Sur fond de Brexit, de tensions avec les pêcheurs français sur les licences qu’ils n’ont pas obtenues et de crise migratoire qui s’intensifie dans la Manche, la relation diplomatique franco-britannique s’envenime.
La ministre britannique de l’Intérieur britannique a même été exclue d’une réunion européenne sur le sujet des migrations qui doit se tenir dimanche à Calais. Pour mieux cerner les causes et les potentielles conséquences d’une telle escalade, Claude-France Arnould, spécialiste des questions européennes et ancienne ambassadrice de France en Belgique (elle est actuellement conseillère de Thomas Gomart, le président de l’Institut français des relations internationales, Ifri) répond aux questions du HuffPost.
Après le drame survenu dans la Manche, Boris Johnson estime que c’est à la France de reprendre sur son sol tous les migrants. Est-ce une proposition sérieuse ou réaliste?
Les migrants de Calais veulent aller au Royaume-Uni, désespérément, et sont aux mains des mafias qui organisent ce trafic d’êtres humains, ils ne veulent pas rester en France. Quand on a démantelé la jungle de Calais, on a constaté que les gens ne voulaient pas être installés en France. Ils voulaient aller au Royaume-Uni. Ce sont “leurs” candidats à l’immigration.
La France laisse-t-elle passer volontairement ces migrants vers le sol britannique comme le sous-entendent certains journaux anglais?
Je ne crois pas. Il y a un vrai professionnalisme des policiers et des autorités concernées. On ne laisserait pas volontairement partir les gens dans des embarcations comme ça, ce ne sont pas nos méthodes et nos valeurs. C’est très difficile de débusquer les manœuvres des passeurs qui cachent ces départs.
Faut-il alors réviser les accords du Touquet qui fixent la frontière en France en échange d’argent britannique?
Quand des accords ne sont plus efficaces face à une situation donnée, il est normal de les réexaminer, mais sereinement et techniquement. Le président Macron l’a d’ailleurs mentionné quand il était ministre.
Expliquer que, sur tous les sujets, depuis le Brexit, c’est la faute des Français est évidemment considéré côté français comme inacceptable.
Plus largement, comment expliquer que le ton monte entre Emmanuel Macron et Boris Johnson ne cesse de monter?
Le ton monte alors que les sujets sont très graves, très sérieux, très difficiles. Celui des migrants particulièrement, mais il y a dans le même temps plusieurs autres sujets à régler comme la pêche ou la question de la libre circulation des marchandises à la frontière avec l’Irlande.
Plus les sujets sont graves, importants et nombreux, plus la méthode compte. Le tweet de Boris Johnson, l’exagération, le manque de sérieux ou l’invective ne sont pas adaptés. Expliquer que, sur tous les sujets, depuis le Brexit, c’est la faute des Français est évidemment considéré comme inacceptable côté français. Ce sont de mauvaises manières qui ne sont pas faites pour régler les problèmes, mais pour parler à une certaine presse locale.
Comment régler ces problèmes?
Certains peuvent se régler de manière bilatérale entre la France et la Grande-Bretagne, d’autres sont du ressort de l’Union européenne. Or, pour pouvoir régler ces problèmes, il faut le vouloir. Les Britanniques ne jouent pas le jeu de la négociation, de la discussion ou du travail technique. Emmanuel Macron a déploré ces méthodes alors que justement ce travail technique en profondeur et dans l’ombre se passait bien.
Pourquoi Boris Johnson joue-t-il cette carte-là? Est-il acculé?
Il est dans une situation difficile, il fait ça depuis le début du Brexit, c’est un style. Comme s’il n’assumait pas les conséquences. Les Britanniques n’ont pas souhaité par exemple qu’il y ait une union douanière entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne, ils en paient le prix aujourd’hui. Le problème, c’est qu’il reste bien d’autres sujets qui ne sont pas fixés dans l’accord du Brexit: dans les domaines financiers, de la défense, spatial, sur le climat ou encore les conflits régionaux à nos frontières. Et où nous avons des intérêts à agir ensemble.
Ça peut se calmer?
Ça aurait dû se calmer depuis longtemps, mais la situation est difficile et côté britannique et le “blame game”, le jeu où on blâme le voisin, assorti de “french bashing” est un exercice traditionnel.
Le Brexit s’est fait sur la base de promesses mensongères dont on paie aujourd’hui les conséquences.
Quel est le rôle de l’Union européenne? Est-elle assez présente?
On
a déjà eu une crise sur les migrations il y a quelques années, qui nous
a amenés à trouver des réponses immédiates et à chercher à améliorer
les dispositifs là où elles étaient insuffisantes. Nous sommes
confrontés aujourd’hui à des situations d’origines différentes. Pour le
moment, on a eu une réponse européenne qui a eu des effets sur la
question de la Biélorussie. L’UE a notamment montré qu’elle pouvait
traiter avec les pays d’origine pour arrêter le flux quand c’est
instrumentalisé comme cela était le cas. Et qu’elle a des moyens de
pression pour dissuader de poursuivre ces manœuvres. Sur la situation
dans la Manche, une réunion est prévue avec nos partenaires européens et
la Commission dimanche, dont les Britanniques se sont exclus par leur
attitude. Ce
chantier sera à poursuivre, notamment sous la présidence française.
Gabriel Attal se demande si Boris Johnson ne regrette pas d’être sorti de l’UE, partagez-vous son avis?
Je
ne fais pas de psychologie, mais on ne peut que constater les faits.
Boris Johnson est face au fossé entre les promesses qu’il a faites dont
il savait pertinemment qu’elles ne seraient pas réalisées -en assurant
par exemple qu’en sortant de l’UE, la Grande-Bretagne ferait des
économies extraordinaires, c’est évidemment faux- et la situation
réelle, prévisible, dans l’après-Brexit. Tout le Brexit s’est fait sur
la base de promesses mensongères dont on paie aujourd’hui les
conséquences. Et le Covid n’a rien arrangé aux difficultés déjà
présentes.
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