lepoint.fr par Claire Meynial Pour s'abriter du soleil sans pitié, Jesse Ortiz, 50 ans, s'est réfugié sous un arbre avec sa fille. Il contemple, depuis le jardinet devant sa maison, la folie médiatique, les drapeaux en berne, le ballet de la police. Ortiz vit en face de l'école primaire Robb Elementary, dans ce quartier aux maisons proprettes, de classe moyenne, d'Uvalde, au Texas. Mardi, il déjeunait avec sa femme quand il a entendu les coups de feu. « Quelques minutes plus tard, j'ai vu des policiers se ruer dans l'école. C'était très triste. J'ai compris ce qui se passait. Pour que la police aille dans une école comme ça… Je priais : “Mon Dieu, faites qu'aucun de ces enfants ne soit blessé”. Mais malheureusement, c'est ce qui est arrivé… » Un jeune homme de 18 ans a tué 21 personnes, dont 19 enfants. La nièce d'Ortiz, 10 ans, est morte, sa petite-fille en a réchappé. Lorsqu'elle passe le week-end chez lui, elle y dort le dimanche soir et il traverse la rue le lundi matin, pour l'emmener à l'école. Lui-même y a été scolarisé enfant, tout comme son fils de 17 ans et sa fille de 15 ans. Il hoche la tête : « Jamais de la vie je n'aurais imaginé une chose pareille. »
Uvalde est une petite ville agricole, de 15 000 habitants, « la serre de la région ». Depuis
San Antonio, la route est bordée de champs de coton, maïs, oignons, cacahuètes, pastèques, pommes de terre, melons. Ils sont entrecoupés de bannières pointant vers des magasins d'armes et de munitions, qui ont leur surnom familier :
ammos(
ammunitions). Deux jours après la tuerie, des familles en tee-shirt bordeaux, la couleur de l'école, apportent des fleurs et des peluches pour un mémorial. Dolores Balderas, 36 ans, sanglote : « Ça fait mal, de savoir que ça s'est passé ici, jamais on n'aurait pensé, dans une petite ville… Dans une grande ville comme New York, peut-être… mais ici ? Ma fille ne veut plus aller à l'école, elle a peur. Dès qu'on rentre chez nous, on ferme à clé. » Pourtant, rares sont ceux qui remettent en cause la culture des armes, puissante au Texas.
À LIRE AUSSIFusillade au Texas : 19 enfants tués, un macabre record
« J'ai vu deux parents avec des fusils à pompe »
Quand on lui demande comment éviter ces tragédies, Jesse Ortiz n'hésite pas : « Ceux qui sont en première ligne pour défendre les enfants, ce sont les professeurs. Il faut les former au maniement des armes. On est au Texas, tout le monde en a. Imaginez, s'ils avaient eu une arme de poing. » Il estime que l'on perd un temps précieux à attendre la police. Il pense aussi que savoir que les professeurs sont armés serait dissuasif. « Je n'aurais pas envie de me battre avec quelqu'un d'armé… mais bon, il y a des fous qui ne comprennent pas ça », admet-il en tapotant sa tempe avec son index. Il grimace quand on lui demande si le tueur n'a pas eu un accès trop facile aux armes. « Vous savez, c'est une de ces questions… Je crois à mes droits et au 2e amendement. On a le droit d'avoir des armes. Mais peut-être qu'il faudrait un petit peu plus d'évaluation psychologique ? »
La solution à la violence armée, pour beaucoup de Texans, c'est… plus d'armes. En tout cas, pas moins. « C'est la campagne, c'est le Texas, vous savez, reprend Ortiz. Je ne sais pas, on a été élevés comme ça. J'ai appris à tirer quand j'avais 8 ans. Mon père était policier, c'est lui qui me l'a enseigné. Avec mes frères, on a appris comment être responsable d'une arme, la nettoyer. Mais j'imagine que mon père, qui avait du bon sens, s'il avait vu qu'un de ses fils ne tournait pas rond, il aurait dit : “On ne va pas lui donner accès aux armes.” Les parents de ce gamin, s'ils ont vu qu'il avait des crises, ils n'auraient pas dû le laisser en acheter. »
Mardi, il s'est préparé : « Je me tenais sur le pas de ma porte, armé. J'ai vu des parents se précipiter à l'école pour prendre leurs enfants, avec leurs armes. Mais ils ne les ont pas utilisées. La police ne les a pas laissés entrer. Je comprends, il y avait un risque. Mais ils voulaient entrer. J'ai vu deux parents avec des fusils à pompe. » Il faut imaginer la scène : les coups de feu, les cris, les parents fous d'inquiétude, leur enfant dans les bras, certains, une arme à la main.
Mes enfants savent charger mon arme, mettre et ôter la sécurité, tout ça. Mais je ne crois pas que les gamins devraient pouvoir acheter une arme aussi jeunes.
