28/06/2022

«Ingénieurs, mes camarades, la France attend vos solutions, pas vos états d’âme!»

lefigaro.fr par Vincent Le Biez

TRIBUNE - Major de Polytechnique en 2004, Vincent Le Biez jette un regard à la fois malicieux et inquiet sur ses cadets qui, lors des cérémonies de diplômes de leurs grandes écoles, infligent à l’auditoire un sermon contre la formation qu’ils ont reçue.

Vincent Le Biez est l’auteur de «Platon a rendez-vous avec Darwin» (Les Belles Lettres, 2021).

Ce week-end avaient lieu les cérémonies de remise de diplômes de l’École polytechnique. Comme pour d’autres grandes écoles - AgroParisTech, HEC ou Sciences Po -, ces cérémonies ont été l’occasion de discours dénonçant le «système», l’inaction climatique et la croyance que la technique peut résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés (le fameux techno-solutionnisme). Désormais, à chaque remise de diplômes, on assiste à ce type de happening censé éveiller les consciences et montrer que nos jeunes élites ne vont pas tomber dans le panneau d’un système irresponsable et prédateur.

Ces discours ont plongé le boomer que je suis peut-être en train de devenir dans un mélange d’incompréhension et de nostalgie. En effet, il y a maintenant treize ans, j’ai eu à commettre ce type de discours pour ma promotion de Polytechnique. Je me souviens parfaitement des mois qui ont précédé et de l’angoisse liée à l’écriture de ce discours: que dire d’intéressant et de pertinent, alors que je n’ai pas commencé ma vie active? Comment faire passer des messages sans paraître arrogant? Rétrospectivement, je ne sais pas très bien si j’ai réussi l’exercice, que j’avais axé sur ce que nous devions rendre à la nation qui nous avait si bien formés et sur l’obsession qui devait être la nôtre de notre utilité sociale.

Désormais, certains jeunes diplômés des grandes écoles ne semblent pas partager les scrupules qui m’étreignaient. L’heure est au grand déballage des certitudes et des dénonciations du «système», avec un mélange d’idéalisme et d’immodestie assez saisissant. En réaction à l’inaction climatique et aux dérives du capitalisme, mes jeunes camarades accusent en premier lieu les grandes entreprises, coupables de «greenwashing» et d’entretenir cette fuite en avant vers la consommation de toujours plus de produits ou de services. Ils pourfendent la technique qui «ne nous sauvera pas» selon leurs propres termes, un peu comme si des juristes dénonçaient le droit…

À côté du défi climatique, comment se fait-il que le déclassement économique, industriel et technologique de notre pays ne semble pas également être un grave sujet de préoccupation pour ces jeunes élites ?

Sauf que l’on attend moins des jeunes ingénieurs qu’ils fassent «turbuler le système» mais bien qu’ils fassent «turbuler leurs méninges» pour apporter des solutions à la société, basées en particulier sur la technique. Ces solutions concernent bien évidemment le défi climatique, pour lequel il serait tout à fait excessif de décréter que rien n’est actuellement entrepris. Partout, dans les entreprises (petites ou grandes) et dans l’administration, des ingénieurs cherchent des solutions, certes partielles et souvent trop lentes, mais qui permettent de faire avancer la société dans la bonne direction. Loin de tout positivisme, cette contribution ne suffit bien entendu pas, à elle seule, à rendre la société meilleure, mais c’est bien ce qui est attendu de la part des ingénieurs. C’est pour cela qu’ils ont été formés, à grands frais, par la nation.

À la critique du techno-solutionnisme, j’oppose volontiers la critique du mythe idéaliste du «changement de système». Car qui comprend réellement comment fonctionne ce fameux «système» et prétend pouvoir le remodeler en profondeur en ayant une idée claire des conséquences sur la société? Pas moi à leur âge, pas moi non plus aujourd’hui. Tout subordonner à un hypothétique changement de «système», mal défini, c’est prendre le risque de ne rien faire de très utile pour la société pendant sa vie. Les réflexions et les commentaires sur la marche du monde sont certes intéressants, mais ils ne doivent pas empêcher d’agir en trouvant des solutions graduelles et partielles. Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice plutôt que de se rêver en grand architecte.

Par ailleurs, à côté du défi climatique, comment se fait-il que le déclassement économique, industriel et technologique de notre pays ne semble pas également être un grave sujet de préoccupation pour ces jeunes élites? Le sabordage de l’économie française ne permettra pas de résoudre le problème climatique. En renonçant à trouver des solutions techniques, sous des formes très variées, dans le public comme dans le privé, une partie de ces jeunes élites pourra-t-elle se regarder dans la glace et surtout pourra-t-elle regarder le reste de la population dans les yeux? Appartenir à l’élite n’est pas un privilège, c’est avant tout une lourde responsabilité envers nos concitoyens.

Construire de nouvelles centrales nucléaires et accélérer dans le développement des énergies renouvelables, contribuer à la décarbonation de l’aviation et du transport maritime, réussir la délicate transition du véhicule électrique tout en optimisant les mobilités (avec le covoiturage et les transports en commun notamment), conserver une base industrielle et technologique de défense souveraine…: jamais notre pays n’a eu autant besoin d’ingénieurs pour relever ces défis. Si nous ne trouvons pas les solutions adéquates, alors d’autres que nous les trouverons, ce qui nous rendra collectivement dépendants et appauvris.

Camarades ingénieurs, la société a besoin de vous et elle attend vos solutions, pas vos états d’âme!

À VOIR AUSSI - «Nos métiers sont destructeurs»: le discours choc des étudiants d’AgroParisTech durant la cérémonie des diplômes

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