Le 5 mai prochain marquera le 200e anniversaire de la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, cette île minuscule de l’Atlantique Sud où les Britanniques avaient assigné l’Empereur à résidence, à Longwood House, au lendemain de la défaite de Waterloo, en 1815. Après bien des tergiversations, Emmanuel Macron a décidé que la France rappellerait la place de l’Empereur dans l’histoire de France.

Tous les sondages font de lui le personnage historique le plus connu des Français, et pourtant, aucun espace public, aucune institution ou presque ne porte son nom. La monarchie et la république ont voulu l’effacer. Car Bonaparte divise. Il est à la fois celui qui a maîtrisé la Révolution et réformé la France en profondeur, et le dictateur qui a conquis l’Europe et rétabli l’esclavage. Le président Jacques Chirac le détestait, et en 2005, il avait refusé toute célébration officielle du 200e anniversaire de sa plus grande victoire militaire, à Austerlitz.

Quels aspects de Napoléon Macron souhaitera-t-il mettre en avant ? Compte tenu de la situation dans laquelle se trouvent la France et l’Europe, l’affaire n’est pas sans risque. Depuis l’entrée de Macron à l’Élysée il y a quatre ans, les parallèles entre les deux hommes sont devenus des clichés. Outre leur petite taille supposée (à tort, l’un et l’autre étant de taille moyenne pour leur époque, 1,68 mètre pour Napoléon, 1,73 pour Macron), c’est leur style de gouvernement qui les rapproche.

Thierry Breton, comme un général d’empire

Bonaparte a gouverné la France, puis l’Europe, à coups de conflits et de décrets audacieux. À peine Macron avait-il choisi de commémorer l’empereur qu’il s’est retrouvé sous le feu de violentes critiques pour sa décision jupitérienne – qui représentait en même temps une reculade humiliante – d’imposer un troisième confinement pour au moins un mois, le 31 mars dernier. Lui qui avait martelé que cela n’arriverait pas, faisant fi, en janvier, de l’avis de son conseil scientifique, qui assurait que, sans confinement, le pays serait frappé par une troisième vague en mars. La France, avait-il assuré, serait sauvée par la vaccination, alors que cette dernière progressait à la vitesse d’un escargot.

Marine Le Pen, la dirigeante du Rassemblement national, qui sera probablement son adversaire au second tour de la présidentielle de 2022, a dépeint ce camouflet comme étant un “Waterloo du vaccin” pour Macron, espérant sans aucun doute qu’il subisse un échec semblable d’ici un an. Entre-temps, Macron, parieur compulsif, vient encore de miser gros, cette fois en promettant que la France rouvrirait partiellement à la mi-mai, soit au même moment que les commémorations de Napoléon. Il est certes périlleux de vouloir user de l’histoire à des fins politiques, mais en France, c’est un réflexe.

Bonaparte avait placé des membres de sa famille ou des généraux de confiance sur les trônes des États européens qu’il avait conquis, afin qu’ils imposent sa politique à tout le continent. Macron a réussi à installer Thierry Breton, ancien ministre et ex-président-directeur général du groupe Atos, au poste de commissaire européen au Marché intérieur.

Comme la famille de Napoléon, qui s’était efforcée d’empêcher l’effondrement progressif du blocus continental imposé par l’empereur à la Grande-Bretagne, Breton mène une campagne de propagande et un combat de tous les instants contre AstraZeneca, avec des perquisitions au petit matin dans les usines (lesquelles n’ont rien découvert de suspect) pour découvrir comment la vaccination a pu être un pareil succès outre-Manche sans que Londres contourne le blocus sur les exportations de vaccins. Preuve de la véritable allégeance de Breton, il s’est montré incapable de freiner ce réflexe historique bien français quand il a déclaré que toute l’Europe serait vaccinée d’ici au 14 juillet.

Face à la réussite britannique, Macron se consume de jalousie

Napoléon était obsédé par les Britanniques, Macron l’est tout autant. Il est furieux de voir que le Royaume-Uni ne s’est pas écroulé après le Brexit, il se consume de jalousie face à la campagne de vaccination britannique, en veut à Londres d’avoir découvert un vaccin si promptement alors que la France subit humiliation sur humiliation, entre autres dans ses propres médias, puisqu’elle est le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies à ne pas en avoir inventé un.

Il est instructif de voir comment, dans ses discours, Macron, au risque de la périphrase, évite de citer le Royaume-Uni quand il évoque des exemples de réussite vaccinale. Ses lieutenants, eux, prennent moins de gants, comme le jeune secrétaire d’État chargé des Affaires européennes [Clément Beaune]. Il est hors de question que l’on admette le triomphe d’AstraZeneca, symbole du succès de la Grande-Bretagne post-Brexit. De même que Napoléon était obsédé par le boutiquier britannique en tant qu’incarnation du commerce de Londres, Macron a pris en grippe AstraZeneca et son produit “quasi inefficace”. Il y a peu encore, la ministre déléguée chargée de l’Industrie [Agnès Pannier-Runacher] annonçait triomphalement qu’au second semestre la France pourrait se débrouiller sans le vaccin AstraZeneca.

En janvier 2022, Paris assumera la présidence du Conseil de l’Union européenne, et Macron régnera directement sur l’Europe. Pour six mois, en théorie, mais le Royaume-Uni doit se préparer à des moments difficiles. Toutefois, il reste un léger détail à régler, à savoir la présidentielle française d’avril-mai 2022. Cette dernière déterminera si Emmanuel Macron sera encore à la barre en ce jour funeste du 18 juin, quand, deux cent sept ans plus tôt, l’empereur des Français avait été rattrapé par le destin dans la “morne plaine” [de Waterloo], qui s’étend à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles. 

Source Courrier International