Patricia Chapa, 43 ans, a aussi failli intervenir. Mardi, son frère, policier, et sa sœur, professeure, se trouvaient dans l'école. « Mais je ne vais pas juste y aller et ouvrir le feu, on ne peut pas faire ça, il y a des civils autour. Donc j'ai pris mon arme au cas où le tueur s'échapperait et reviendrait par ici… je l'aurais utilisée s'il avait fallu. » Elle en parle avec fierté : « Je sais l'utiliser, vous voyez ce que je veux dire ? J'ai travaillé en prison et comme fonctionnaire du comté. J'en ai ici, pour protéger ma famille. » Elle la prend dès qu'elle emmène ses fils en voiture. Elle a montré aux trois, âgés de 11, 16 et 20 ans, comment la manier. « Ils savent la charger, mettre et ôter la sécurité, tout ça. Mais je ne crois pas que les gamins devraient pouvoir acheter une arme aussi jeunes. » Elle souligne l'absurdité : « L'âge minimum, c'est 18 ans pour acheter une arme, mais 21 ans pour boire ! » Chapa désapprouve l'assouplissement de la loi, passé le 1er septembre 2021, qui permet de porter une arme sans permis. Mais elle est, comme Jesse Ortiz, membre de la NRA, la National Rifle Association, et insiste : elle tient aux armes. Le problème, pour ces habitants, est l'insuffisance des contrôles ou l'âge du tueur. Pas les armes elles-mêmes.
À LIRE AUSSIContrôle des armes aux États-Unis : le verrou de la NRA
Ces idées sont exprimées par Don McLaughlin, le maire d'Uvalde. Il les a soutenues sur Fox News. « Tout le monde dit tout de suite : “On veut le contrôle des armes. On veut sanctionner le lobby des armes. On veut sanctionner ci et ça…” Mais vous savez quoi ? Pourquoi les politiciens ne se bougent pas les fesses, qu'on parle de santé mentale et qu'on fasse quelque chose. » McLaughlin a été élu en 2014, 2016, 2018, puis en 2020 pour 4 ans. Sur Fox News, il dénonce également l'immigration illégale (la frontière est à 40 km), un discours que l'on entend souvent chez les habitants, pourtant hispaniques à 83,5 %.
Des prières et des prières
Le soir, lors d'une veillée religieuse, les familles terrassées par la douleur pleurent, se soutiennent, s'embrassent. À la sortie, Veronica Garcia, 42 ans, mère de famille, se tient avec son mari, son fils et sa fille adolescents. « Uvalde est une petite communauté, on se connaît tous. On connaît les parents des enfants qui ont été tués. Mes enfants sont dans le même district scolaire. Mon fils est au lycée, ils y ont été enfermés parce qu'on pensait qu'il y aurait une deuxième attaque et j'ai eu tellement peur », raconte-t-elle, la voix brisée. « J'ai imploré Dieu. J'ai envoyé des messages à mes enfants, pour leur dire que je les aimais très fort. Grâce à Dieu ils sont là, mais mon cœur saigne pour ces enfants qui ne sont pas rentrés, et pour leurs parents. Hier, j'ai passé la journée totalement déprimée, on n'est pas sortis, on s'est unis à leur douleur. »
Sa belle-sœur a perdu deux nièces, de 9 et 10 ans. Veronica Garcia est aussi l'une des rares à exprimer une opinion discordante. Sa voix se raffermit, elle inclut, dans ses phrases en espagnol, l'expression omniprésente aux États-Unis, le background check, le contrôle des antécédents, comme une confirmation de cette triste exception américaine : « Je fais partie de ceux qui sont contre les armes. Je pense qu'on aurait pu éviter ça si on n'avait pas vendu ces armes à ce jeune. Je veux plus de contrôle et moins d'armes. Aucun enfant ne devrait avoir accès à une arme. Ceux qui en ont chez eux doivent les mettre sous clé. Ce qui s'est passé est abominable, cela va marquer Uvalde pour toujours. On en parlera comme de la tragédie d'Uvalde. » Pourtant, même elle, modère son opposition : « Ça ne devrait pas être possible, qu'un jeune de 18 ans achète une arme. Mais peut-être qu'à 21 ans, avec un contrôle des antécédents judiciaires et de la santé mentale… »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ce blog est ouvert à la contradiction par la voie de commentaires. Je tiens ce blog depuis fin 2005; je n'ai aucune ambition ni politique ni de notoriété. C'est mon travail de retraité pour la collectivité. Tout lecteur peut commenter sous email google valide. Tout peut être écrit mais dans le respect de la liberté de penser de chacun et la courtoisie.
- Je modère tous les commentaires pour éviter le spam et d'autres entrées malheureuses possibles.
- Cela peut prendre un certain temps avant que votre commentaire n'apparaisse, surtout si je suis en déplacement.
- Je n'autorise pas les attaques personnelles. Je considère cependant que ces attaques sont différentes des attaques contre des idées soutenues par des personnes. Si vous souhaitez attaquer des idées, c'est bien, mais vous devez alors fournir des arguments et vous engager dans la discussion.
- Je n'autorise pas les commentaires susceptibles d'être diffamatoires (au mieux que je puisse juger car je ne suis pas juriste) ou qui utilisent un langage excessif qui n'est pas nécessaire pour l'argumentation présentée.
- Veuillez ne pas publier de liens vers des publicités - le commentaire sera simplement supprimé.
- Je suis pour la liberté d'expression, mais il faut être pertinent. La pertinence est mesurée par la façon dont le commentaire s'apparente au sujet du billet auquel le commentaire s'adresse. Si vous voulez juste parler de quelque chose, créez votre propre blog. Mais puisqu'il s'agit de mon blog, je vous invite à partager mon point de vue ou à rebondir sur les points de vue enregistrés par d'autres commentaires. Pour ou contre c'est bien.
- Je considère aussi que la liberté d'expression porte la responsabilité d'être le propriétaire de cette parole.
J'ai noté que ceux qui tombent dans les attaques personnelles (que je supprime) le font de manière anonyme... Ensuite, ils ont l'audace de suggérer que j'exerce la censure.