Le retour dans les sables irakiens est brutal. Depuis une semaine, les Etats-Unis ont repris leurs opérations militaires en Irak, par les airs, contre le même ennemi qu'ils avaient combattu jusqu'à l'été 2010. Une reprise de contact amère avec la réalité qui fragilise le président Barack Obama, élu en 2008 sur la promesse de ramener les troupes à la maison.
Le 21 octobre 2011, un peu avant 13 heures, c'est un homme aux tempes moins grisonnantes qu'aujourd'hui qui annonce depuis la salle de presse de la Maison Blanche le retrait total des troupes américaines avant le 31 décembre 2011. Quelques instants plus tard, l'adjoint du conseiller à la sécurité nationale et le conseiller à la sécurité du vice-président, Denis McDonough et Tony Blinken, lui succèdent, avec la mission de lever les doutes.
Car la situation reste volatile en Irak, malgré d'incontestables progrès. Livrées à elles-mêmes, les troupes irakiennes sauront-elles faire face ? Denis McDonough, aujourd'hui chef de cabinet de la Maison Blanche, se veut rassurant : " Les retours que nous avons disent les uns après les autres que ces gars sont prêts (…) et qu'ils ont fait leurs preuves. " Tony Blinken, qui a remplacé en 2013 M. McDonough à son poste d'alors, renchérit, plus prudemment : la " mèche " confessionnelle ? " Il est peu probable, ou moins probable, qu'elle se rallume. "
Dès son arrivée à la Maison Blanche, M. Obama s'est activé pour tenir l'engagement pris devant le peuple américain. Dans les faits, il se conforme à l'accord conclu par son prédécesseur, George W. Bush, avec les autorités irakiennes. C'est cet accord qui a fixé l'échéance à décembre 2011. De 180 000 hommes à sa prise de fonctions, les effectifs ont été ramenés à 50 000 au 31 août 2010, à la fin des opérations militaires. Les troupes restées sur place servent désormais à encadrer les forces irakiennes.
Ces dernières sont-elles mûres pour garantir la stabilité d'un pays qui s'épuise dans d'interminables querelles ? Le premier ministre, Nouri Al-Maliki, est favorable à un soutien prolongé, mais les avis divergent à Washington. Sceptique quant à la solidité des troupes de son allié, le Pentagone prône discrètement le maintien de soldats au-delà de l'échéance.
Pendant la première moitié de l'année 2011, les estimations de ces forces maintenues vont de 10 000 à 20 000 hommes. " Il s'agit alors de consolider l'armée irakienne – qui par ailleurs ne peut garantir la sécurité de son espace aérien, faute de moyens – et de faciliter les relations entre les forces de Bagdad et celles des Kurdes ", énumère Rick Brennan, alors conseiller de l'armée américaine pour la transition irakienne, aujourd'hui expert pour la Rand Corporation. En juin 2011, se souvient James Jeffrey, qui pilotait alors l'énorme ambassade américaine en Irak, le président américain arrête le curseur à 5 000 hommes.
Les obstacles sont nombreux, à commencer par le ressentiment des Irakiens après les multiples bavures américaines, dont tire parti le chef chiite Moqtada Al-Sadr, protégé de Téhéran qui veut se débarrasser au plus vite de cette présence à ses portes. La Maison Blanche est réticente. Il faut un nouvel accord avec Bagdad pour aller au-delà de décembre 2011, et Washington exige une immunité totale pour ses hommes. La majorité nécessaire au Parlement irakien semble très difficile à obtenir. Nouri Al-Maliki propose de signer un décret exécutif pour pallier le blocage, mais les juristes de la Maison Blanche doutent de sa solidité, et, au final, le 21 octobre 2011, le retrait total des troupes américaines est annoncé.
" Ce fut une décision politique ", regrette aujourd'hui Rick Brennan, qui la juge prise dans la perspective de la présidentielle de 2012. Maintenant à l'Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient, James Jeffrey se garde d'indiquer quelles étaient ses recommandations. Mais il se souvient que le commandant des forces américaines sur place, le général Lloyd Austin, aujourd'hui à la tête du Commandement central américain (chargé du Moyen-Orient), était pour le maintien. " Des troupes, souligne-t-il, cela donne de l'influence sur place, et de l'influence à Washington. Washington ne peut pas regarder ailleurs avec des soldats sur le terrain. "
A l'époque, dans la capitale fédérale, le soulagement d'en terminer avec ce dossier lancinant l'emporte sur toute autre considération. Et pour longtemps. L'ancienne secrétaire d'Etat et possible candidate à l'élection présidentielle de 2016, Hillary Clinton, n'évoque pratiquement pas le sujet dans ses Mémoires parus en juin (Le Temps des décisions, Fayard), alors qu'elle s'est vivement démarquée de M. Obama le 10 août dans un entretien publié par le magazine The Atlantic, critiquant la ligne de conduite jugée minimaliste prêtée à l'administration Obama (" Ne pas faire de choses stupides ").
Le 9 août, M. Obama a jugé " fausse et erronée " l'analyse selon laquelle le maintien de troupes aurait permis d'éviter le fiasco actuel.
Gilles Paris

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005; je n'ai aucune ambition ni politique ni de notoriété. C'est mon travail de retraité pour la collectivité. Tout lecteur peut commenter sous email google valide. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie.
- Je modère tous les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles.
- Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
- Je n'autorise pas les attaques personnelles. Je considère cependant que ces attaques sont différentes des attaques contre des idées soutenues par des personnes. Si vous souhaitez attaquer des idées, c'est bien, mais vous devez alors fournir des arguments et vous engager dans la discussion.
- Je n'autorise pas les commentaires susceptibles d'être diffamatoires (au mieux que je puisse juger car je ne suis pas juriste) ou qui utilisent un langage excessif qui n'est pas nécessaire pour l'argumentation présentée.
- Veuillez ne pas publier de liens vers des publicités - le commentaire sera simplement supprimé.
- Je suis pour la liberté d'expression, mais il faut être pertinent. La pertinence est mesurée par la façon dont le commentaire s'apparente au sujet du billet auquel le commentaire s'adresse. Si vous voulez juste parler de quelque chose, créez votre propre blog. Mais puisqu'il s'agit de mon blog, je vous invite à partager mon point de vue ou à rebondir sur les points de vue enregistrés par d'autres commentaires. Pour ou contre c'est bien.
- Je considère aussi que la liberté d'expression porte la responsabilité d'être le propriétaire de cette parole.

J'ai noté que ceux qui tombent dans les attaques personnelles (que je supprime) le font de manière anonyme... Ensuite, ils ont l'audace de suggérer que j'exerce la censure.