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Il faut dire que cet organe composé de hauts fonctionnaires des principales administrations ainsi que des partenaires sociaux – c'est-à-dire les organisations patronales et syndicales – doit ménager la chèvre et le chou entre les intérêts divergents de ses membres. Il se contente de dresser un panorama assez complet dans lequel chaque camp peut picorer les éléments qui viennent défendre leur thèse.
Des dépenses contenues, mais à un niveau élevé
L'institution braque surtout le projecteur sur l'évolution des dépenses de retraites programmée dans les décennies à venir et jusqu'à 2070, considérée comme « un indicateur déterminant pour évaluer la soutenabilité financière du système de retraite ». Cet indicateur permet au Conseil d'orientation des retraites de critiquer « le bien-fondé des discours qui mettent en avant l'idée d'une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ». On se demande au passage à qui ce message s'adresse, car rares sont ceux qui défendent l'idée que les dépenses seraient « non contrôlées ».
Si le COR peut faire ce constat, c'est que les dépenses de retraites rapportées au PIB vont baisser dans presque toutes les hypothèses d'augmentation de la productivité du travail retenues pour tenter d'évaluer la situation financière du système de retraite dans les décennies à venir. Et ce, malgré le vieillissement de la population, qui va faire se réduire le nombre d'actifs, et donc de cotisants, rapporté au nombre de retraités. En 2070, il ne devrait plus y avoir que 1,2 actif contre 1,7 aujourd'hui et 2,1 en 2000. Rappelons que dans un régime par répartition tel que le système français, les cotisations des actifs du moment financent non pas leur propre retraite, mais celle des pensionnés du moment…
Comment les dépenses de retraites peuvent-elles être amenées à baisser en part du PIB, c'est-à-dire de la richesse annuelle créée ? Grâce aux effets des précédentes réformes, qui ont déjà allongé la durée des carrières et vont encore le faire dans les années à venir avec l'allongement progressif de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite sans décote de 42 à 43 ans. L'âge moyen de départ à la retraite devrait ainsi déjà atteindre près de 64 ans en 2040, même sans le projet d'Emmanuel Macron. La réforme Balladur de 1993, qui a notamment indexé les retraites sur l'inflation, a aussi pour effet de dégrader le taux de remplacement des pensions par rapport aux salaires. Autrement dit : la pension moyenne va se dégrader par rapport au revenu d'activité moyen dans les années à venir. « La pension moyenne continuerait de croître en euros constants, mais moins vite que les revenus d'activité moyens », souligne le Conseil d'orientation des retraites.
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Des hypothèses revues
Après avoir atteint 13,8 % du PIB en 2021 (un niveau déjà élevé en comparaison internationale), les dépenses de retraites françaises reflueraient ainsi à 12,8 % du PIB en 2070, en cas de croissance de 1,3 % de la productivité et jusqu'à 12,1 % avec une croissance de 1,6 %.
Mais après avoir auditionné des économistes, le COR vient de décider de revoir ses hypothèses d'augmentation de la productivité pour mieux coller à la réalité observée ces dernières années. Et avec les scénarios les plus prudents (et les plus proches de la réalité de ces dernières années), la tendance à la baisse des dépenses de retraites est beaucoup moins nette : avec une croissance de 1 % de la productivité, ces dépenses ne reflueraient que lentement pour atteindre 13,7 % en 2070. Une nouvelle hypothèse, plus noire, avec un scénario de croissance de la productivité de 0,7 %, a même fait son apparition. Dans ce cas, la part des dépenses de retraites augmenterait à 14,7 % du PIB, un niveau atteint uniquement en 2020, quand la crise sanitaire avait fait chuter le PIB de près de 8 % ! « La part des dépenses de retraites dans le PIB s'établit, en 2021, à 13,8 %. Elle ne passerait sous ce seuil après 2040 que dans les scénarios de productivité de long terme les plus favorables », a souligné le ministre du Travail, le 19 septembre, dans la présentation qu'il a faite devant les organisations patronales et syndicales.
