Il commence par l'infiltration active, sur une longue période, de populations russophones dans les régions convoitées, avec une recherche de complicités parmi les bandes ethniques, les séparatistes et les mafieux de ces régions. Puis c'est la fourniture d'armes, d'argent et d'entraînement par Moscou, avec l'encadrement par des officiers du GRU et du FSB. Viennent ensuite les premiers attentats et les actes de sabotage contre le gouvernement central par les séparatistes ainsi formés.
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S'ensuit un discours incendiaire sur la prétendue victimisation des éléments prorusses et des populations russes récemment implantées dans la région, avec, parallèlement, un harcèlement permanent des autochtones favorables à leur gouvernement, qui entraîne le plus souvent leur exode.
C'est alors le moment, dans ces territoires « ethniquement nettoyés », d'organiser des référendums – truqués de surcroît – légitimant la sécession du territoire, avant l'intervention massive des troupes russes.
Une fois la région solidement entre les mains des « libérateurs », ou directement rattachée à la Russie, le territoire est utilisé pour déstabiliser, et éventuellement renverser, le gouvernement central. Après quoi, le processus se répète au détriment des régions ou des pays voisins.
Voilà donc ce qui advient en moins de quinze ans à la Tchétchénie, à l'Ossétie du Nord, à l'Abkhazie, à la Crimée et aux « républiques populaires » de Louhansk et Donetsk dès 2014.
Assassinats au polonium
On peut supposer, sans trop s'avancer, que l'ancien tchékiste, qui a publiquement regretté la disparition de l'URSS, s'efforce, en l'occurrence, de reconstituer l'empire soviétique. En ce cas, il y est manifestement encouragé par l'attitude pour le moins passive des Européens comme des Américains.
Les agressions contre la Tchétchénie, la Moldavie et la Géorgie n'ont guère provoqué de réactions. Les sanctions prises lors de l'annexion de la Crimée et de l'occupation des républiques séparatistes du Donbass – gel des actifs d'une centaine de personnalités russes interdites de voyage dans l'UE et aux États-Unis, quelques dizaines de banques et de conglomérats militaires russes visés, interdiction des exportations d'armement et de technologie à usage militaire – ont dû susciter chez Poutine une pitié méprisante.
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À cela s'ajoute que la Russie, membre du Conseil de l'Europe, n'est que « privée du droit de vote » – et provisoirement de surcroît ! De même, sa qualité de membre du G8 n'est que « temporairement suspendue » à l'époque, tout comme sa participation au Conseil Russie-Otan.
Enfin, toutes violations du droit international et assassinats au polonium prestement oubliés, Poutine va continuer à être reçu, avec maints égards, dans les grandes capitales européennes. Qu'il ait pu interpréter cette indulgence et ces amnésies comme des aveux de faiblesse – voire des encouragements – n'a finalement rien d'étonnant.
Propagande anti-occidentale
Si les sept années suivantes ancrent Poutine dans cette conviction, c'est qu'il est conscient de détenir un grand nombre d'atouts maîtres. En raison d'une politique énergétique assez aberrante, les principaux États de l'Union européenne se sont rendus tributaires du pétrole et du gaz russes – une dépendance que les gazoducs Nord Stream 1 et 2 sont en passe de parachever.
Les gigantesques transferts de fonds russes à l'étranger effectués depuis trente ans sont consacrés à l'achat de complicités parmi les politiciens européens, américains, asiatiques et africains, ainsi qu'à la création d'innombrables chaînes de radio et de télévision, organisations et associations destinées à fomenter des troubles et à exploiter les failles et les tensions, en répandant la propagande anti-occidentale sur les cinq continents.
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La mise à profit des réseaux sociaux de par le monde, avec toutes les possibilités ainsi offertes à la cybercriminalité russe, constitue également un puissant facteur de déstabilisation des sociétés démocratiques. Mieux encore, les fonds généreusement distribués à tous les extrémistes occidentaux, couplés aux attaques informatiques et aux perturbations provoquées par des multitudes de trolls, permettent une interférence directe dans les processus politiques et électoraux de nombreux pays.
C'est ce qu'on pourra constater à l'occasion des élections de 2016 portant Donald Trump au pouvoir, lors du référendum du Brexit en Grande-Bretagne la même année, ainsi qu'en France au cours de l'élection présidentielle de 2017 et de l'épisode des Gilets jaunes.
Agents poutiniens
Il est vrai que Poutine considère les pays européens comme intrinsèquement vulnérables. Après tout, bon nombre de leurs politiciens en vue – Schröder, Fillon, Berlusconi, Marine Le Pen, Strache, Kneissl – sont employés ou financés, à l'époque, par des entreprises ou des banques russes, ce qui en fait d'excellents agents d'influence et de précieux ferments de divisions.
