Confrontés à un stress hydrique « historique », les exploitants sont contraints de limiter l’irrigation, malgré les risques pour l’avenir de leur activité.
« La situation est extrêmement tendue, et le pire est certainement encore devant nous. » Jean-François Sammarcelli ne le cache pas : ces dernières semaines, il a appris à compter les gouttes. Sur son exploitation de Lama (Haute-Corse), cet éleveur bovin, président de la chambre régionale d'agriculture, n'en finit plus de subir les affres de la météo. Fortes chaleurs, cours d'eau asséchés, végétation en souffrance… Si la France vit l'épisode de sécheresse « le plus grave jamais enregistré dans notre pays », selon le gouvernement, la Corse fait face à une situation « historique ».
Le mot n'est pas trop fort : les deux départements de l'île ont été placés en niveau d'alerte renforcée par les services de l'État. Soit le dernier stade avant le déclenchement du statut de crise. « Si nous continuons à ce rythme de consommation d'eau, compte tenu des évolutions météorologiques attendues, il n'y aura plus d'eau dans 25 jours », a mis en garde le préfet de Haute-Corse, François Ravier, avant de prendre un nouvel arrêté visant à durcir les restrictions d'usage d'eau brute et potable.
En première ligne : les agriculteurs, contraints d'interrompre l'irrigation de leurs terres durant 36 heures, contre 24 heures précédemment, sous peine d'une amende de 1 500 euros. « On va dans le mur, s'alarme Jean-Paul Mancel, président de l'Association pour la promotion et la défense de la clémentine de Corse. L'agrumiculture est l'une des filières qui arrose le plus tard, au moins jusqu'en octobre, s'il ne pleut pas. Beaucoup de producteurs se sont adaptés pour gérer les apports d'eau de manière extrêmement précise. Mais, concrètement, s'il n'y a pas d'eau, nos arbres vont mourir. »
« Une fuite en avant mortifère »
La sécheresse n'est pas seule en cause pour expliquer ce stress hydrique. Depuis plusieurs années, l'île est confrontée à un risque de pénurie d'eau sous le double effet du changement climatique et d'un lourd déficit d'infrastructures. Si la Corse reçoit en moyenne près de 8 milliards de mètres cubes de précipitations chaque année, elle n'en stocke in fine que 100 millions, faute d'ouvrages suffisants pour capter cette ressource abondante. En juillet 2020, l'Assemblée de Corse a adopté un plan d'investissements, chiffré à 600 millions d'euros, censé combler ce « retard historique » par la modernisation des infrastructures existantes et la construction de nouveaux ouvrages. Mais le changement climatique et les besoins du développement agricole se manifestent plus vite que la déclinaison de ce document stratégique imaginée à l'horizon 2050.
À LIRE AUSSIEn Corse, le spectre d'une pénurie d'eau
« Chaque année, environ 80 nouveaux hectares d'agrumes sont plantés en Corse, avance Jean-Paul Mancel. Nous sommes aujourd'hui à plus de 2 000 hectares pour 180 producteurs. Les besoins augmentent en matière d'irrigation, et cela pose un problème de développement agricole. Est-on vraiment en mesure de répondre aux besoins en eau de ces nouvelles exploitations ? » Certains agriculteurs, en tout cas, ont anticipé depuis bien longtemps ce risque de pénurie qui tend désormais à se normaliser dans l'île.
Dans son exploitation de Canale-di-Verde (Haute-Corse), Jacques Filippi a cessé d'arroser ses terres en été depuis trois ans. Il réalise sa récolte de fourrage au printemps. Une adaptation impérieuse pour pouvoir continuer de nourrir ses bêtes. « J'ai anticipé, car le problème est devenu chronique, explique cet éleveur bovin, membre du syndicat agricole Mossa Paisana. Les ressources sont de moins en moins importantes, car le développement ne s'est pas adapté à l'état de nos réserves, et inversement. Cette fuite en avant ne pouvait être que mortifère. »
Des contrôles renforcés sur les exploitations
Alors que certains exploitants ont revu leurs pratiques, en mettant en œuvre des techniques de goutte-à-goutte ou en installant des sondes capacitives pour économiser la ressource, cet état d'esprit n'est pas partagé par tous. Malgré les restrictions, des agriculteurs continuent d'arroser leurs champs pour lutter contre l'épisode de sécheresse et préserver leurs cultures. La préfecture reconnaît d'ailleurs que, si ces mesures ont eu un « effet certain » en termes d'économies d'eau, « nous sommes loin des objectifs escomptés ». Les services de l'État promettent des contrôles « sensiblement renforcés » sur les exploitations. « Si cette crise majeure met des exploitations en péril et le monde végétal sous tension, elle impose aussi le plus grand civisme pour adapter nos comportements et utiliser l'eau avec parcimonie, considère Jean-François Sammarcelli. Faute de solution à court terme, c'est un effort collectif que nous devons réaliser pour passer ce cap difficile. »
En attendant, une partie des Corses s'en remet au ciel pour obtenir une pluie salutaire alors que la sécheresse continue de peser sur les terres. Dans la vallée du Taravo (Corse-du-Sud), trois processions ont eu lieu cette semaine à l'initiative de paroissiens pour renouer avec les rogations et solliciter des averses. Il faut croire que leurs prières ont été exaucées : ces dernières heures, des orages se sont abattus sur l'intérieur de l'île…
Ajouter un pseudo
Vous devez renseigner un pseudo avant de pouvoir commenter un article.
Créer un brouillon
un brouillon est déjà présent dans votre espace commentaire.
Vous ne pouvez en sauvegarder qu'unPour conserver le précédent brouillon, cliquez sur annuler.
Pour sauvegarder le nouveau brouillon, cliquez sur enregistrer
Créer un brouillon
Erreur lors de la sauvegarde du brouillon.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005; je n'ai aucune ambition ni politique ni de notoriété. C'est mon travail de retraité pour la collectivité. Tout lecteur peut commenter sous email google valide. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie.
- Je modère tous les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles.
- Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
- Je n'autorise pas les attaques personnelles. Je considère cependant que ces attaques sont différentes des attaques contre des idées soutenues par des personnes. Si vous souhaitez attaquer des idées, c'est bien, mais vous devez alors fournir des arguments et vous engager dans la discussion.
- Je n'autorise pas les commentaires susceptibles d'être diffamatoires (au mieux que je puisse juger car je ne suis pas juriste) ou qui utilisent un langage excessif qui n'est pas nécessaire pour l'argumentation présentée.
- Veuillez ne pas publier de liens vers des publicités - le commentaire sera simplement supprimé.
- Je suis pour la liberté d'expression, mais il faut être pertinent. La pertinence est mesurée par la façon dont le commentaire s'apparente au sujet du billet auquel le commentaire s'adresse. Si vous voulez juste parler de quelque chose, créez votre propre blog. Mais puisqu'il s'agit de mon blog, je vous invite à partager mon point de vue ou à rebondir sur les points de vue enregistrés par d'autres commentaires. Pour ou contre c'est bien.
- Je considère aussi que la liberté d'expression porte la responsabilité d'être le propriétaire de cette parole.
J'ai noté que ceux qui tombent dans les attaques personnelles (que je supprime) le font de manière anonyme... Ensuite, ils ont l'audace de suggérer que j'exerce la censure.