C’est le thème qu’aborde Étienne Klein dans la passionnante conférence qu’il vient de donner devant les membres de l’Institut Diderot (You Tube accessible ici: «La vulgarisation scientifique est-elle un échec?»). Et le physicien n’y va pas par quatre chemins: «Que ce soit sur le nucléaire, le climat, la vaccination, les OGM, la théorie de l’évolution, la science devient l’otage de la postvérité et de la désinformation. “Imaginez-vous que, depuis des siècles, tout le monde vous ment en affirmant que la terre est ronde, en réalité elle est plate!”: cette conviction est partagée par de plus en plus de personnes dans le monde, dopées par les complotistes sur les réseaux sociaux.»
J’ajouterai que les sciences dures ne sont pas les seules victimes de ce fléau si l’on songe aux mensonges qui envahissent l’espace public en matière d’économie ou de géopolitique pendant les campagnes électorales et les guerres au point que, parfois, on se sent littéralement cerné par des fake news qui l’emportent sur les vérités de simple bon sens. Comment expliquer cette emprise des rumeurs les plus absurdes dans un monde où, pourtant, l’éducation est devenue obligatoire et où les sources d’information et l’accès aux livres n’ont jamais été aussi aisés dans toute l’histoire humaine?
La thèse de Klein est double: du côté du public, ce désastre s’explique par la tendance qu’ont les algorithmes des réseaux à enfermer les individus dans leurs préjugés, mais aussi par une conception relativiste et néolibérale de l’esprit critique selon laquelle il n’existe aucune vérité absolument certaine ; du côté des scientifiques, il vient d’une propension à confondre science et recherche: la science, c’est ce qu’on sait, la recherche, ce qu’on ne sait pas encore, ce qui peut donc donner lieu à désaccords, les experts étant hélas aussi sujets à erreur et fausseté que le commun des mortels quand ils sortent de leur domaine de compétence. Étienne Klein veut continuer à croire aux bienfaits de la vulgarisation dans le combat pour la vérité
Je suis comme lui convaincu que ce sont eux qui font le plus de dégâts quand ils se mettent à déraper. Ce sont les oppositions, parfois haineuses, entre les médecins sur les plateaux de télévision qui ont accentué le doute sur les bienfaits des vaccins ou la nécessité de mesures sanitaires ; ce sont des scientifiques qui ont le plus égaré l’opinion sur le climat: on cite à juste titre le cas de certains membres de l’Académie des sciences, mais si, en face d’eux, je veux dire du côté des experts en écologie, les mensonges n’étaient pas eux aussi gros que des brochets, les opinions publiques seraient sans doute moins égarées. Souvenons-nous des invraisemblables prédictions de Paul Ehrlich, professeur réputé et directeur de recherches dans une des universités les plus prestigieuses des États-Unis, qui annonçait dans un livre vendu à plusieurs millions d’exemplaires qu’en «1980, l’espérance de vie des Américains ne dépasserai pas 42 ans à cause des pesticides et du DDT»!
Souvenons-nous aussi de ces pseudo-spécialistes qui prétendaient, comme François Heisbourg, qu’il existait des armes de destruction massives en Irak, refusant par la suite de reconnaître leurs erreurs, comme on le voit dans cette sidérante interview publiée dans Libération en juillet 2003. Question: «Avez-vous le sentiment de vous être trompé sur la nature de la menace irakienne?» Réponse de Heisbourg: «Je suis sans état d’âme, sur le fond mon sentiment n’a pas changé: l’Irak avait bien des armes de destruction massive.» Question: «Pourtant, personne ne les a découvertes…» Réponse: «En tout état de cause, ces armes ont existé!» Ben voyons! La vérité, c’est que, à part dans la tête de Bush, de Blair et des porte-flingue atlantistes qui leur servaient la soupe, elles n’ont jamais existé!
J’eus l’honneur d’être membre d’un gouvernement, aux côtés de Dominique de Villepin et sous l’égide de Jacques Chirac, qui dut résister à ces carabistouilles. Elles divisaient la droite et auraient pu, si nous les avions écoutées, nous entraîner dans une guerre désastreuse qui aurait fini par provoquer la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes. Le poisson pourrit par la tête, ce qui pose la question de la responsabilité de ceux qui ont une parole publique, mais qui s’en servent pour propager leurs mensonges sous couvert d’«expertise». Klein veut continuer à croire aux bienfaits de la vulgarisation dans le combat pour la vérité. Il a bien raison, mais il faut aussi prendre conscience qu’à l’heure des réseaux sociaux, du primat des lobbies et des intérêts particuliers, la tâche s’annonce de plus en plus rude.
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