Le revenu universel n'est-il pas en train de s'installer via les aides, APL RSA et autres... dans le contexte difficile de la crise sanitaire
Le chômage (au sens BIT) serait-il un concept en voie de disparition. Et avec lui la quête du graal que constitue la recherche du plein-emploi. L’interrogation peut sembler saugrenue, tant le chômage de masse demeure une réalité depuis plusieurs décennies en France. Comment parler de fin du chômage, quand, au dernier comptage, le nombre de chômeurs inscrits à pôle emploi culmine en novembre à 3,6 millions et même à 5,6 millions lorsque l’on y ajoute les chômeurs de catégorie B et C qui sont en activité partielle.
Et quand parmi tous ces chômeurs, plus de la moitié recherche un emploi depuis plus d’un an. Ce dont je parle, c’est de la perte de sens progressive du chômage comme point de repère de la distance qui nous éloigne du plein emploi. Qui traduit l’abandon même de l’objectif de plein emploi dans nos sociétés.
Cette
perte de sens est en partie perceptible dans l’étrange inertie des taux
de chômages dans la plupart des économies développées depuis le début
de la crise sanitaire. Au troisième trimestre, cette hausse était sans
commune mesure avec la profondeur inégalée du choc d’activité qu’ont
subi les économies depuis le début de l’année 2020. Il suffit de la
comparer avec les mouvements observés au cours des 3 premiers trimestres
de la crise 2008 pour prendre la mesure du phénomène. Cette inertie on
le sait est un trompe l’œil, liée au fait que l’arrêt complet de
certaines activités à rendu impossible la recherche active d’un emploi
durant la crise sanitaire… condition sine qua non pour être considéré
comme un chômeur selon les conventions internationales. Ce phénomène est
transitoire et s’estompera peu à peu. Mais cette inertie témoigne aussi
d’un dérèglement plus profond et plus durable du marché du travail, qui
n’a pas fini de produire ses effets.
Elle
témoigne d’une modification profonde de la relation à l’emploi dans les
économies développées. Ce qui peu à peu se délite c’est notre
représentation binaire de la relation au travail des personnes actives :
être en emploi ou bien être au chômage. Entre ces deux situations
polaires, s’est développée une myriade de situations intermédiaires qui
composent un continuum entre l’emploi stable et le chômage. Puisqu’être
en emploi c’est avoir travaillé pendant une durée quelconque durant la
semaine de référence, il suffit d’un rien pour être sorti de la
statistique du chômage. Les intermittents, les cdd ou intérimaires sur
courte mission, les saisonniers, les auto-entrepreneurs, qui ne tirent
qu’un très faible revenu de leur activité, sortent pour la plupart des
radars du chômage. Et l’effet de ce fractionnement est bien décelable
aujourd’hui dans les statistiques de pôle emploi. Où ceux qui
recherchent un emploi, tout en travaillant quelques heures constituent
une fraction croissante des inscrits…. Et la plateformisation des
économies ne cesse d’enrichir le bataillon des personnes rémunérées à la
tâche. Tandis que parallèlement les compléments de revenus sous forme
de transferts publics renforce l’acceptatbilité de ces emplois qui ne
parviennent pas à fournir un revenu complet à l’année. La prime
d’activité concerne aujourd’hui 4,3 millions de foyers en France.
Mais à côté de cette tendance rampante, qui concerne l’ensemble des économies développées, le vrai point de rupture, c’est l’irruption du chômage partiel à grande échelle, que l’on aurait tort de considérer comme un phénomène exceptionnel et seulement transitoire. L’impact stabilisateur sur l’emploi et le chômage classique de ce dispositif est considérable à court terme. Selon l’Insee, entre mi-2019 et mi-2020, le chômage partiel a permis de réduire de 22% le volume de travail rémunéré par les entreprises tout en limitant la baisse de l’emploi salarié à 2,7%. Cela donne la mesure des réductions d’emplois et de salaires qui ont été évitées grâce à la prise en charge des coûts salariaux par l’État. Et à travers ce mécanisme, c’est toute une série d’effets de propagation qui cristallisent une partie du chômage conjoncturel en chômage structurel qui s’estompent. Le laboratoire allemand, où le dispostif existe à grande échelle depuis longtemps, a déjà démontré qu’il dispense les entreprises de tout le processus coûteux de licenciement puis de recherche d’emploi en phase baissière puis haussière du cycle. Notamment dans un contexte où les compétences sont rares. Qu’il évite aussi les effets de stigmatisation qui pénalisent les demandeurs d’emplois et alimentent le chômage de longue durée. A quoi il faut ajouter tous les effets stabilisateurs au plan macro de l’atténuation de la cicatrice des crises sur les revenus privés. Or ce nouveau purgatoire, entre emploi effectif et chômage classique, qui s’est généralisé à de nombreux pays européens, va demeurer dans l’arsenal de gestion des crises des gouvernements, vidant toujours plus de son sens le concept de chômage, selon les canons du BIT. Et avec cette dissociation du lien entre emploi et revenu de subsistance, sa socialisation croissante, c’est bien le renoncement à la quête du plein emploi qui est acté le glissement vers un revenu universel qui ne dit pas encore son nom.
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