Ce qui l’y a poussé ? Un « cas de conscience », explique-t-il. La superpuissance émergente lui apparaît être devenue en quelques années un monstre, aux « pratiques épouvantables et choquantes ». S’il admire toujours autant sa civilisation, sa langue, son peuple, son histoire, celui qui enfant rêvait naïvement aux figures héroïques du Parti communiste chinois est aujourd’hui terrifié par les « témoignages bouleversants » des Ouïgours et d’autres minorités sur « l’enfer qu’ils ont vécu dans les camps d’internement ». Un choc qui l’a poussé à dresser l’état des lieux de la dérive du régime de Xi Jinping, en matière de droits de l’homme d’abord, mais aussi dans ses relations internationales plus troublées que jamais, par la multiplication des scandales diplomatiques, des affaires d’espionnage et des disputes explosives à ses frontières. À tel point que même les plus prudents des observateurs, comme Pierre-Antoine Donnet, s’inquiètent désormais des risques de guerre.
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Le Point : Vous avez travaillé pour l’Agence France-Presse (AFP), bastion d’un journalisme objectif. Pourtant, votre livre prend parti et dénonce le danger posé aujourd’hui par la République populaire de Chine. Pourquoi ce parti pris ?
Pierre-Antoine Donnet : Je dois d’abord prévenir que j’assume l’entière responsabilité de ce que j’ai écrit. J’ai été 37 ans à l’AFP, c’était ma deuxième famille, mais elle n’est en rien responsable de mes propos. J’ai toutefois conservé cette règle d’or de la maison : des faits, rien que des faits. Toutes les informations de mon livre sont sourcées, avec des liens URL pour aller les vérifier. Nous, les journalistes, nous sommes des vigies. Quand il y a un danger, nous sonnons l’alerte. Or le Parti communiste chinois est devenu un vrai danger. Il entend dicter sa loi partout.
Vous avez été correspondant en Chine à la veille de Tian'anmen. Était-ce si différent ?
J’étais correspondant entre 1984 et 1989, et la surveillance était effectivement déjà totale, de jour comme de nuit. On ouvrait mon courrier et on écoutait mes conversations téléphoniques. Il fallait veiller à ne pas mettre en danger mes contacts. J’avais une moto avec un side-car, une copie chinoise de BMW. Avec mon casque intégral, je pouvais aller partout sans être remarqué. En effet, à cette époque, les motos appartenant à des étrangers portaient une plaque bleue chinoise qui permettait d’échapper à la surveillance, à la différence des plaques noires des voitures possédées par des étrangers qui permettaient de les reconnaître immédiatement. C’est devenu encore plus dur aujourd’hui. Les correspondants étrangers sont suivis partout grâce à la surveillance électronique, et on ne leur octroie des visas que de très courte durée, parfois d’un seul mois à chaque fois. Cela oblige à une autocensure, pour être renouvelé. Ce chantage est épouvantable.
Xi Jinping a commis des fautes graves. Il a été personnellement l’architecte de la politique de répression contre les ouïgours.
En outre, la Chine est désormais complètement isolée. Xi Jinping a commis des fautes graves. Il a été personnellement l’architecte de la politique de répression contre les ouïgours. Comme l’a révélé le New York Times, il existe des témoignages et des documents du PCC qui montrent que c’est lui directement qui a pris les décisions. Or, la communauté internationale commence à s’interroger quant à savoir si oui ou non le traitement des Ouïgours constitue une forme de génocide. Quant à Taïwan, Xi Jinping a lui-même fermé la porte à une unification pacifique. En mettant fin à l’autonomie et aux libertés politiques de Hongkong, pourtant garanties par la Chine lors de la rétrocession en 1997 sous souveraineté chinoise, et en y imposant l’année dernière la loi sur la sécurité nationale, il a trahi les engagements de Deng Xiaoping et de la République populaire de Chine. Plus personne à Taïwan ne fera confiance à des promesses chinoises. La réunification est massivement rejetée. Cela ne laisse plus que l’option d’une annexion par la force.
En l’absence d’extermination de masse, la tragédie des Ouïgours peut-elle justifier une rupture avec la Chine ? Y a-t-il oui ou non un génocide ?
Savoir s’il y a génocide ou non est une question très grave. Il existe des définitions de droit international, inscrites dans la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Or la Chine coche toutes les cases, que ce soit par la pratique de stérilisations forcées, ou d’une assimilation violente, avec la volonté de détruire l’identité ouïgoure. Ce qu’on a oublié, c’est que la Chine a toujours fait pareil, auparavant avec les Tibétains, et avant cela encore avec les Mandchous. Il n’y a ainsi aujourd’hui plus aucun locuteur de la langue mandchoue.
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Si vous êtes « amoureux de la Chine », pourquoi ne pas l’accepter telle qu’elle est ?
