11/03/2023

Macron, le gâchis social et économique

Macron, le gâchis social et économique

LA CHRONIQUE deThomas Piketty

Disons-le d’emblée : Macron se trompe d’époque et nous fait perdre du temps. Il applique des recettes complètement inadaptées au monde des années 2020, comme s’il était resté bloqué intellectuellement à l’époque de l’euphorie libérale des années 1990 et du début des années 2000, le monde d’avant la crise de 2008, le Covid-19 et l’Ukraine. Le contexte actuel est pourtant celui de la montée des inégalités, de l’hyper-prospérité patrimoniale et de la crise climatique et énergétique. L’urgence est l’investissement dans la formation et la santé et la mise en place d’un système économique plus juste, en France et en Europe, et plus encore à l’échelle internationale. Qu’importe : le gouvernement continue de mener une politique antisociale d’un autre âge.

Sur les retraites, Macron avait tenté, en 2019, de porter l’idée d’une retraite « universelle », avec une unification des règles entre les régimes, qui sont effectivement trop complexes. Le problème est qu’il soutenait une retraite universelle très inégalitaire, consistant grosso modo à perpétuer jusqu’à la mort les inégalités abyssales de la vie active. Bien d’autres retraites universelles sont possibles, en mettant l’accent sur les petites et les moyennes retraites, avec un taux de remplacement variant avec le niveau de salaire, le tout financé par un prélèvement progressif sur les revenus et les patrimoines (avec, par exemple, l’introduction d’un taux de CSG de 2 % sur les 500 plus grandes fortunes, qui rapporterait à lui seul 20 milliards d’euros).

Aujourd’hui, Macron ne cherche même plus à faire semblant et à jouer au modernisateur de l’Etat social : la réforme des retraites de 2023 vise simplement à lever de l’argent, sans aucun objectif d’universalité ou de simplification. Il s’agit même de la plus opaque des réformes paramétriques que l’on aurait pu imaginer. Les nouvelles règles sur les carrières longues sont totalement embrouillées. La prétendue mesure sur les petites retraites à 1 200 euros concernera finalement moins de 3 % des retraités, et il aura fallu un an au gouvernement pour arriver à ce chiffrage toujours très approximatif, alors qu’il a à sa disposition tout l’appareil d’Etat et dépense des milliards en cabinets de conseil. La réalité, qu’il est maintenant impossible de dissimuler, est que les efforts pèseront avant tout sur les femmes ayant des salaires bas et moyens, qui devront travailler deux ans de plus sur des métiers difficiles et mal rémunérés, quand elles sont encore en emploi.

Inégalités stratosphériques

Au-delà de ces injustices et de tout ce temps perdu sur les retraites, le gâchis social et économique de la présidence Macron se retrouve dans d’autres domaines. Si l’on examine l’évolution des moyens de l’enseignement supérieur, on constate ainsi que le budget par étudiant a diminué de 15 % en France au cours des dix dernières années. Plutôt que de ressasser des PowerPoint McKinsey sur la « start-up nation », le gouvernement serait bien inspiré de méditer la leçon de base de toute l’histoire économique, à savoir que c’est l’investissement dans la formation qui est la source de la prospérité.

De façon générale, la construction de l’Etat social a été un immense succès historique au cours du XXe siècle, et il faut s’appuyer sur cet acquis pour aller plus loin. C’est grâce à un puissant mouvement d’investissement dans la formation, la santé et les infrastructures publiques que nous avons atteint à la fois une plus grande égalité et une prospérité inédite dans l’histoire. Les ressources publiques mobilisées dans la formation ont décuplé, passant de 0,5 % du revenu national dans les pays occidentaux, avant 1914, à environ 5-6 % depuis les années 1980-1990.

Au milieu du XXe siècle, les Etats-Unis étaient de très loin le leader éducatif du monde (avec 80 % d’une classe d’âge dans le secondaire long dès 1950, contre 20-30 % en France ou au Royaume-Uni au même moment), et c’est pourquoi ils étaient aussi le leader économique. Le tout avec des inégalités fortement comprimées, à grands coups de progressivité fiscale : le taux supérieur de l’impôt sur le revenu atteignait 81 % en moyenne outre-Atlantique de 1930 à 1980. De toute évidence, cela n’a pas nui à la productivité exceptionnelle de la première économie de la planète, bien au contraire.

La grande leçon de l’histoire, c’est que la prospérité vient de l’égalité et de l’éducation, et non de la course-poursuite à l’inégalité. Des écarts de revenus raisonnables peuvent se justifier (mettons de un à cinq), mais les inégalités stratosphériques ne servent à rien du point de vue de l’intérêt général. Cette leçon a été oubliée, et l’investissement social et éducatif stagne depuis trente ans, alors que le nombre d’étudiants progresse. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la stagnation de la productivité.

En affaiblissant l’Etat social au lieu de l’étendre, le gouvernement affaiblit le pays et sa place dans le monde. Il rate aussi un tournant historique, qui est le passage de l’Etat social-national à l’Etat social-global (ou social-fédéral). Au XXe siècle, l’Etat social s’est développé avant tout dans le cadre national, en oubliant parfois superbement les inégalités Nord-Sud. Ce qui est d’autant plus problématique que l’enrichissement occidental n’aurait jamais pu avoir lieu sans une très forte insertion internationale et sans l’exploitation, souvent brutale, des ressources naturelles et humaines disponibles à l’échelle de la planète. Il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer les conséquences des dégâts environnementaux causés par l’enrichissement du Nord (y compris bien sûr la Russie et la Chine). L’Etat social-global doit s’appuyer sur une refonte du système économique et fiscal mondial, avec une mise à contribution des acteurs globaux les plus riches (multinationales, milliardaires), au bénéfice de tous. C’est ainsi que l’on relancera l’Etat social, au Nord comme au Sud, et que l’on sortira des contradictions actuelles.

Thomas Piketty est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Ecole d’économie de Paris

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