« Demi-secte et double secte ». Toute passion a des raisons objectives. Dans « L'extrême gauche plurielle », Philippe Raynaud en livre quelques-unes. La survivance en France, malgré le collapse communiste, d'un imaginaire social innervé par les thèmes anticapitalistes et antilibéraux. Le refus d'inventaire de l'Union de la gauche après le tournant de la rigueur, en 1983, qui a laissé le champ libre à un bloc d'extrême gauche. Le politologue Stéphane Rozès, ancien de la Ligue, repère une autre affinité élective : « Le trotskisme, qui a récusé la patrie soviétique, est universaliste, transcendant, mené par des élites censées guider les masses, le haut qui fait le bas, c'est très français. » Henri Weber nous livre, lui, une clé frappée au coin du pragmatisme : « Il n'y a pas eu d'Etat trotskiste, à la différence des maos, qui ont eu la Chine, obligés de solder les comptes après la mort du Grand Timonier. » L'illusion prospère sur l'absence de démenti.
Plenel dans le « Rouge »
Ce qu'il y a écrit entre 1969 et 1979
Sur le colonialisme français
« Il impose par la force, par la loi du fusil et du fouet, la nationalité française à 1 500 000 hommes qui, après plus de trois siècles pour certains, vivent sous la botte française. […] Sur le papier, ils ont les mêmes droits, mais la réalité est tout autre. »
Sur les fêtes de « Perse et Police » (1971)
« Tito et Podgorny côtoieront l'ignoble nabot Hailé Sélassié, la vermine raciste Spiro Agnew, le roitelet Hassan. Ils seront cinq mille à s'empiffrer de caviar, recroquevillés sur leur îlot d'or et d'ordures mêlés. »
Sur les attentats de Munich (1972)
« Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre noir. Nous devons défendre inconditionnellement face à la répression les militants de cette organisation […] A Munich, la fin si tragique, selon les philistins de tous poils qui ne disent mot de l'assassinat des militants palestiniens, a été voulue et provoquée par les puissances impérialistes et particulièrement Israël. »
Que pèsent aujourd'hui les trotskistes ? En 2007, leurs deux candidats, Olivier Besancenot pour la LCR et Arlette Laguiller, icône indémodable de Lutte ouvrière (LO), cumulaient 10 % des voix. En 2017, avec Philippe Poutou, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), et Nathalie Arthaud (LO), 1,73 %, « l'essai n'a pas été transformé, nous sommes à 2 000 ou 3 000 adhérents », reconnaît Alain Krivine, 77 ans, fondateur de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) en 1966 et gardien du temple de ce qui est devenu le NPA depuis 2009. Il est loin le temps où le quotidien Rouge organisait son lancement, en 1975, à la grande halle de la Villette avec 50 000 personnes, Jacques Higelin, Guy Bedos, Paco Ibañez en vedettes, sous l'efficace baguette d'un organisateur nommé Edwy Plenel. Aujourd'hui, à Montreuil, des couloirs dépeuplés mènent vers le bureau de Krivine : « Comme on disait jadis, on est isolé, mais on n'est pas seul. » En 2018, on est peut-être anticapitaliste, mais on est aussi individualiste. « C'est devenu dur de militer, on ne croit plus à la lutte, il y a eu trop d'échecs. » L'hémorragie, admet-il, a débuté à la fin des années 1970 : « La révolution n'était plus d'actualité, la social-démocratie attirait tous les fatigués, qui n'y croyaient plus. » S'il avait lu « Rebelle jeunesse » (Robert Laffont)** de son ex-camarade Weber, qui explique les vertus de la social-démocratie, il aurait relevé ceci : « Le trotskisme n'était pas voué à l'extrême marginalité parce qu'il subissait les foudres d'ennemis retors et puissants, mais parce qu'il était faux, théoriquement