Il faut aussi souligner que ces projections sur les dépenses de retraites sont moins favorables que ce que montraient les mêmes courbes du Conseil d'orientation des retraites en 2021, puisque ses hypothèses de croissance de la productivité ont été révisées à la baisse pour mieux coller à la réalité. Avec les anciennes hypothèses, la part des dépenses de retraites sur le PIB était comprise entre 11,3 % et 13 % en 2070… Elle s'étale désormais de 12,1 % à 14,7 %… Ce qui n'a rien à voir : plus on consacre de dépenses publiques aux retraites et moins on peut en consacrer à d'autres postes, à dépenses publiques globales constantes par rapport au PIB. Or, la France est déjà championne en matière de dépenses publiques rapportées au PIB…
Les dépenses sont maîtrisées à un niveau supérieur aux ressources qu’on y consacre.Antoine Bozio
À ce stade de la lecture du rapport du Conseil d'orientation des retraites, on peut toutefois se demander pourquoi le président de la République veut encore allonger les carrières, puisque les dépenses sont contenues (quoiqu'à un niveau élevé). Sauf qu'il y a un gros mais. Même si le niveau de vie moyen des retraités est aujourd'hui supérieur à celui de l'ensemble de la population, la baisse programmée des pensions projetée dans les prochaines décennies – non pas en valeur absolue, mais en termes relatifs par rapport au revenu des actifs – est-elle vraiment crédible, surtout quand on connaît le poids politique de cette population très attachée au vote ? Il est peu probable que ceux qui défendent le statu quo laissent faire une telle dégradation de la position relative des futurs retraités, qui sont d'ailleurs les actifs d'aujourd'hui. Les dépenses de retraites devraient alors réaugmenter… Et pas qu'un peu, car l'effet de la désindexation des pensions par rapport aux salaires a eu des effets majeurs pour contribuer à l'équilibre financier du système.
Ce n'est pas le seul problème. Même si les dépenses de retraites sont sous contrôle, cela ne veut pas dire que le système des retraites est à l'équilibre. Comme le rappelle l'économiste spécialiste du sujet Antoine Bozio au Point : « Les dépenses sont maîtrisées à un niveau supérieur aux ressources qu'on y consacre. » Le COR le dit tout de go : « Le système de retraite restera déficitaire en moyenne sur les vingt-cinq prochaines années. » Or, évidemment, c'est l'horizon de temps pour lequel les prévisions sont le plus fiables. « À long terme, nous serons tous morts », comme le disait l'économiste britannique John Maynard Keynes. Pour le Comité de suivi des retraites, ces déficits n'ont rien d'anecdotique.
L'annonce d'un excédent du système de retraite de 900 millions d'euros en 2021 et de plus de 3 milliards en 2022 a brouillé ce message. Est-il pourtant besoin de rappeler que l'année 2020, marquée par la crise du Covid-19, s'est soldée par un déficit de 13 milliards d'euros malgré le versement de 5 milliards du Fonds de réserve des retraites ?
Deux conventions, un problème pour la clarté du débat
L'idée de déficits récurrents a d'autant plus de mal à passer auprès du grand public que le COR continue à simuler, parallèlement aux dépenses, les recettes du système de retraite sur les décennies à venir avec deux « conventions », elles-mêmes couplées aux quatre hypothèses d'évolution de la productivité. En résultent huit projections de solde financier pour les régimes de retraite. Avec, à la clé, des déficits, mais parfois aussi des excédents (à long terme). De quoi brouiller toujours plus le débat public sur l'état financier futur du système de retraite.
« C'est effectivement un problème », considère Antoine Bozio. La première convention a été appelée « convention EPR » (Équilibre permanent des régimes). La seconde convention, beaucoup moins alarmiste, répond au doux nom d'EEC (Effort de l'État constant). Ces deux conventions font des hypothèses différentes quant à la participation de l'État au système de retraite. La convention EPR suppose qu'il continuera, dans les décennies à venir, à appliquer la législation actuelle, déjà favorable au système de retraite puisque l'État équilibre financièrement, par principe, celui de ses fonctionnaires, quelles que soient les circonstances ! Cela aboutit d'ailleurs à ce que sa cotisation dépasse 74 % pour les fonctionnaires d'État et même plus de 125 % pour les militaires. Par comparaison, le taux de cotisation employeur dans le privé atteint… 16,5 %.
