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on dernier héros s'appelait Conus (
Les Sept Vies d'Adrien Conus, Perrin) : né en
Russieavec le siècle, compagnon de la
Libérationtrompe-la-mort parti d'
Afriquenoire, protagoniste de Bir-Hakeim, parachuté dans le Vercors, arrêté, torturé par les Allemands, échappant à son peloton d'exécution avant d'aller combattre dans d'autres maquis, puis en
Allemagne, en Indochine, avant de retourner mourir en 1947 à Bangui. Mais Pierre Servent est aussi un expert militaire très bien renseigné, qui étudie la guerre sous tous ses angles et selon toutes ses variations (
Les Présidents et la Guerre, 50 nuances de guerre).
Il est enfin, et c'est aussi la raison pour laquelle nous l'avons contacté pour l'opération « Gaz en Baltique », un ancien officier des opérations extérieures, spécialiste en explosifs. Il commente pour Le Pointles explosions qui ont occasionné depuis
lundi quatre fuites de méthane dans les gazoducs Nord Stream 1 et 2, qui relient la Russie à l'Allemagne.Le Point : Quelles sont les méthodes pour faire sauter un gazoduc de la Baltique ?
Pierre Servent :Il y en a plusieurs. Nord Stream 1 et 2 sont à cent mètres de profondeur, ce qui est peu, en tout cas bien moins que les câbles transatlantiques qui sont, au-delà du plateau continental, à plusieurs milliers de mètres sous les eaux. Un nageur de combat, bien équipé, peut descendre jusqu'à 80 mètres. Il peut descendre de nuit par un de ces bâtiments commerciaux qui camouflent des navires-espions, beaucoup sont en circulation notamment dans la Baltique. Il reste 20 mètres au nageur de combat qui peut être aidé d'un propulseur et d'un robot qui termine le travail en posant les charges explosives.
Faut-il beaucoup d'explosifs pour arriver à un résultat efficace ?
L'eau, contrairement à ce qu'on affirme, ne nécessite pas de grosses charges, l'eau compresse l'explosion, et sa pression sur l'élément faible, le liquide à l'intérieur, va décupler l'effet destructeur.
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Vous mentionniez plusieurs méthodes. Quelles seraient les autres ?
La deuxième solution consiste à s'élancer depuis des sous-marins, qui ne manquent guère dans la Baltique. Les nageurs de combat sortent par les tubes de torpille, toujours secondés par un robot. Certains sous-marins sont également munis d'un bras articulé qui peut se charger de la tâche. Il n'est pas envisageable que le sous-marin ait pu lancer une torpille contre les gazoducs, celle-ci laisserait des traces, on pourrait donc remonter jusqu'à l'exécutant, les explosifs en revanche n'en laissent guère, l'eau se chargera de dissoudre ce qu'il en reste d'ici le début de l'enquête qui sera compliquée par la présence de gaz. Enfin, on peut se servir aussi de sous-marins à propulsion nucléaire équipés sur leur dos d'un mini-hangar, où l'on trouve un sous-marin de poche occupé par deux nageurs de combat.
Un gazoduc marche selon le même principe qu’une voiture. Si vous tombez en panne d’essence, vous aurez beau verser un bidon, la voiture ne repart pas.
Pourquoi y avait-il encore tant de gaz alors que les livraisons par le gazoduc Nord Stream 1 ont été suspendues en août ?
Un gazoduc marche selon le même principe qu'une voiture. Si vous tombez en panne d'essence, vous aurez beau verser un bidon, la voiture ne repart pas. Pour pouvoir redémarrer un gazoduc, il faut toujours laisser une réserve qui stagne afin qu'il ne soit jamais vide. Mais maintenant, les deux gazoducs sont définitivement inutilisables, car l'eau s'est engouffrée et va tout corroder. Cela représente des milliards d'euros détruits.