et politiquement. » Chaque année, cependant, Weber organise dans son appartement parisien une fête des anciens : « On ne parle pas politique, on ne veut pas s'engueuler », raconte Krivine, qui n'a pas ouvert non plus « Le social au cœur » (L'Archipel)***, épais comme un… pavé, que Filoche lui a envoyé. « Filoche, quoi qu'il dise, n'a jamais pesé sur le PS. Et Weber… quel échec. » Lancé sur les anciens, Krivine aligne : « Julien Dray ? Un suppôt de Hollande qui ne représente plus rien. Ils nous disent qu'on a échoué, mais eux… » Serait-ce là encore le culte glorieux de la défaite si chère aux trotskistes, dont le leader termina sous les coups de piolet d'un sbire de Staline ? Krivine réserve ses plus beaux traits à Mélenchon, entaché du péché indélébile d'avoir appartenu à l'un des deux rivaux trotskistes de la JCR avec LO, les lambertistes de l'OCI. « Si nous, nous étions une demi-secte, alors l'OCI, c'était une double secte. A Lutte ouvrière, ils ressemblaient à des moines clandestins, mais ils avaient souvent raison. L'OCI était sectaire et opportuniste, prête à filer vers l'Union de la gauche. Mélenchon, qui dort avec le portrait de Mitterrand, a gardé un côté "lamberto". Regardez comme il donne des baffes aux micros. Les lambertistes avaient la haine des micros, mais ils en avaient besoin. Lui non plus, il ne peut pas s'en passer pour répéter : quand je serai président ! »
Avec chauffeur. Nous voilà repartis dans les guerres picrocholines. Quand les maos ânonnaient, le petit doigt sur le col, les pensées fleuries du génial Timonier, les zélateurs trotskistes se déchiraient autour du cadavre du Père absent. Ainsi les lambertistes ne donnaient-ils pas des baffes qu'aux micros : demandez à Michel Field. « Pas les couilles ! Lâchez-moi les couilles ! » avait-il hurlé un jour de 1973, alors qu'avec le secteur jeunesse de la Ligue il s'était retrouvé happé au bas-ventre par des lambertistes devant l'amphi 34 B de Jussieu. Scène drolatique racontée dans « Eléments incontrôlés » par Stéphane Osmont, ancien jeune de la LCR. Plus diserts que leurs vieux ennemis, les ex-dirigeants de la JCR ne tarissent pas d'anecdotes sur les « lambertos » cow-boys un peu machos, vêtus « comme des cadres ou des flics », auprès de qui ils faisaient un peu beatniks. Témoin Henri Weber, qui raconte avoir été convoqué à Orléans au congrès de l'Unef de 1970 par un des dirigeants de l'OCI, Charles Berg (alias Jacques Kirsner, producteur d'un téléfilm sur le général Leclerc scénarisé par Nicolas Sarkozy) : « Déjeunons à mon hôtel, mon chauffeur viendra te chercher, tu peux emmener ton garde du corps. » Berg avait 23 ans, précise Weber, l'hôtel était très huppé, il a proposé cigare et cognac, et son chauffeur était un ancien para de l'armée israélienne. En 1986, près de 400 lambertistes de l'OCI passeront au PS, derrière Cambadélis, alimentant le fantasme de l'entrisme.
Les trotskistes ne seraient-ils donc plus dans le trotskisme ? « Ils ne disparaissent pas, ils se dispersent, analyse Weber. Inaptes à l'unité, ils ont un don pour la scissiparité. » On songe à cette blague des seventies : « Un trotskiste, une association, deux trotskistes, une scission, trois trotskistes, une internationale ! » Mais trotskiste un jour, trotskiste toujours ? Weber fronce les sourcils : « Je vous vois venir. Les francs-maçons de gauche ? Certes, ils ont su grimper dans les appareils, Unef, FO pour les lambertistes, CFDT pour la LCR, dans les fédérations, mais il n'y a pas plus de complot trotskiste que de… il hésite, que la main de ma sœur dans la culotte d'un zouave. » Tous