Ce n’est pas aimer la Chine que d’être dans le déni. Adolescent, j’avais dans ma chambre un poster de Zhou Enlai, le Premier ministre de Mao. Je n’ai jamais été séduit par le maoïsme, mais comme beaucoup de jeunes de ma génération, j’ai cru voir dans le communisme chinois la promesse d’un homme nouveau qui allait éclairer le monde. Tout cela était faux. La Chine était ravagée par des famines provoquant des millions de morts et des milliers d’intellectuels ont été lynchés lors de la Révolution culturelle. Or en Occident, les pseudo-sinologues de l’époque encensaient Mao et ont préféré attaquer Simon Leys quand il a osé le dénoncer dans Les Habits neufs du président Mao. Leys connaissait et aimait beaucoup plus la Chine que ceux qui idolâtraient Mao.
Ce n’est pas aimer la Chine que d’être dans le déni.
Que pourrait faire la Chine pour changer ?
Cela ne pourra changer qu’après un départ ou la fin de Xi Jinping. Mais je crois que la Chine pourra sans doute un jour adopter le multipartisme, une justice indépendante, une presse libre et la liberté de parole. Tout cela permettrait au génie chinois de s’exprimer et de nous apporter à tous beaucoup de choses. Or nous, plus que jamais, nous avons besoin de ce génie chinois dont a fait preuve la Chine au cours de plusieurs millénaires, alors que l’Europe connaissait à l’époque disettes et épidémies. Ce génie chinois nous est indispensable face aux graves questions auxquelles le monde fait face aujourd’hui.
Ne pourrait-on argumenter au contraire que le génie chinois est aujourd’hui incarné par la puissance de la Chine de Xi Jinping ?
Ses références à l’héritage chinois sont purement superficielles. En réalité, le pouvoir actuel en Chine ne s’inspire pas de Confucius, mais d’un courant, les légistes, qui, tel Han Fei Zi, s’opposaient à Confucius et sa théorie de l’harmonie, en exigeant au contraire un gouvernement absolutiste, qui commande par la loi. Concrètement, c’est régner par la terreur et faire taire toute dissidence. Mais on voit bien les limites de ce système, par exemple quand ils veulent relancer la croissance démographique en lançant une politique des trois enfants par couple. En vérité, on ne dicte pas aux gens combien d’enfants ils doivent faire. Et cette mesure vient beaucoup trop tard. Les jeunes femmes chinoises ne veulent tout simplement plus faire d’enfants. Inéluctablement, d’ici à 2027, l’Inde va devenir le pays le plus peuplé du monde. Ce retournement de tendance sera lourd de conséquences. Car la démographie exponentielle de la Chine était ce qui aiguisait l’appétit des milieux d’affaires occidentaux pour investir en Chine.
Cela ne traduit-il pas une forme de résistance de la population ?
C’est la dernière forme de contestation à la mode en Chine : se coucher, « tang ping » en mandarin. Il s’agit de refuser cette société du travail, se mettre en marge et protester. On ne peut plus parler, mais on peut s’allonger pour dire non. Le grand drame, c’est qu’un milliard quatre cents millions de Chinois sont pris en otage de la politique du PCC, qui se pose en unique légitime représentant du peuple chinois. Il leur est devenu impossible de parler librement et nous, étrangers, nous ne pouvons plus discuter avec eux. Mais Xi Jinping est en train de perdre la guerre de l’information. Car plus que jamais auparavant, l’information circule et est libre. Même en Chine, les Chinois finissent par savoir. Naturellement, tous les Terriens veulent savoir. Cette soif d’information, Xi Jinping ne peut rien y faire. La Chine répand des fake news, mais plus personne n’y croit.
Xi Jinping est en train de perdre la guerre de l’information. Car plus que jamais auparavant, l’information circule et est libre. Même en Chine, les Chinois finissent par savoir.
Le professeur Jean-Pierre Cabestan fait le constat en préface de votre livre d’une « Nouvelle Guerre froide » que nous ne pourrions éviter parce qu’elle nous serait imposée par la Chine. L’Europe et la France peuvent-elles rester neutres ?
En Europe, Xi Jinping a un seul vrai ami, Viktor Orban en Hongrie. Les autres hésitent, particulièrement Merkel et Macron. Mais pour Merkel, la page est presque tournée. Les Verts allemands, qui ont une chance de remporter les élections cet automne, portent un discours de rupture avec la Chine. Macron, lui, évolue petit à petit. L’affaire de la centrale de Taishan a montré encore une fois les désillusions de la stratégie d’engagement française avec la Chine. Un réacteur EPR connaissait un problème, mais Framatome, qui l’a construit et en est actionnaire, a été entièrement maintenu dans le noir par les Chinois, alors qu’à l’origine, on leur a transmis le savoir-faire. Comme pour la coopération autour du P4 de Wuhan, les ingénieurs français ont été trahis. Les Chinois n’ont plus besoin de nous. Cela devrait nous forcer à un examen de conscience.
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