En déployant son armée dans un État souverain pour l’assujettir, le président russe, Vladimir Poutine, a fait éclater l’ordre sécuritaire qui prévalait en Europe depuis la fin de la guerre froide. Personne ne sait ce qui le remplacera.

La promesse faite par trois présidents américains consécutifs – s’extraire des engagements internationaux pour se concentrer sur la concurrence avec la Chine – est à nouveau mise à mal. Les dépenses militaires vont probablement augmenter en Occident. La mondialisation économique va essuyer un revers.

Et dans le paysage politique américain, les fissures latentes qui séparent les internationalistes et les néoisolationnistes se font plus visibles, notamment au sein du Parti républicain.

Effet domino

Ce ne sont là que des exemples de l’effet domino. Tout comme les attentats du 11 septembre 2001, l’éclatement de ce qui pourrait bien être la plus grande guerre terrestre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale est un tel choc que certaines de ses répercussions sont impossibles à prédire ; certaines de ses conséquences vont surgir sans prévenir pendant des années.

Deux d’entre elles semblent néanmoins déjà évidentes. D’une part, Vladimir Poutine vient de donner un coup d’accélérateur spectaculaire à sa tentative de reconquête d’une partie de l’influence et des territoires qui appartenaient autrefois à l’Union soviétique, ou qu’elle contrôlait de facto – une promesse de longue date du président russe.

À lui seul, ce projet entraînera des répercussions psychologiques sur plus d’une douzaine de pays répartis dans toute l’Europe post-soviétique. Les gouvernements polonais, lituanien, letton et estonien redouteront d’être les prochains sur la liste des États voisins à déstabiliser.

Regain de fermeté à l’Otan

D’autre part, cette attaque a galvanisé et ravivé l’unité des alliances occidentales, en particulier celle de l’Otan. Cette unité devra désormais résister aux tensions et aux pressions des semaines et des mois à venir.

Si les Occidentaux parviennent à maintenir ce regain de fermeté, l’expérience ukrainienne pourrait virer à l’erreur stratégique monumentale pour Vladimir Poutine, assurent de hauts responsables américains. C’est en Allemagne que la force et la pérennité de la cohésion occidentale seront soumises à plus rude épreuve, car Berlin a parfois manifesté une certaine ambivalence dans ses face-à-face avec Poutine.

Pourtant, un nouvel élément est apparu ces dernières semaines, de nature à entraîner l’Allemagne hors de l’orbite russe : les exportations de gaz liquéfié américain ont commencé à compenser la baisse des exportations russes, ce qui laisse augurer une nouvelle donne énergétique parmi les alliés européens.

Le rapprochement sino-russe

L’une des questions essentielles est de savoir si les sanctions économiques prises actuellement contre la Russie en vue de l’isoler vont sensiblement la rapprocher de la Chine. Voilà deux pays qui ont en commun une volonté de se défendre contre les pressions économiques que peuvent exercer les États-Unis, qui restent le pôle le plus puissant de l’économie internationale sous sa forme actuelle.

L’aide la plus immédiate que la Chine peut apporter à la Russie est simplement d’alléger les effets des sanctions imposées à Moscou, qui devraient désormais s’étendre et s’intensifier.

Plus généralement, la Chine et la Russie ont intérêt à travailler conjointement à la mise en place d’une sorte de système financier international parallèle, séparé de celui qui existe actuellement, dominé par le dollar et les États-Unis. Rêver d’un tel projet et le réaliser sont deux choses très différentes, mais ce rêve pourrait sembler aujourd’hui moins hors de portée.

Cela étant, la Chine a d’autres intérêts dans sa relation avec les États-Unis et n’a apparemment pas l’intention de rompre ses liens avec Washington, ce qui pourrait limiter la coopération sino-russe. Ces intérêts contradictoires pourraient expliquer la réaction embarrassée qui a été celle de Pékin jusqu’à présent : la Chine s’est gardée de soutenir l’initiative de Moscou, mais elle a parlé vaguement de respecter les “préoccupations légitimes en matière de sécurité des pays concernés”.

Des répercussions jusqu’à Téhéran

Plus loin, les grondements en provenance d’Ukraine pourraient avoir des répercussions sur des sujets apparemment sans lien, tels que les efforts du gouvernement américain pour conclure un nouvel accord avec Téhéran sur son programme nucléaire. Si certains approvisionnements d’énergie russes se tarissent, un accord permettant d’ouvrir un peu plus grand les robinets du pétrole iranien pourrait être le bienvenu. Les négociateurs, qui semblaient déjà plus optimistes, peuvent profiter de cette nouvelle dynamique.

À l’inverse, certains responsables redoutent que la Corée du Nord ne tente de profiter de la situation en Ukraine pour renforcer son propre arsenal nucléaire et ses tests de missiles.

Les États-Unis affaiblis ?

Les effets de la crise se font ressentir aussi bien aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde. La guerre en Ukraine relance un débat houleux opposant d’un côté ceux qui prônent un rôle actif des États-Unis sur la scène internationale – et qui craignent que les États-Unis ne soient irrémédiablement affaiblis s’ils laissent des dictateurs imposer leur volonté par la force – et de l’autre, ceux qui estiment que les États-Unis devraient se dégager de leurs responsabilités internationales pour se concentrer sur les problèmes intérieurs.

C’est le clivage classique de la classe politique américaine, que résumait également Donald Trump avec son slogan “L’Amérique d’abord”. Aujourd’hui, cette position est surtout défendue par J.D. Vance, candidat de la droite dure au poste de sénateur de l’Ohio, qui a récemment déclaré : “Le conflit frontalier entre la Russie et l’Ukraine n’avait rien à voir avec notre sécurité nationale.” Et, a-t-il ajouté, “nos imbéciles de dirigeants” se laissent distraire des problèmes intérieurs.

Ce qui lui a valu la réponse immédiate d’une de ses rivales républicaines, Jane Timken [également candidate à la primaire républicaine pour le poste de sénateur de l’Ohio], qui se présente elle aussi comme une partisane de Donald Trump et a posté sur Twitter que les Américains “cro[yaient] en la force de leurs dirigeants, et non à l’indifférence”.