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Les chefs d'État occidentaux, élus pour quatre ou cinq ans, sont sujets à toutes les foucades de leurs opinions publiques, harcelés par des opposants pressés de les remplacer, exagérément influencés par des considérations électoralistes à court terme et soumis aux diktats d'une bureaucratie bruxelloise grande ouverte aux lobbys de toutes origines.
En France, quelques embûches propres au pays paralysent très efficacement l'action de ses dirigeants : syndicats hautement politisés, juges inquisiteurs, fonctionnaires récalcitrants, écologistes déjantés, islamo-gauchistes virulents, anarchistes décomplexés, médias hostiles, ONG militantes, réseaux sociaux incontrôlés, délinquants incontrôlables, minorités agressives ou victimaires, peuple chroniquement insatisfait…
Une petite « opération spéciale »
Des États-Unis, il n'y a rien à redouter non plus. Depuis l'élection de Joe Biden, ils sont irrémédiablement divisés entre démocrates et républicains, noirs et blancs, activistes et extrémistes de tous bords, avec, en outre, l'attention des diplomates et des militaires focalisée sur la confrontation économique et politique avec la Chine.
Et puis, comment s'attendre à une réaction de l'Union européenne, ce conglomérat de pays aux intérêts divergents comprenant des obligés de la Russie comme le Hongrois Viktor Orban ? Et que craindre à l'époque de l'Otan, qu'Emmanuel Macron décrit comme étant « en état de mort cérébrale », et qui inclut, de surcroît, la Turquie d'Erdogan ?
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Pour tout dire, Poutine ne prend pas vraiment au sérieux ces dirigeants occidentaux pusillanimes qui persistent à vouloir récolter « les dividendes de la paix ». Emmanuel Macron, bien trop humaniste pour comprendre un authentique mafieux, pense comme Chamberlain : « Je veux le traiter en gentleman pour l'obliger à se conduire en gentleman ! »
Vladimir Poutine, bien trop mafieux pour comprendre un véritable humaniste, pense comme Hitler : « Je n'ai face à moi que des nullités ! » Pour le maître du Kremlin, dès lors, tous les signaux sont au vert. En février 2022, le moment est venu de mener une petite « opération spéciale » pour prendre le contrôle de l'Ukraine. Elle ne devrait pas manquer de réussir en quelques jours et sans la moindre opposition – exactement comme l'entrée triomphale en Crimée et dans le Donbass huit ans plus tôt…
Mensonge permanent
C'est pourtant à ce stade que se vérifie très exactement l'avertissement de Winston Churchill : « L'homme d'État qui cède à la fièvre de guerre devient l'esclave d'événements imprévisibles et incontrôlables. […] Un destin malveillant, de vilaines surprises, d'effroyables erreurs de calcul – tous prennent leur place à la direction suprême au lendemain d'une déclaration de guerre. »
En l'occurrence, ce sont bien les erreurs de calcul qui vont provoquer de vilaines surprises. Les services de renseignements russes n'ont pas voulu – ou n'ont pas pu – faire remonter à Moscou les informations selon lesquelles les Ukrainiens, armés et entraînés depuis sept ans par les Occidentaux, ont désormais la possibilité et la volonté de résister.
L'armée russe, gangrenée par la corruption, entravée par des tactiques d'un autre âge, et souffrant d'importantes faiblesses au niveau de l'encadrement comme de la logistique, ne se montre pas à la hauteur d'une mission mal conçue dès l'origine.
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Volodymyr Zelensky, que Poutine tournait en dérision, s'est mué en véritable chef de guerre, dont les discours et les actes galvanisent les Ukrainiens. Ceux-ci ayant eu le courage de faire face, Américains et Européens ne peuvent faire autrement que les assister massivement. L'Otan se renforce au lieu de se désagréger et les sanctions économiques occidentales contre la Russie prennent un tour nettement plus sérieux.
Enfin, le mensonge permanent de type soviétoïde perd graduellement son emprise sur le peuple russe, et la chape de plomb du secret, qui couvrait depuis vingt ans les intrigues, les manœuvres et les crimes, commence à se fissurer.
C'est ainsi que Vladimir Poutine, dernier avatar du communisme, se retrouve dans une situation que ses prédécesseurs rouges avaient toujours cherché à éviter depuis 1945 : l'enlisement dans une guerre ouverte en Europe. Personne ne sait comment s'achèvera l'aventure, mais une chose au moins est sûre : plus d'un siècle après son apparition, au prix d'innombrables mutations, le spectre sanglant du communisme n'a pas fini de hanter le monde…
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