Dont une partie financée par la Russie qui avance qu'elle n'avait aucun intérêt à mener une telle opération…
L'Europe ou l'Amérique en avaient-elles aussi intérêt ? Qui peut avoir agi ? On élimine l'Ukraine qui n'a pas de sous-marin, pas d'accès à la Baltique. L'argument visant les Américains qui voudraient accroître ainsi la dépendance des Européens vis-à-vis de leur gaz de schiste ne tient pas. Comme si Nord Stream était une menace pour les États-Unis, comme si l'Europe allait se remettre bientôt entre les mains des Russes. Et la remise en marche de Nord Stream serait très coûteuse.
Il reste donc la Russie…
Je pense, c'est mon interprétation, que c'est une rupture symbolique – on coupe littéralement les ponts – et en même temps un message envoyé à l'Occident : regardez ce qu'on pourrait faire à d'autres gazoducs, en activité eux, qui alimentent l'Europe, comme le gazoduc norvégien. L'hiver arrive… J'ai été surpris, au début du conflit, que la Russie ne recoure pas à ces actions indirectes dont elle est friande : les attaques cyber, comme ce fut le cas avant l'invasion de la Géorgie. Sa méthode est connue : désorganiser cybernétiquement avant d'agir militairement. Si elle ne l'a pas fait en Ukraine, c'est que les Américains, en amont, avaient équipé les Ukrainiens d'importants moyens en contre-cyberattaque. L'autre surprise a été de ne l'avoir pas vue s'en prendre aux câbles Internet transatlantiques.
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Cette rupture de câble n'est-elle pas finalement la première action, même indirecte, dirigée contre l'Occident et donc une montée en gamme dans l'affrontement ?
En effet, c'est pour la première fois une manière de s'en prendre à nous, même symboliquement. Poutine vient d'étendre encore un peu plus le champ de la guerre. Vous nous poussez à bout en soutenant militairement l'Ukraine, voilà ce dont on est capable. On imagine assez bien la réunion au Kremlin avec les services de renseignements, de l'action psychologique, où Poutine, furieux après la défaite de Kharkiv, réclame de nouvelles idées. Depuis fin février, il s'est référé déjà par sept fois à la menace nucléaire : le numéro « retenez-moi ou je fais un malheur » commence à s'éroder. Il faut trouver autre chose. Il y a ses invariants : à chaque fois qu'il connaît un revers, il recourt à des frappes punitives sur un théâtre civil ; à cet égard, il adopte vraiment le comportement du violeur, qui n'arrive pas à violer sa victime, et qui, à défaut, la massacre. Mais il introduit aussi des nouveautés, référendums, rappel des réservistes, rupture de câble…
Restons sur le symbolique : cet épisode intervient au moment où les relations entre la Russie et ses derniers alliés – Inde, Chine, Kazakhstan, Turquie – se tendent…
En effet. On ne peut être que frappé par la froideur de l'accueil reçu à Samarcande. Comme si le cercle se rétrécissait. C'est à son retour qu'il a annoncé les référendums, autrement dit l'annexion des territoires, une manière de fermer la porte à toute sortie diplomatique. Le rappel des réservistes est également une rupture, cette fois du pacte diabolique qu'il a signé avec son peuple à qui il avait fait croire que cette opération spéciale ne les concernait pas. Mais souvenons-nous de ce que disait Custine à propos de la Russie : un pays servile, sans doute, mais un pays à révolution.
Vous évoquiez les câbles Internet transatlantiques. Cela pourrait-il être une de ces nouveautés ? Comment les protéger ?
Couper les câbles Internet pourrait être en effet une autre action indirecte de la Russie. Ils sont immergés bien plus profonds, mais sur le plateau continental, cette profondeur est relative. Comment protéger des milliers de kilomètres ? Impossible. C'est une question sécuritaire qui devrait préoccuper l'Occident, de même que d'éventuels attentats qu'on attribuera à des islamistes.
Consultez notre dossier : Guerre en Ukraine
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