s'accordent cependant à reconnaître que l'exercice a été profitable. Un cursus digne des meilleures écoles : sympathisant, militant stagiaire, militant votant. « Au début, se souvient Paul Moreira, journaliste d'investigation à Canal +, il y avait une période d'observation. Pour savoir si on n'était pas là juste pour le fun, si c'était sérieux. » La Ligue, temple de l'avant-garde et de l'exégèse, n'aimait pas les cancres. « Je cherchais des gens éclairés capables de briller dans les syndicats », confirme Filoche, jadis responsable de la formation. « Quand on devenait sympathisant dans les cercles rouges, il fallait préparer des exposés. Il existait un culte du livre », raconte Stéphane Osmont. « C'était des premiers de la classe qui s'enfermaient pour écrire des papiers brillants », décrit Moreira. « On s'empaillait sur le programme de transition du Front populaire. On prenait la parole vingt-cinq minutes, le contraire d'aujourd'hui. Un truc de maboul. »
Barres de fer et pseudos. On rêve alors que cette agitation durera toute la vie et que cette vie sera plutôt sympa. « C'était beaucoup plus que sympa, corrige Pierre Raiman, créateur de Ouï FM dans les années 1980, ancien pilier de Montparnasse Multimédia. Si je n'avais pas été à la Ligue, j'aurais été un petit con. C'était une façon de grandir autrement, par l'action, la politique, dans un lieu de discussions ouvert sur de nombreuses causes. » A la différence de LO ou de l'OCI, la Ligue, dite mouvementiste, a en effet accueilli des défenseurs des droits des femmes, des homosexuels, des prisonniers, de l'antipsychiatrie… Même son de cloche chez Stéphane Rozès. « On passait notre temps en polémique, en argumentation. Très formateur. »« On ne prenait pas le pouvoir, on prenait la parole, puis on vidait les cendriers et on partait », confirme Moreira. Un bon moyen dès l'âge de 13 ans de tromper l'ennui de l'adolescence, de « passer notre énervement sur le compte de l'engagement », analyse Stéphane Osmont : « Si mes parents me demandaient quelque chose, je répondais que j'avais la révolution à faire. » Lors des stages d'été de la LCR, à Bièvres, à Bruguières, les topos sur les révolutions perdues alternaient avec les questions pièges sur le recours à la torture. « Des questions à la rouennaise », précise Filoche, rouennais d'origine. Et gare à celui qui déviait de la ligne. Mais la tête n'excluait pas les jambes ni les parties de jambes en l'air, car l'éducation excédait le politique puisque tout était politique. A l'exposé sur la révolution chinoise pouvait succéder un interrogatoire musclé, avec garde à vue simulée, lampe dans la tronche et baffe à l'occasion. « Ne le faites pas pour moi, ne le faites pas pour vous, faites-le pour Che », lâchait Plenel à ses ouailles dans les randonnées en forêt pour les encourager, selon son biographe Laurent Huberson. Aujourd'hui, les anciens membres du Service d'ordre (SO) regardent d'un œil goguenard les roulements de mécanique des black blocks. Casque, lunettes de chantier, barre de fer et cocktail Molotov formaient leur ordinaire. « La barre Jussieu », précise Pierre Raiman, qui fut chef de groupe au SO. Une barre aux pieds noirs, très longue, épaisse, la Rolls de la barre, livrée dans des sacs militaires de marin. Et puis il y avait les pseudos, symboles d'une vie parallèle, témoins d'une clandestinité héritée de Trotski. Pour Plenel, ce nouveau nom, Krasny - rouge et beau, en russe -, avait « une dimension messianique ». Les prononcer réveille les mémoires. Pierre Raiman avait choisi Tyzka, en hommage à Leo Joguiches, l'amant polonais de Rosa Luxembourg.
