Le Point : La droite française sait-elle encore où elle habite ?
Dominique Reynié : La droite ne se borne pas au parti Les Républicains, dont vous pointez à juste titre le grand malaise. LR est de plus en plus concurrencé par le Rassemblement national, force populiste et populaire montante. De plus, au gouvernement, les postes importants, dont Matignon, sont tenus par des personnalités de droite depuis 2017. Ainsi, la droitisation de la société se déploie depuis dix ans sans que LR ait joué un grand rôle.
La multiplicité des présidentiables de droite n'est-elle pas, pourtant, un signe de vitalité ?
C'est le signe de la qualité des individualités. Mais, pour l'heure, le problème reste inextricable : le chef naturel, Nicolas Sarkozy, est empêché ; François Baroin n'est pas candidat ; il y a bien deux candidats - Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, lequel a théorisé l'incapacité des Républicains à se relever -, mais ils ont quitté le parti ; Christian Jacob, qui dirige LR, n'est pas favorable aux primaires, alors qu'elles sont prévues dans les statuts… Que faire ? La droite LR paraît, à ce jour, dans l'incapacité d'organiser l'émergence d'un nom pour la présidentielle. On sait qu'un parti politique peut dépérir parce qu'il n'est plus en phase avec l'Histoire. Ce fut le cas du Parti communiste, et c'est le cas de la social-démocratie. Mais, aujourd'hui, le grand paradoxe est de voir LR embourbé dans une crise décennale pendant que la société bascule à droite.
Dans sa note de la Fondapol, Victor Delage souligne que « plusieurs courants de droitisation sont à l'œuvre en France ». Quels sont-ils ?
La démonstration de Victor Delage repose sur des données d'opinion mesurant le positionnement sur l'axe gauche/droite et l'adhésion à des valeurs. Il faut compléter cette approche par la prise en compte des variables lourdes. La démographie, d'abord : le vieillissement de la population favorise la demande de protection et l'aversion pour les risques ou le changement, soit des dispositions psychosociologiques qui profitent à la droite. L'immigration, ensuite, qui suscite un rejet fort et constant dans l'opinion, en particulier en raison de son lien avec l'islam, perçu comme une religion extérieure liée au terrorisme, marquant le retour du conflit religieux dans un pays qui était persuadé d'en avoir fini avec cette question. Mais la droitisation à partir de tels enjeux est aussi le résultat des défections de pans entiers de la gauche, renonçant au combat pour l'intégration ou la laïcité. Offrant un avantage à droite pour la prise en charge de ces thèmes. Jusqu'au FN. Le 29 septembre 2011, Élisabeth Badinter constatait à la une du Monde que le FN était le parti le plus engagé dans la défense de la laïcité.
En quoi cette droitisation est-elle un phénomène européen ?
Le déclin électoral de la gauche, la poussée des valeurs et des positionnements de droite est une réalité européenne. La situation de l'Allemagne ressemble à la nôtre : aux difficultés de la droite, consécutives au départ mal préparé de Merkel, s'ajoute l'effondrement du Parti social-démocrate. On verra si ce sont d'abord les Verts qui en profiteront. Il demeure qu'en moyenne, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France et en Italie, 20 % des personnes interrogées se situent au centre et 39 % à droite, contre 27 % à gauche et 14 % sans opinion. C'est en Italie que la proportion des électeurs de droite est la plus élevée (44 %). On en voit le reflet dans la coalition gouvernementale qui comprend jusqu'à la Ligue. En Suède, patrie de la social-démocratie, la droite populiste est devenue si forte que la droite de gouvernement vient de conclure un accord avec elle. Au Danemark, l'objectif « zéro demandeur d'asile » est soutenu par tous les partis.
La droitisation n'est pas un épiphénomène…
On parle beaucoup de recomposition politique en France, mais, en fait, il s'agit d'une droitisation. Le mouvement est enclenché depuis une vingtaine d'années. En 1988, au premier tour de la présidentielle, Jean-Marie Le Pen recueillait 14,4 % des voix, et on croyait ce score conjoncturel. Mais, en 1995, le leader du FN est à 15 %. En 2002, il atteint le second tour. En 2005, plus de 55 % des électeurs rejettent le traité constitutionnel européen, contre lequel Le Pen, Dupont-Aignan, Mélenchon, Bové, Besancenot ont fait campagne. En 2012, on l'a peu relevé, Marine Le Pen réalise le meilleur score du FN au premier tour d'une présidentielle par rapport au nombre d'inscrits ; le Front national poursuit donc son ascension malgré le départ du fondateur. En 2017, elle est au second tour, avec un score supérieur de 14 points à celui de son père en 2002. En 2022, la surprise ne viendrait plus de la présence mais de l'absence de Marine Le Pen au second tour. La droitisation du pays est un mouvement profond.
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