Après la dissolution de l'URSS, le pouvoir cherche une nouvelle légitimité nationale, les dirigeants de l'Église veulent effacer leur passé et refonder l'alliance du trône et de l'autel, le peuple cherche une voie de salut : la rencontre se fait très naturellement sous les ors des cathédrales et aux sons cosmiques de la Divine Liturgie. Aux yeux d'une classe politique aussi incompétente que corrompue, sous la direction de l'incontrôlable président Boris Eltsine, la foi orthodoxe devient la seule idéologie de substitution d'un pays décommunisé, où 25 millions de Russes sont passés du jour au lendemain sous de nouvelles citoyennetés.
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En prenant Kirill (Cyrille) pour nom de baptême, puis en se faisant élire patriarche de Moscou en 2009, le prélat fait peau neuve en donnant à sa charge une tonalité résolument politique. Il accède à la dignité suprême d'une Église qui vient de changer de dimension sous l'impulsion de son prédécesseur Alexis II, certes plus affable, mais tout autant affilié au KGB.
Points communs avec Poutine
Le patriarche Kirill est le prélat idéal tant il a de points communs avec
Vladimir Poutine. Non seulement il est né comme lui à Leningrad (Saint-Pétersbourg) et il provient du KGB, mais il aime le ski, qu'il pratique volontiers avec le président en dévalant les pentes neigeuses autour de Sotchi. Il ne boude pas les avantages matériels et les belles demeures, comme celle qui a été construite pour lui, sur les bords du lac Ladoga, près de la résidence de luxe de Poutine.
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Kirill possède aussi un chalet en
Suisse, où il aime skier, dans le canton de Zurich. Pour finir, il a acquis une fortune personnelle à la faveur d'une libéralité offerte à l'Église, au début des années 2000, par le gouvernement russe qui entendait soutenir l'
Irakfrappé par les
États-Unis, en envoyant dans ce pays des vivres, des médicaments, mais aussi du tabac. Le patriarcat fut autorisé à prélever une dîme sur les ventes de cigarettes, or Kirill était chargé des relations extérieures.
Le 6 mars 2022, dimanche de l'exil adamique (« dimanche du pardon » dans l'orthodoxie), deux semaines après le début de la guerre contre l'Ukraine, le patriarche Kirill a soudain justifié, exalté, tout son parcours d'apparatchik déguisé. Loin de toute compassion, revêtu des vêtements sacerdotaux les plus somptueux, il a sans doute atteint le point paroxystique de l'alliance entre le pouvoir et une prélature qui a perdu de vue tout le sens du dénuement ardemment prêché par l'orthodoxie. Avec des accents apocalyptiques, Kirill a prononcé une homélie stupéfiante.
Nous sommes engagés dans une lutte qui n’a pas une signification physique mais métaphysiqueLe patriarche Kirill
« Depuis huit ans, il y a eu des tentatives pour détruire ce qui existe dans le Donbass. Et dans ce Donbass, il y a le rejet, un rejet fondamental des prétendues valeurs qui sont proposées aujourd'hui par ceux qui revendiquent le pouvoir mondial. Il existe aujourd'hui un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce “monde heureux”, le monde de la consommation excessive, le monde de la “liberté” apparente. Savez-vous ce qu'est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant – il s'agit d'une parade de la gay pride. » Sa conclusion se passe de commentaires : « Nous sommes engagés dans une lutte qui n'a pas une signification physique mais métaphysique. » Qu'en pensent les parents qui perdent leurs enfants sous les bombes russes ?
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En 2019, après la reconnaissance de l'autocéphalie de l'Église orthodoxe d'Ukraine – patriarcat de Kiev par le patriarche œcuménique de Constantinople, le patriarcat de Moscou avait déjà perdu des centaines de milliers de fidèles ukrainiens. En 2022, par un mélange scabreux de compromission, d'affairisme, de conservatisme et de nationalisme, Kirill, dont de nombreuses paroisses refusent de réciter le nom pendant la liturgie, vient de consacrer le recul sans précédent de l'Église russe sur la terre même où elle est née.
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