Mais comment sortir de ce rêve insurrectionnel, parfois romantique, parfois sans limites, vécu dans le tumulte intense de la jeunesse ? En 1973, la Ligue, dissoute après l'ultraviolence de la manifestation antifasciste de la Mutualité du 21 juin, s'est écharpée sur le thème : plus ou moins de violence ? Pueblo armado ou pueblo unido ? On choisit l'unité plutôt que les armes. Déception pour Moreira : « Tu rêves d'un peu d'action et tu te dis qu'il n'y a que des premiers de la classe. » Mais le renversement d'Allende au Chili cette même année, la déception de la révolution des Œillets au Portugal, la défaite inattendue du PCI en Italie, les impasses terroristes en RFA, tous ces échecs clôturent la « décennie prodigieuse ». L'usure aussi. Les meetings barbants à la Mutualité, ça va bien un temps. Certains, comme Moreira, préfèrent sécher pour un concert des Clash : « Je me suis fait engueuler à ma réunion de cellule. Je me suis dit : je ne suis pas révolutionnaire pour me faire engueuler. » En 1981, la victoire de la gauche, prévisible depuis son Union, sonne le glas. « Le 10 mai, Paul Quilès nous a demandé de faire le SO à la Bastille, mais on n'y croyait pas. On n'a pas parlé », rappelle Krivine. « Le slogan, rectifie Stéphane Rozès, c'était : Mitterrand va trahir. On se dit qu'on sera influents, que les masses vont nous reconnaître. Mitterrand a trahi, mais où sont les masses ? Elles ne nous ont pas reconnus. »
« Trop de trotskistes au PS ! » On se voyait tous les jours et voilà qu'on se retrouve orphelins. Beaucoup dépriment, ruminent, dérivent. Certains se suicident. Chacun négocie avec ses fantômes ou ses remords. Un examen de minuit. « Le trotskisme était la chapelle d'une Eglise qui cherchait le salut terrestre », analyse Weber, qui ajoute : « Nous sommes tous des curés défroqués. » Moreira file la métaphore de l'addiction : « Nous sommes des junkies de l'Histoire. » Il leur faut des drogues de substitution. Certains partent dans l'ouvriérisme. D'autres, comme Pierre Raiman ou Julien Dray, se réinvestissent dans SOS Racisme, né en 1984. L'Etat fut clément envers les « beaux parleurs » devenus professeurs ou les défenseurs des ouvriers reconvertis en inspecteurs du travail. Alors que les maoïstes, si l'on en croit Jean Birnbaum (« Les maoccidents »), virent en néoconservateurs, beaucoup de trotskistes rallient la social-démocratie.
La scène se passe au congrès national du PS à Liévin, fin 1994. Sous l'égide de Gérard Filoche, 150 trotskistes viennent de passer de la LCR au PS, où Dominique Strauss-Kahn fait grise mine : « Le PS va vraiment mal, il y a trop de trotskistes ! » lâche-t-il en privé. « J'ai foncé voir DSK, qui s'est excusé, se souvient Filoche, puis on s'est mis à compter les anciens trotskistes membres des instances. Sur 70, on est arrivé à 35. C'est vrai qu'il y en avait beaucoup. » Henri Weber, ex-sénateur socialiste et fidèle fabiusien, à qui nous rapportons la confidence, joue des sourcils : « Filoche… Filoche a toujours été minoritaire », écrit cet ex-dirigeant de la T2 (tendance majoritaire) dans ses souvenirs qu'il n'a pas envoyés à son ancien camarade de la T1 (minoritaire), lequel lui a pourtant adressé ses propres Mémoires sans obtenir de réponse. Un point commun réunit leurs deux récits trotskistes : ils annoncent un second tome consacré à leurs années… socialistes. « Mitterrand avait tout compris des trotskistes », se souvient Weber. Quand on lui parlait d'entrisme au PS, quand on lui balançait que Jospin avait été lambertiste, il répondait : « Les trotskistes ont l'avantage d'être bien organisés, structurés intellectuellement et de savoir cogner sur le PC. » Un sens de l'organisation qui leur venait justement d'un PC aux myriades de structures, dont le chaudron de l'Union des étudiants communistes, à laquelle les Krivine, Weber, Bensaïd avaient appartenu avant de faire sécession en 1966. Weber poursuit : « Le plus entriste n'est pas celui qu'on croit, disait Mitterrand. Ils viennent pour convertir les socialistes ? Donnez-leur une élection à gagner, ils verront la différence entre ce qu'ils pensent et ce que pensent les gens. » Moralité, conclut Weber, les trotskistes font d'excellents sociaux-démocrates. Filoche n'a pas oublié la phrase d'Henri Emmanuelli, premier secrétaire : « Bienvenue avec vos petits défauts - sous-entendu, vous avez été trotskistes - et vos grandes qualités - vous êtes d'excellents militants. » Des « petits défauts » dont certains ne se vantaient pas. Lors d'un débat sur la chaîne parlementaire LCP, Filoche est pris à partie par Daniel Vaillant, alors ministre de l'Intérieur, étonné par ses positions : « Quand on est un ancien trotskiste comme vous… » Filoche pose son bras sur le troisième invité, Pierre Moscovici : « Mais je ne suis pas le seul ici. » Yeux écarquillés de Vaillant. Rougeur de Moscovici, qui revoit défiler ses années Ligue au lycée Condorcet. Le trotskisme mène à tout, y compris à la Commission européenne. Revenons à la scène de Liévin. Dans son tour d'horizon, Filoche désigne à DSK l'un de ses plus proches collaborateurs : « Non, pas lui, je le saurais », répond DSK. « Si, si », insiste Filoche, formateur à la Ligue, qui a vu passer plus d'un impétrant. L'individu désigné avait pour nom Philippe Grangeon, devenu plus tard directeur de communication de Capgemini avant d'être le conseiller dans l'ombre d'Emmanuel Macron auprès de qui, dès 2015, il a prôné la rupture politique par une ouverture à la société civile.
