Les constats sont d’autant plus glaçants que la méthodologie utilisée, recourant aux techniques des sciences humaines, est objective et difficilement contestable : traitement de 6 471 témoignages ; étude socioanthropologique des victimes et des auteurs d’agressions sexuelles ; réalisation de plus de 200 auditions ; analyse systématique des archives. Depuis 1950, 216 000 mineurs ont été abusés par des membres du clergé, 330 000 si l’on ajoute les violences perpétrées par des laïques. Le nombre de prêtres auteurs d’agressions sexuelles serait compris entre 2 900 et 3 200, 34 % des agressions étant le fait de laïques. Ces données ne prennent pas en compte les abus commis sur des majeurs, notamment des religieuses ou des séminaristes victimes d’un engagement d’obéissance détourné en emprise. Ces violences de masse auraient culminé de 1950 à 1970, avant de refluer jusqu’en 1990 et de se stabiliser depuis.
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La conclusion est nette. l’Église catholique est, en dehors de la famille, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée (1,16 % des 5,4 millions de mineurs agressés depuis 1950, contre 3,7 % par un membre de leur famille, mais largement devant les colonies de vacances [0,36 %], l’école publique [0,34 %], les clubs de sport [0,28 %], les activités artistiques [0,17 %]). La pédophilie dans l’Église ne renvoie donc pas à des dérives personnelles mais constitue un fléau systémique. La faillite est celle d’une institution qui n’a ni voulu ni su prévenir, reconnaître et traiter le mal. Une institution qui a choisi de se protéger et de cacher les agresseurs plutôt que secourir les victimes. Une institution dont l’enfermement durant des décennies dans le déni, le mensonge et le silence, peut seul expliquer cette épidémie extravagante de violences.
Cette réalité appelle une thérapie de choc. La commission recommande ainsi que l’Église reconnaisse sa responsabilité dans les violences, même prescrites, et indemnise les victimes sur une base individuelle et non pas forfaitaire, grâce à un fonds abondé par le patrimoine des agresseurs et de l’Église, sans appel aux dons des fidèles ou à la solidarité nationale. Au risque d’outrepasser son mandat, la commission demande aussi des réformes fondamentales de l’Église : l’introduction du pluralisme et le renforcement du rôle des laïques, notamment des femmes, pour lutter contre la concentration excessive des pouvoirs entre les mains de l’évêque ; la levée du secret de la confession pour les violences sexuelles sur mineurs ; le renforcement de la formation et de l’évaluation des religieux ; la mise en place d’une véritable politique de prévention à travers l’aménagement des lieux de vie, le suivi des activités et la participation régulière des religieux aux cellules d’écoute locales.
La conclusion est nette. l’Église catholique est, en dehors de la famille, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée.
Le grand mérite de la commission est d’avoir fait œuvre de vérité, en démontrant que l’Église n’est pas moins touchée par la pédophilie en France qu’aux États-Unis, en Irlande, en Allemagne ou en Australie. Mais elle place l’Église de France dans une situation intenable. Face à la révélation de l’immensité des crimes, cette dernière n’a d’autre choix qu'accepter en bloc conclusions et recommandations. En témoigne la tempête médiatique et politique déclenchée par Mgr de Moulins-Beaufort quand il a tenté maladroitement de justifier le caractère absolu et inviolable du secret de la confession au nom de la supériorité des lois de Dieu sur celles de la République. Mais on peut douter de la capacité de l’Église de France, compte tenu de la précarité de ses finances, à indemniser intégralement quelque 330 000 victimes et leurs ayants droit. Nombre de diocèses auront pour seul choix la faillite ou le renoncement à l’indemnisation. Et nombre de victimes se sentiront une nouvelle fois trahies et meurtries.
Tout comme le conseil d’État a cédé à la tentation du gouvernement des juges, la commission présidée par Jean-Marc Sauvé a succombé à une forme de démesure en se saisissant du scandale de la pédophilie pour élaborer un vaste programme de réforme de l’Église. Pour autant, les dysfonctionnements qu’elle pointe et les questions qu’elle pose sont bien réels et ses propositions viennent combler le vide créé par la cécité et le silence de l’Église.
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Il ne peut être question de mettre l’Église ou son clergé sous la tutelle des États ou de prétendre leur appliquer les principes qui régissent la décision publique ou les mœurs de la société civile. Par ailleurs, l’Église est universelle mais aussi très diverse, ce qui complique les réformes. Ses fidèles se trouvent majoritairement dans les pays du Sud où domine le conservatisme du dogme, à l’exception de l’Amérique latine. Au Nord, et notamment en Europe, beaucoup de catholiques ont le sentiment de se trouver assiégés et mis en accusation par des sociétés sécularisées, ce qui les conduit à se replier et réagir de manière quasi sectaire. Les communautés charismatiques sont les plus dynamiques mais présentent aussi le plus de situations d’emprise et de risques d’abus.
Pour autant, le statu quo est impossible. L’Église doit utiliser le Synode ouvert par le pape François, le 10 octobre, pour se transformer, dans quatre domaines au moins. La gouvernance avec un besoin de contre-pouvoir, qu’il s’agisse des évêques ou des responsables de communautés, et de décentralisation avec un rôle accru des laïques et en tout premier lieu des femmes. Le tabou qui continue à entourer la sexualité et qui creuse un fossé entre l’Église et ses fidèles. L’évaluation des vocations, la formation et le suivi des religieux. Enfin, le rapport entre la « cité de Dieu » et la cité des hommes qui impose une révision profonde du droit canon.
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Il est grand temps de cesser d'envisager l’Église pour l’Église pour la repenser et l’organiser autour de Dieu et des fidèles. Le
pape François en a visiblement conscience. Comment pourrait-il en effet défendre la fraternité des hommes, les biens communs de l’humanité, l’engagement auprès des plus pauvres, le refus de la violence, tout en acceptant que l’Église continue à utiliser son autorité et ses pouvoirs pour abuser les plus vulnérables des vulnérables, à savoir les enfants ? Du reste, l’enjeu de cet aggiornamento dépasse l’Église. Le destin du XXI
esiècle, confronté au retour en force de la religion, y compris dans sa version la plus fanatique et violente, dépendra en effet largement de la réussite ou de l’échec de la réconciliation de la foi avec la raison et la liberté.
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