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La convention EEC, elle, suppose au contraire que l'État maintiendrait l'effort qu'il consent actuellement en part du PIB, et ce, quelle que soit la situation financière future de ses régimes de retraite ! Cette hypothèse, très favorable pour les recettes du système de retraite et donc pour son équilibre financier, ne fait pas vraiment l'unanimité. « Mon avis, c'est qu'il vaut mieux regarder la convention EPR, qui montre ce qu'il reste de déficit ou non dans les autres régimes, quand l'État équilibre financièrement les régimes de ses fonctionnaires, explique Antoine Bozio. La convention EEC repose sur l'hypothèse que, quand l'État fait des efforts pour réduire le nombre de fonctionnaires et sa masse salariale pour maîtriser les dépenses publiques – ce qui fera baisser, à l'avenir, les dépenses de retraites pour ses fonctionnaires –, il fait des économies qui seront automatiquement transférées vers les autres régimes de retraite. Imaginons que l'État privatise d'un coup toute l'Éducation nationale, on verrait alors apparaître des excédents sur les régimes de retraite dans les décennies à venir qui laisseraient penser qu'on peut baisser l'âge de départ à la retraite de tout le monde ! »
Le COR a inventé l’effort constant de l’État, une hypothèse dans laquelle l’État continue à verser 30 à 35 milliards de cotisations ou de subventions comme aujourd’hui, même s’il n’avait plus de fonctionnaires !Une source au sein de l’exécutif
Dans le camp de l'exécutif, on est beaucoup plus brutal : « J'ai découvert le côté farfelu, créatif et ludique des membres du COR », s'amuse une source au fait du sujet. « Le COR a inventé l'effort constant de l'État, une hypothèse dans laquelle l'État continue à verser 30 à 35 milliards de cotisations ou de subventions comme aujourd'hui, même s'il n'avait plus de fonctionnaires ! La convention EEC, je ne veux plus en entendre parler », tranche-t-elle.
Antoine Bozio relève un autre paradoxe : « Ce sont les mêmes personnes qui disent : “Regardez, il y a des excédents dans la convention EEC avec les hypothèses de croissance les plus fortes” que celles qui disent qu'il va falloir consentir des efforts importants pour la transition climatique, ce qui va avoir un effet négatif sur la croissance. » Le gouvernement n'est pas non plus exempt de contradictions. « Il insiste, souligne Antoine Bozio, sur les hypothèses à faible croissance pour souligner le déficit des retraites tout en défendant le fait que ses politiques permettent d'obtenir des taux de croissance plus élevés et une baisse durable du chômage, hypothèse qui n'est pas reprise dans les projections du COR. »
L’indicateur EPR a l’intérêt de nous alerter d’un problème de sous-financement structurel des régimes ne bénéficiant pas de subventions d’équilibre.(Comité de suivi des retraites)
Le Comité de suivi des retraites, composé de hauts fonctionnaires et spécialistes des retraites, penche plutôt pour retenir la convention EPR, même s'il souligne que les déficits projetés sur les vingt-cinq prochaines années deviennent « substantiels » dans les deux conventions. « L'indicateur EPR a l'intérêt de nous alerter d'un problème de sous-financement structurel des régimes ne bénéficiant pas de subventions d'équilibre, un message important qu'il convient de mettre en avant », écrivait-il ainsi dans son rapport de 2021.
Ce même Comité de suivi des retraites, instance créée sous François Hollande, explique clairement qu'il y a un arbitrage politique à réaliser entre les dépenses consacrées aux retraites et les autres dépenses. « Derrière le choix de mettre en avant l'un ou l'autre de ces deux indicateurs (EPR ou EEC), écrit-il, il y a des visions différentes de ce que peut ou doit être l'effort global en faveur des retraites, qui s'expriment mieux en termes de trajectoire du ratio retraites/PIB. » Privilégier l'indicateur EPR, comme le fait le gouvernement, revient à considérer, soulignent les experts, que le niveau de dépenses atteint par les retraites « est trop élevé et qu'il serait bon que les ressources qu'on pourra libérer au niveau des régimes actuellement subventionnés [des fonctionnaires, NDLR] soient réorientées vers d'autres dépenses ou la stabilisation de l'endettement public global ». C'est exactement les arguments évoqués par Emmanuel Macron quand il dit que réformer les retraites permet d'investir dans la santé, l'école ou la dépendance, tout en maîtrisant la dette publique française !
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L'autre convention revient à considérer qu'on peut financer un niveau de dépenses de retraites plus élevé « sans pénaliser le financement des autres besoins sociaux ». C'est une hypothèse, il faut bien l'avouer, plus qu'incertaine. Surtout quand on voit l'état dans lequel sont tombés de nombreux services publics. Alors, bien sûr, retarder l'âge de départ à la retraite n'est pas la seule voie. On peut aussi augmenter les cotisations, ce qui revient à pénaliser les actifs, qui n'en verront pas la couleur une fois à la retraite, ou baisser les pensions des retraités actuels. Augmenter l'âge de départ aurait l'avantage de faire augmenter le taux d'emploi de séniors, ce qui aurait des effets positifs pour le financement des retraites, mais aussi de l'ensemble des autres systèmes sociaux.
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