« Trotskisme culturel ». Conseiller en stratégie, en communication : la reconversion est fréquente. En 1979, Denis Pingaud, alias Séraphin Lumignon, quitte la LCR et la revue Rouge, pour entrer au cabinet de Laurent Fabius où travaille son camarade Henri Weber, avant d'être le directeur de com de Médecins sans frontières. Une autre façon d'œuvrer au service de l'internationalisme. Passé conseiller de José Bové, il laboure les terres de l'altermondialisme, domaine où l'idéologie trotskiste anticapitaliste a trouvé à se recycler, comme le prouve le parcours de Christophe Aguiton, fondateur du mouvement Attac. Comme dans les fugues de Bach, la vie offre des boucles inattendues : voilà Pingaud obligé, en 2015, face aux syndicats de Radio France, de justifier ses émoluments de conseiller en communication d'un patron dans la tourmente, Mathieu Gallet. A cette affinité pour le conseil en stratégie ou l'analyse d'opinions - Stéphane Rozès fut le directeur général de la Sofres et Pingaud a dirigé OpinionWay - un ancien trouve une explication : « Dans les AG, on apprenait à analyser le rapport de forces, la manière d'infléchir un auditoire. Oui, on avait le sens de la ligne de force. »
Dans cette ombre préférée à la lumière, leurs conseils valent désormais de l'or. Autre zone discrète mais de confort : les médias. Au sens large. Leur culture historique a pu les emmener vers le cinéma engagé, comme Romain Goupil, ou la production de documentaires. Deux parmi les plus remarquables, Michel Rotman et Jean Labib, ont été des membres de la première heure. On pourrait multiplier les exemples : Hervé Chabalier, ex-membre du Service d'ordre, fondateur de Capa en 1989, agence qui avait accueilli un cadet de la Ligue, Paul Moreira, lequel était passé par la revue Politis, où officiait Jean-Paul Besset, ex-pilier de Rouge.
« Pourquoi beaucoup ont fini là-dedans ? s'interroge Moreira. Parce qu'ils étaient jadis dans l'exégèse. On est indécrottables. On aimait décrypter, décortiquer. »« Le journalisme, c'est une forme de militantisme, une façon de réformer la société au jour le jour, une forme d'engagement », a déclaré l'ancien apparatchik Edwy Plenel, toujours partant, selon Alain Krivine, pour participer aux universités d'été du NPA. « Il y a deux ans, il devait parler vingt minutes, il est resté deux heures. Il a de beaux restes. » Pour expliquer sa défense tous azimuts de l'islam, son biographe Laurent Huberson avance l'argument de l'internationalisme : « N'oublions pas qu'il est entré dans le trotskisme par Guevara. » On retrouve la même continuité entre ses violentes critiques d'Israël, son soutien inconditionnel à la cause palestinienne, exprimés jadis dans Rouge, et ses positions actuelles. « Se défaire sans se déprendre », écrivait Plenel, qui revendique « un trotskisme culturel ». Derrière cette expression se cache ce qu'Huberson nomme « une philosophie du soupçon » héritée du marxisme : il existe une collusion entre l'Etat et toutes les élites. Pour « réformer la société », il faut dévoiler cette face cachée du monde§
* « Edwy Plenel », de Laurent Huberson (Plon, 432 p., 19,90 €).
