L'inflation plonge des millions de Français dans l'angoisse ou la détresse. Le projet gouvernemental de réforme des retraites est rejeté par 72 % d'entre eux. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants s'apprêtent à descendre de nouveau dans la rue. Les hôpitaux, débordés, annoncent qu'ils ne pourront plus payer les médecins intérimaires au tarif jusque-là admis. La guerre d'Ukraine fait peser une menace de plus en plus lourde… Et, pendant ce temps, que font certains des plus connus des ministres ?
Marlène Schiappa, par exemple, pose à la une de Playboy, le magazine porno chic, réputé pour ses photos de femmes nues dans des poses aguichantes, qui fut choisi naguère par Pierrette Le Pen pour provoquer son mari en se faisant photographier à quatre pattes, nue, sous un tablier de soubrette. C'était en 1987, mais leur fille Marine ne l'a pas oublié.
De « Pif le mag » à « Têtu »
Emmanuel Macron, qui a refusé de recevoir les leaders syndicaux en dépit de la proposition du leader CFDT, Laurent Berger, de marquer une pause, prend, en revanche, le temps d'accorder une interview à Pif le mag. L'ancien magazine communiste pour filles et fils de militants retrouve ainsi avec lui une nouvelle jeunesse. « Quitter le pouvoir ? » répond le chef de l'État à une jeune lectrice qui se demande comment sortir de la crise. « Si tu le quittes, ça provoque une énorme crise et tu es empêché ! » Tiens ? Même lors de son intervention télévisée du 22 mars, à l'heure du déjeuner – destinée, il est vrai, à un public plus âgé –, le président n'en dira pas autant. Il le regrettera peut-être, car il croit avoir compris qu'il faut s'adresser au peuple comme à des enfants.
Son ministre du Travail, Olivier Dussopt, le sait, lui que l'on a moqué ou plaint pour avoir perdu son sang-froid et sa voix à l'Assemblée nationale sous les attaques des députés de la Nupes. Jamais il n'oubliera cette séance du 17 février, quand, poussé à bout, il se mit à hurler d'une voix de plus en plus éraillée, tandis que l'hémicycle se vidait : « Vous m'avez insulté quinze jours ! Personne n'a craqué ! Personne n'a craqué ! »
Afin d'oublier cette calamiteuse séquence qui l'a fait siffler par ses propres électeurs de l'Ardèche – oui, ceux qui avaient soutenu le fils de carrossier d'Annonay devenu un jeune élu PS accusant Macron d'avoir « insulté les ouvrières ne sachant pas lire », comme sa propre mère, mais ceux aussi qui avaient voté pour lui lorsqu'il s'était converti au macronisme pour devenir membre du gouvernement –, Dussopt le grand blessé avait besoin de fraternité. Alors, il s'est confié au magazine Têtu :
« Parmi les insultes que je reçois, beaucoup sont homophobes… Être homosexuel n'est jamais neutre », a-t-il révélé avec gravité, avant de revendiquer « le droit de préserver » son conjoint de sa vie publique. Puis de rappeler ses précédents combats : « Mon engagement, c'est l'énergie que j'ai consacrée à défendre le mariage pour tous et la PMA pour les couples homos. »
Une interview forcément invisible derrière les photos
Mais c'est le magazine Playboy à paraître ce jeudi qui va remporter la palme. Avec une interview de pas moins de 12 pages de Marlène Schiappa. Bien qu'elle soit désormais secrétaire d'État chargée de l'Économie solidaire, et non plus ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes (c'est Isabelle Lonvis-Rome qui lui a succédé à ce poste, mais qui la connaît ?), celle que le baromètre Ipsos-Le Point de mars classe à la quatrième place des femmes les plus populaires ou les plus connues, derrière Marine Le Pen, Martine Aubry et Marion Maréchal, et devant des hommes comme Gérard Larcher, y parlerait de tout.
Des Françaises, victimes ou non d'inégalités et d'agressions, mais aussi de la liberté des femmes en Afghanistan, du droit à l'IVG, de LGBT et encore de littérature. Mère d'une adolescente de 16 ans et d'une fillette de 9 ans, et désormais amoureuse du président de la Mutuelle générale de l'Éducation nationale, Matthias Savignac, comme elle l'a révélé dans Paris Match et Closer, avant, peut-être, d'en parler chez Cyril Hanouna, dont elle fut la première membre du gouvernement à accepter l'invitation, cette fille d'un historien et d'une directrice de lycée n'est-elle pas elle-même écrivaine ?
Nul doute que sa longue interview dans Playboy sera très intéressante. En effet, Marlène Schiappa a son franc-parler. Mais voilà : ce sont surtout les images, déjà très commentées, que l'on retiendra. Photos d'une jolie femme de 40 ans, bien dans sa peau, vue de profil en robe du soir décolletée ou vue de face, les mains entre les cuisses, dans une drôle de tenue ébouriffante de papillon blanc aux ailes déployées.
À partir du moment où le président de la République donne une grande interview, en pleine crise politique, dans “Pif Gadget”, je pense que les ministres se sentent un peu libres de faire n’importe quoi.Marine Le Pen
En réaction, Éric Dupond-Moretti évoque « une difficulté par rapport à la temporalité » (comprendre : vu la situation politique et sociale du pays) et la Première ministre Élisabeth Borne recadre sa ministre d'un coup de fil bref et cassant, jugeant sa communication « pas du tout appropriée dans le contexte de la situation sociale actuelle ». Et Marine Le Pen, surmontant son douloureux souvenir de Playboy, triomphe sur BFMTV : « À partir du moment où le président de la République donne une grande interview, en pleine crise politique, dans Pif Gadget, je pense que les ministres se sentent un peu libres de faire n'importe quoi. »
Un bon coup pour les hommes de Playboy
Mais la cause des femmes ? Nul doute que Marlène Schiappa sera imitée. Les filles proclameront, comme Marlène Schiappa, leur « liberté, la liberté des femmes ». Elles se croiront ainsi sincèrement féministes, c'est-à-dire militantes de l'égalité femmes-hommes. Comme si les garçons, les hommes, journalistes, ministres, leaders politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou cadres, se montraient à demi nus ou en tenue sexy à la une de magazines pornos pour devenir célèbres et faire passer un message politique et social de liberté !
Le seul gagnant, dans cette fable de notre époque, c'est évidemment l'éditeur de Playboy version française. C'est un homme, Jean-Christophe Florentin, tout content de voir les millions d'euros tomber dans sa caisse en même temps que les féministes se dénuder.
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