La monarchie moderne a toujours été fondée sur l’orchestration de l’émotion. La mise en scène des funérailles de la reine n’a guère dérogé à la règle. La douleur d’une famille et la disparition d’une grande figure nationale ont été hissées au rang de rituel, tout en conservant une réelle simplicité. La gestion des médias a paru sans faille. La famille royale en uniforme, toujours sur le devant de la scène, avait perpétuellement pour toile de fond une foule affligée, souriante, adorante. Heure après heure, une queue interminable se formait : la nation dans le rôle du chœur grec. Le cortège des badauds se dirigeant vers Westminster Hall, avec ses micros-trottoirs incessants, aurait presque pu répéter en vue du spectacle. Et alors même que “le règne” se termine, la continuité a tôt fait de se rappeler à notre bon souvenir, aux cris de “longue vie au roi”.
La fiction d’une souveraine sans pouvoir
Demain, cet opéra sera terminé, et nous nous retrouverons dans la monarchie, comme hier. Nous devrons alors avec T. S. Eliot “regarder ce lieu comme si c’était la première fois”. La popularité de la reine ne faisait aucun doute. Son règne s’achève sur 81 % d’opinions favorables, un chiffre aussi bon que toujours, tandis que le roi Charles III entame le sien sur une cote de popularité impressionnante de 70 %, contre 54 % il y a seulement quelques mois.
L’attrait mondial de la reine était lié à sa longévité et à son statut de “mère de la nation”. Elle a entretenu avec panache la fiction d’une souveraine sans pouvoir, drapée dans tout un cérémonial. Mais c’est surtout sa personnalité qui plaisait. Seule la moitié la plus âgée de la population britannique était attachée à sa fonction. Moins d’un tiers des moins de 30 ans sont favorables à la monarchie. Certains, peut-être une majorité silencieuse, se seront sentis mal à l’aise la semaine dernière face à cette dernière extravagance d’UK & Co, ce dernier épisode d’un feuilleton royal d’un autre âge.
Le règne de Charles risque d’être plus problématique. La famille royale a tout de la famille dysfonctionnelle, l’énorme fortune royale est injustifiable, l’obsession de Charles pour l’armée est d’un autre temps. On a beaucoup mis l’accent la semaine dernière sur l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, et à juste titre. Le Royaume-Uni est pratiquement le seul pays d’Europe encore miné par l’indépendantisme – le fruit du refus de la classe politique londonienne de tolérer des autonomies selon les principes du fédéralisme. Le royaume a perdu l’Irlande sous le règne du grand-père d’Élisabeth II et pourrait bien perdre l’Écosse sous le règne de son fils.
Solliciter l’adhésion totale des citoyens
Ce n’est peut-être pas la faute des Windsor, mais cette réalité soulève bien des questions sur la capacité de la monarchie à être le garant de l’unité nationale. Séparer la fonction de chef d’État de l’exécutif est, dans l’ensemble, un principe constitutionnel solide. Et c’est justement parce que ce n’est pas le cas aux États-Unis que ce pays est au bord de l’implosion. Cette séparation des pouvoirs différencie l’incarnation mystique de la nation du chaos engendré par le débat démocratique. Mais reste à trouver quelle place institutionnelle accorder à ce symbole de la nation.
Les plus grandes puissances mondiales ont certes des présidents élus, mais peu d’entre elles peuvent être considérées comme des démocraties fiables. Alors que la plupart des États les plus progressistes d’Europe, la Scandinavie et les Pays-Bas, s’accommodent très bien de leurs monarques. L’absurdité de la monarchie héréditaire est pour eux une garantie à la fois de la continuité, mais aussi de l’impuissance politique du souverain. Et apparemment, cela fonctionne bien.
Si le Royaume-Uni doit conserver un monarque héréditaire, il faudra une adhésion totale des citoyens. Si les fonctions royales doivent être modernisées, elles doivent l’être par un large consensus démocratique et non relever de la décision du nouveau roi. Charles III devient roi après ce qui est indéniablement un énorme coup de pub pour la monarchie. Ce triomphe restera fragile s’il reste aveugle au besoin de réforme.
Source de l’article
L’indépendance
et la qualité caractérisent ce titre né en 1821, qui compte dans ses
rangs certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. The Guardian est
le journal de référence de l’intelligentsia, des enseignants et des
syndicalistes. Orienté au centre gauche, il se montre très critique
vis-à-vis du gouvernement conservateur.
Contrairement aux autres quotidiens de référence britanniques, le
journal a fait le choix d’un site en accès libre, qu’il partage avec son
édition dominicale, The Observer. Les deux titres de presse
sont passés au format tabloïd en 2018. Cette décision s’inscrivait dans
une logique de réduction des coûts, alors que The Guardian perdait
de l’argent sans cesse depuis vingt ans. Une stratégie payante : en mai
2019, la directrice de la rédaction, Katharine Viner, a annoncé que le
journal était bénéficiaire, une première depuis 1998.
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