** « Rebelle jeunesse », d'Henri Weber (Robert Laffont, 288 p., 19 €).
*** « Le social au cœur. Mai 68 vivant », de Gérard Filoche (L'Archipel, 480 p., 22 €).
« Rouge »
Pour contourner l’interdiction dont ils font l’objet en juin 1968, les trotskistes ont une brillante idée : créer une revue diffusée par des cercles rouges, qui assurent de facto l’existence de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Devenue un quotidien, elle tente dans son antre du 10, impasse Guéménée, à Paris, d’amorcer le virage sociétal que les maos viennent de réussir en lançant Libération. Certaines lignes n’étonnent guère : critiques du PC, des impérialismes tous azimuts, attaques contre Mao, éreintement du fascisme policier et militaire en France, de la collusion patronat-pouvoir, soutien aux mouvements anti-impériaux – en Asie du Sud-Est comme en Amérique latine –, indépendantistes basques et corses compris. Mais Rouge se révèle progressiste sur des sujets sociaux, relus avec les lunettes anti-impérialistes : défense des droits des appelés, des femmes, des immigrés… On trouve même, dès 1975, un long article très documenté sur le scandale de l’amiante à Jussieu. En 1979, après la défaite de la gauche aux élections, la décrue s’amorce, provoquant de nombreux départs, dont celui de Plenel. La revue, redevenue hebdomadaire, ne doit plus être que l’organe de la LCR. Elle cesse d’exister en 2009§ F.-G. L.
LCR (Ligue communiste)
A l’origine, la Jeunesse communiste révolutionnaire est un mouvement étudiant lancé en 1966 à partir d’une scission de l’Union des étudiants communistes (UEC). Congrès fondateur en 1967 à la salle des Horticulteurs, rue de Grenelle, où sera aussi fondé le Front national, en 1972.
Principaux dirigeants : Alain Krivine, Henri Weber. Devient en 1969, après sa dissolution en 1968, la Ligue communiste, puis, en 1974, la Ligue communiste révolutionnaire. Rebaptisée Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en 2009, avec Olivier Besancenot.
LO (Lutte ouvrière)
Née en 1939 d’un groupuscule entré en résistance, nommé le groupe Barta. Le mouvement a d’abord existé sous le nom de Voix ouvrière, son bulletin distribué aux ouvriers, avant de militer à partir de 1968 autour de la revue Lutte ouvrière. Si Arlette Laguiller en a longtemps été la figure de proue, ses véritables dirigeants, demeurant dans l’ombre, en ont été Pierre Bois (1922-2002) et Robert Barcia (1928-2009). Sa dirigeante actuelle est Nathalie Arthaud.
OCI (Organisation communiste internationaliste)
Née en 1965 d'une scission avec le PCI, section française de la IVe Internationale.
Fondateur : Pierre Lambert (1920-2008), exclu des Jeunesses socialistes en 1936, lorsque les premiers trotskistes français font sécession d'avec la SFIO, d'où le nom parfois donné de « lambertistes ».
Principaux dirigeants (avec Lambert) : Stéphane Just, Charles Berg.
Membres éminents : Lionel Jospin, Jean-Christophe Cambadélis.
Entrisme : Force ouvrière et le Parti socialiste (1982).
Renommée PCI en 1982. Ce dernier s'est dissous dans le Parti ouvrier indépendant (POI) de Daniel Gluckstein, ancien de la Jeunesse communiste révolutionnaire.
Quand Jospin s’appelait « Michel »
« Je n’ai (…) à formuler ni regrets ni excuses » : voilà comment Lionel Jospin, alors Premier ministre, répondit à l’Assemblée nationale aux révélations sur son passé trotskiste en juin 2001. Repéré à l’Ena par Boris Fraenkel en 1965, « Michel » avait appartenu à la tendance lambertiste de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) avant de suivre la stratégie entriste au PS dès 1971 et de garder longtemps des contacts avec ses camarades.
Laurent SOLA/GAMMA – dr (x2) – ina (x4) – Rue des Archives/AGIP (x2) – Gamma-Rapho via Getty Images – collection personnelle/DR – AFP – Jacques Willemont/Viméo – SIPA
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